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lundi, septembre 07, 2015

505_ Visite à Chérence, chez Nathalie S

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Le Val d’Oise est un joli département. J’y ai habité durant plusieurs années. Je l’ai en quelque sorte abandonné pour le Sud et le soleil. Si vous vous retrouvez dans Paris ou sa région, n’hésitez pas un instant, faites comme moi aujourd'hui, allez à Auvers-sur-Oise pour Van Gogh et continuez sur Chérence. Chérence est un petit village de moins de deux cents habitants. N’était une illustre dame, il vivrait dans l’anonymat. Mais c’est presque le cas, tant cette illustre écrivaine




N. Sarraute, invitée de Bruno Masure sur F2. 1998?




est aujourd’hui – hélas – oubliée. Nathalie Sarraute a longtemps résidé, une cinquantaine d’années. Elle y possédait une maison (aujourd’hui vendue par ses enfants) avec terrain (photos) qui donne sur la vallée de la Seine. Elle se situe à deux pas de l’église St-Denis (9° siècle). Nathalie Sarraute repose dans le petit cimetière de Chérence.

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« J'étais assise, encore au Luxembourg, sur un banc du jardin anglais, entre mon père et la jeune femme qui m'avait fait danser dans la grande chambre claire de la rue Boissonade. Il y avait, posé sur le banc entre nous ou sur les genoux de l'un d'eux, un gros livre relié... il me semble que c'étaient les Contes d'Andersen.

Je venais d'en écouter un passage… je regardais les espaliers en fleurs le long du petit mur de briques roses, les arbres fleuris, la pelouse d'un vert étincelant jonchée de pâquerettes, de pétales blancs et roses, le ciel, bien sûr, était bleu, et l'air semblait vibrer légèrement... et à ce moment-là, c'est venu… quelque chose d'unique... qui ne reviendra plus jamais de cette façon, une sensation d'une telle violence qu'encore maintenant, après tant de temps écoulé, quand, amoindrie, en partie effacée elle me revient, j'éprouve... mais quoi? quel mot peut s'en saisir? pas le mot à tout dire : « bonheur », qui se présente le premier, non, pas lui... « félicité », « exaltation », sont trop laids, qu'ils n'y touchent pas... et « extase »... comme devant ce mot ce qui est là se rétracte... « Joie », oui, peut-être... ce petit mot modeste, tout simple, peut effleurer sans grand danger... mais il n'est pas capable de recueillir ce qui m'emplit, me déborde, s’épand, va se perdre, se fondre dans les briques roses, les espaliers en fleurs, la pelouse, les pétales roses et blancs, l'air qui vibre parcouru de tremblements à peine perceptibles, d'ondes... des ondes de vie, de vie tout court, quel autre mot?... de vie à l'état pur, aucune menace sur elle, aucun mélange, elle atteint tout à coup l'intensité la plus grande qu'elle puisse jamais atteindre... jamais plus cette sorte d'intensité-là, pour rien, parce que c'est là, parce que je suis dans cela, dans le petit mur rose, les fleurs des espaliers, des arbres, la pelouse, l'air qui vibre... je suis en eux sans rien de plus, rien qui ne soit à eux, rien à moi. »  Nathalie SARRAUTE. Enfance – Gallimard/Folio – 1983


Lire ici :


405- NATHALIE SARRAUTE: 18 juillet 1900- 19 octobre 1999

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                               Article paru dans Le Matricule des Anges
                               Numéro 22 de janvier-mars 1998
La vie des mots
Nathalie Sarraute poursuit son travail obsessionnel de décryptage de la conversation. Un exercice qui, hélas, manque cette fois de style.
Il n'y en a plus pour longtemps… ça doit être les tous premiers mots avant qu'on ne raccroche… On dirait que déjà la paroi se met à bouger…
- Quelle idée de l'avoir dressée… Nous enfermer pour si peu… Il n'y avait pas le moindre risque…"
La scène se passe dans un espace insolite. S'il fallait camper un décor de théâtre, cela pourrait ressembler à une usine à fabriquer des conversations avec, à proximité, un local immense, désaffecté, où l'on aurait entassé des mots destinés au rebut. Isolés dans un recoin de la conscience, rejetés au dehors, les mots bannis de la conversation sont les protagonistes du nouveau livre de Nathalie Sarraute. Ils observent derrière une paroi -que l'auteur a imaginé transparente- le langage en train de s'énoncer et s'entretiennent sur ce qu'aurait été leur propre performance si on leur avait donné à eux aussi la possibilité de servir la conversation.
Le regard rivé sur ce qui se trame dans l'usine en activité, les mots exclus s'agitent dans leur coin et cherchent le moyen de rétablir l'ordre dans la communication, de combler les manques et les déficiences.
Le lecteur sera d'abord séduit par ce que cet univers de sous-conversation a de déroutant et de drôle.
Le principe de Ouvrez, même si le rapprochement peut sembler hors de propos, rappelle un peu celui de Tout ce que vous auriez voulu savoir sur le sexe… le film de Woody Allen, où des spermatozoïdes à formes humaines se bousculent pour tenter de passer les premiers de l'autre côté. Woody Allen, qui partage avec Nathalie Sarraute un talent incomparable pour l'observation de ses contemporains, ne signait pas là son meilleur long métrage… Il est fort à parier que ceux qui ont aimé Tropismes, Le Planétarium, ou, plus récemment, Tu ne t'aimes pas, seront frappés d'une légère déception en lisant Ouvrez. Ce texte n'est pourtant pas fondamentalement différent des précédents. Mais entre Ici, l'avant-dernier roman de Nathalie Sarraute et Ouvrez, les petites touches sensibles, les bruissements de voix si propres à l'oeuvre de l'auteur, semblent avoir été pour cette fois proscrits. Certes, on retrouve dans Ouvrez le théâtre intérieur de Sarraute, son monde de sous-conversations, ces bribes de dialogues en apparence décousus et comme volées au réel le plus invisible, mais il manque comme une fêlure, peut-être la part maudite pour l'auteur de L'Ere du soupçon, celle qui révélait subrepticement au lecteur, des parcelles de sa vérité nue.
Ouvrez ressemble à un exercice de style, à un livre conçu comme une gageure : tenter de saisir la complexité et les contradictions des êtres à travers leurs conversations en donnant la parole aux mots. Malheureusement, la contrainte formelle devient rapidement un système, et passé le moment où le lecteur s'est amusé de cet étrange projet, le charme a disparu.
Où sont passés les Tropismes? Espérons qu'ils patientent dans une prison dorée et que l'auteur ne les exclura pas de son roman à venir.
Marie-Laure Picot
Ouvrez
Nathalie Sarraute
Gallimard
130 pages, 85 FF
© Le Matricule des Anges et les rédacteurs
 
  
Article paru dans Le Matricule des Anges
                               Numéro 3 d'avril/mai 1993

Sarraute en format de poche
Le Silence de Nathalie Sarraute inaugure la création chez Folio d'une collection théâtre. Ce texte très court, très drôle, absurde, démonte le mécanisme du langage. Quatre femmes, F1, F2, F3 et F4 et deux hommes, H1, H2 vont être complètement perturbés par le silence de Jean-Pierre. "Un petit mot de vous et on se sentirait délivrés. Tous rassurés. Apaisés. Car ils sont comme moi... ils ont peur... ils jouent le jeu comme ils disent, obligés de faire semblant"
Ce silence va pousser les autres dans leurs derniers retranchements, la violence, l'angoisse, leur solitude que n'arrivent pas à recouvrir les mots.
Cette montée dans l'irrationnel et la folie est orchestrée avec une concision et une efficacité implacable.
Le Silence et Elle est là inaugurent le 7 avril, le théâtre du Vieux Colombier à Paris, restauré et rattaché à la Comédie Française pour y présenter des textes plus contemporains.
Les autres titres de Folio Théâtre sont, eux, beaucoup plus classiques : Le Cid de Corneille dans sa version de 1637, Knock de Jules Romains, L'Avare de Molière et La Cantatrice chauve d'Eugène Ionesco.
Chaque ouvrage comporte préface, biographie de l'auteur, bibliographie, notes...
Le Silence
Nathalie Sarraute
Folio théâtre
Gallimard
96 pages, 26,50 FF
© Le Matricule des Anges et les rédacteurs




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