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lundi, juin 29, 2015

499_ Boudiaf, In Memoriam



                     En cette fin de matinée du jeudi 25 juin 1992, le président Boudiaf faisait une tournée d’inspection à la zone industrielle d’Arzew. En fin de matinée il était précisément à Aïn el Biya où nous résidions. Mon fils M., sept ans, et moi, ne pourrions le voir, car nous nous préparions à quitter le village pour aller assister à la finale de la coupe d’Algérie de football à Oran, au « stade du 19 juin ».


Les résidents étaient nombreux à se bousculer dans l’allée principale du village, le camp5, quand je la traversais en voiture pour me rendre à Oran. D’un moment à l’autre le président et sa suite allaient quitter le village. Les gardiens laissaient sortir les voitures, mais pas celles qui y entraient. Sur la nationale ralliant Aïn el Biya à Oran, à hauteur de l’entrée de Gdyel, les gendarmes affectés à l’entrée est de la ville nous empêchèrent de continuer. « Par là vous pouvez » me fit l’un d’eux. « Par là » c’est à dire par une piste à l’intérieur des terres, parallèle à la nationale. Je pénétrai dans la piste, la longeai. Une piste qui n’en est vraiment pas une. Les tracteurs peut-être… Je l’ai tant bien que mal suivie. J’ai traversé Gdyel. 
Mon agenda, à la journée du jeudi 25 juin 1992.
 A la sortie ouest de la ville je suis tombé nez à nez avec la dernière voiture du cortège présidentiel, qui filait à vive allure (140 km/h au bas mot). Je lui ai emboîté le pas. Un motard de la garde, sorti de je ne sais où, me fit signe de passer, pensant certainement que je faisais partie du cortège. Cette facilité me donnait des sueurs. Je ne l’ai pas comprise (et ne la comprends toujours pas), mais l’heure n’était pas à ce type de réflexion. Mon véhicule était de même marque que nombre d’entre ceux qui formaient le cortège, mais assez poussiéreux. Me voilà, à mon corps défendant, « dedans ». Il me fallait dès lors assurer l’allure. C’est à dire rouler à très grande vitesse. Comme les véhicules qui me précédaient, j’ai activé les feux de détresse. Lorsque vingt minutes plus tard nous sommes arrivés à Oran Bernandville, une armada de policiers au garde à vous, un tous les cinq mètres, nous accueillait. Des gouttelettes de sueur froide, grosses comme des grêlons, perlaient sur mon front, sur ma nuque et le long du dos. Comment sortir de ce qui m’apparaissait comme une souricière ou un pétrin. « Nous sommes en danger » pensai-je, mon fils et moi. Je me devais hélas constater que je n’avais de choix que de continuer. Le boulevard Champagne (Gambetta), le rond-point du lycée Lotfi, celui de l’Académie. Enfin la wilaya. Tout autour de l’immense escalier de l’entrée officielle, les policiers en tenue et d’autres en civil me paraissaient innombrables. Les premières voitures pénétrèrent dans le sous-sol de la préfecture. Beaucoup (une trentaine ?) tentaient tant bien que mal de se garer par-ci, par-là. A hauteur du 110 rue Mouloud Feraoun, j’ai stationné, éteint aussitôt le moteur et désactivé les warnings. Je demeurai immobile, alors que mon fils, jusque-là allongé sur la banquette arrière se réveilla, un peu perdu. Je l’étais plus que lui. Je lui ai demandé de rester calme. Je ne sortirai pas du véhicule, pas dans l’immédiat. J’ai attendu que mon esprit me revienne et que les autres véhicules se furent vidés de leurs passagers, une dizaine de minutes, avant de repartir, avec le maximum de douceur. Il me fallait planer si possible. Si j’avais pu nous rendre transparents, je n’aurais pas hésité à le faire. Vingt minutes plus tard, nous étions à El Hamri. Le « stade du 19 juin » était bien rempli. Avec M. nous nous sommes installés dans les tribunes, à moins de cent mètres du président Boudiaf, que je montrais du doigt à mon fils, assis sur mes épaules, « il est là, regarde ». Comme nous il assistait à la finale de la coupe d’Algérie. La JSK a battu l’ASO par 1 à 0. J’ai mis plusieurs semaines à me remettre de mes émotions de la journée. 



Plus tard, en juillet, la rumeur suivante avait couru : « Boudiaf devait être assassiné à Aïn-Témouchent ou Oran ». Il le fut à Annaba le lundi suivant, 29 juin, un lundi, comme aujourd’hui 29 juin 2015. El Watan titrait le lendemain : « Le complot », Le Matin : « Ils l’ont assassiné ». Ils…






 
Merci algeriaforever- Youtube

ahmedhanifi@gmail.com

dimanche, juin 28, 2015

498_ Face aux massacres des nouveaux barbares

Des dizaines de morts ces derniers jours dans plusieurs pays... Assassinats commis par les hordes barbares se réclamant de l'Islam...

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Face aux massacres des nouveaux barbares, nous ne pouvons nous contenter d’ingurgiter des images aussi atroces les unes que les autres et nous plaire dans des bavardages sans fin. Des actions de tous ordres et de tous niveaux sont nécessaires. J’ai longuement réfléchi à la part qui pourrait être la mienne, auprès d’autres volontés. A la suite de Ghaleb Bencheikh, je pense qu’il ne s’agit pas de nous « plier à une quelconque injonction » ni de répondre à une « sommation de nous désolidariser » des assassins se réclamant de l’Islam. Il y va de notre honneur de préparer, de participer à une action d’envergure pour dire haut et fort notre dégoût, notre révolte face à ceux qui, au nom de notre religion, accomplissent les pires atrocités.

Adnan Ibrahim sur Al- mayadin TV



ADNAN IBRAHIM  _ A





ADNAN IBRAHIM  _ B 





                                                                         ADNAN IBRAHIM  _ C  


Le film complet se trouve ici:

https://www.youtube.com/watch?v=sEanxZOTA5s





JDD_ 19 avril 2015

Adnan Ibrahim, l'imam qui dénonce les barbares

Né à Gaza, prêchant à Vienne, en Autriche, cet imam séduit sur Internet des milliers de jeunes musulmans en Europe et jusqu’en Arabie saoudite par son réformisme et sa tolérance.
Je sais que je suis sur la liste de Daech, c'est un risque que j'assume." Il a l'air à la fois désolé et déterminé. "Ils veulent m'abattre et peuvent me tuer, mais je ne m'arrêterai pas." Le 9 janvier, du haut de sa chaire, Adnan Ibrahim ne s'est pas seulement adressé à ses frères dans sa modeste mosquée de Leopoldstadt, dans la banlieue de Vienne. Il visait, par caméra interposée, les dizaines de milliers de jeunes musulmans qui se connectent en Europe et au Moyen-Orient sur Facebook et YouTube pour l'entendre. Le soir même de l’assaut de la police contre l’Hyper Cacher de Paris, Adnan Ibrahim, en costume cravate, dénonce les "barbares" : "En tant que musulmans, nous nuisons à notre image, nous donnons à voir celle du terroriste tueur, quelle insulte!" Effets de manches pour un avocat sans robe, le phrasé éloquent, il continue de haranguer ses fidèles en éducateur. "Ceux qui s'explosent au milieu des foules n'ont pas compris grand-chose, ils n'ont pas appris l'islam, ils ne savent rien. C'est un fanatisme vil comme celui des croisés du Moyen Âge!"

Il dévore Newton, Darwin et Freud

À l'image de ces prêtres-­ouvriers des années 1970, l'imam palestinien au passeport autrichien ne porte aucun signe distinctif de sa religion ou de son métier de pasteur des âmes. Sa barbe est bien taillée, rien à voir avec celle des fous de Dieu qui la laissent pousser pour respecter la consigne du Prophète. Contrairement à l'un de ses amis qui l'accompagnent en ce début avril lors d'une escale parisienne, il n'a pas non plus cette petite bosse au milieu du front qui témoigne de longues heures à prier la tête contre le sol. "La prière, c'est d'abord entre soi et Dieu", murmure-t-il. "La religion, c'est dans le cœur que ça se passe", insiste-t?il. Il rappelle alors que depuis le plus jeune âge il a compris que la mosquée n'était pas le meilleur endroit pour cultiver sa foi, il préfère le secret de son âme. "Cela vous ennuie qu'on ose vous comparer à un Luther de l'islam?", lui demande-t on avec un rien de provocation. "Pas le moins du monde, même si la ­Réforme est un arbre avec beaucoup de branches…"
Adnan Ibrahim n'a jamais cessé d'apprendre la différence. À Gaza, enfant, son père lui avait enseigné que l'islam visait d'abord à "la pureté du cœur". Entre l'éducation religieuse traditionnelle et celle dispensée dans les écoles et collèges de l'Unrwa, l'agence des Nations unies en charge des réfugiés palestiniens, Adnan se jette à corps perdu dans les livres que l'on ne peut ou que l'on ne doit pas lire. Adolescent, il dévore ­Newton, Darwin et Freud, s'initie à la psychologie et refuse de se laisser embrigader dans les factions palestiniennes. Non parce qu'il serait insensible à la violence des soldats israéliens jusque dans les maisons de son camp de Nuseirat, mais parce que l'éducation lui paraît "prioritaire". Adnan Ibrahim aurait pu devenir un fantassin du Hamas, plein de haine pour l'occupant, ou un collabo de Tsahal, l'armée israélienne, pour rapporter quelques shekels à sa famille.
Le père est un homme du peuple qui a fait tous les petits métiers : chauffeur de taxi à Gaza, commis boucher et même ouvrier dans une usine en Israël. Adnan a une dévotion pour ce père qui ne porte ni la barbe ni l'habit, ne s'embarrasse pas de symboles mais vit sa foi dans la simplicité du quotidien : aimer son prochain, servir l'autre. Le fils retient d'une leçon paternelle qu'être beau, intelligent et pieux ne sert à rien si c'est pour insulter sa mère et se comporter avec arrogance.

Une mosquée pleine à craquer en quelques années

Un jour, devenu imam, il choquera au plus haut point en ­demandant à Dieu de bénir un soldat israélien qui s'était suicidé après avoir, vainement, plaidé auprès d'un officier qu'une ­Palestinienne puisse franchir un check-point afin d'accoucher à l'hôpital. "Les Juifs sont nos cousins, plaide Adnan. Et tous ceux qui instrumentalisent le conflit israélo-palestinien en une guerre de religions font du tort à notre islam."
Et le djihadisme? Faut-il le combattre? Par quels moyens? L'imam estime qu'il n'y a pas d'autre choix que de se défendre si ceux d'en face prennent les armes. "Toutefois, la meilleure façon de contrer ces fanatiques, c'est d'offrir un discours alternatif. Si l'on utilise la force physique, on peut les vaincre une ou deux fois, mais tant que les causes de ce mal persistent, rien ne sera réglé." D'où l'engagement pris par Adnan Ibrahim de dissuader les jeunes de rejoindre les djihadistes.

La femme est l'égale de l'homme

"Les réformistes ne sont en général pas bien accueillis par les jeunes musulmans parce que leur discours n'est pas suffisamment religieux, confie Adnan. Moi, je leur offre une base spirituelle solide, je dissèque un par un les arguments coraniques développés par les djihadistes pour les réconcilier avec le message originel de l'islam." Surprise, parmi les pays où ses thèses sont le mieux reçues figure l'Arabie saoudite, comme si les jeunes sujets du roi Salmane ne se retrouvaient plus dans "cet État déconnecté de la réalité". Mais c'est aussi à Riyad que l'imam palestinien est qualifié d'apostat parce qu'il ose "prêcher la miséricorde plutôt que la confrontation".
À Vienne, lorsqu'il est arrivé, les jeunes musulmans de la capitale autrichienne étaient en ­majorité séduits par le salafisme. En quelques années, sa mosquée, au départ désertée, est devenue pleine à craquer. "Il faut redonner aux jeunes leur liberté de conscience", argumente Adnan. "J'ai beaucoup appris de la Réforme chrétienne", ajoute celui qui cite également volontiers saint Thomas d'Aquin et saint Augustin. "Je comprends aujourd'hui qu'il n'est pas si important d'aller vers l'autre avec ce que je suis que de répondre à ses besoins, c'est tout le contraire du prosélytisme."
Remarquant au passage que cela ressemble aussi à la manière dont le pape François rappelle aux catholiques le sens premier des Évangiles, Adnan compare tel hadith enseigné par le Prophète avec une parabole de Jésus : "Ce que vous avez fait au plus petit d'entre vous, c'est à moi que vous l'avez fait."
Hérétique? Iconoclaste? Ou tout simplement libre? Adnan Ibrahim ose prétendre que la femme est l'égale de l'homme et qu'elle peut hériter avec égalité de droits, que la démocratie est compatible avec un islam ouvert. Pas étonnant que la police autrichienne surveille de loin ce réformiste de l'islam et s'étonnerait même de le voir jusqu'ici épargné par des attentats commandités par ses ennemis. Comme s'il était "protégé" de plus haut… 



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Wikipedia:

Plus d'infos ici:
http://www.adnanibrahim.net/?lang=en



Et sur Facebook:
https://www.facebook.com/FrAdnanIbrahim

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EL WATAN 20 juin 2015

Chronique. Ghaleb Bencheikh(*)

Pourquoi sommes-nous arriérés ? (**)


La vie des hommes est cyclique, rythmée par des repères dans le temps. Ces repères ponctuent les activités humaines, alternées qu’elles sont, par des moments de repos et d’autres d’intense labeur.
Il en est de même de la pratique rituelle dans les traditions religieuses. Les rites ont aussi un lien avec l’écoulement du temps et s’y inscrivent. Aussi la lunaison Ramadhan pour les musulmans est-elle un temps particulier, attendu avec ferveur et joie par les uns, appréhendé par les autres.
Mais, il n’en demeure pas moins que c’est un temps déterminé avec des spécificités propres. J’essayerai, pour ma part, de le mettre à profit afin d’introduire quelques réflexions soumises à la sagacité des lecteurs d’El Watan reproduisant une expérience heureuse – pour moi.
Et je sais gré à la rédaction du journal d’ouvrir ses colonnes à la rencontre des idées, à la circulation des concepts, à la confrontation des points de vue et au partage des représentations du monde. Il s’agit de contribuer aux débats existants et d’en susciter d’autres avec, à la fois, l’humilité requise de ne pas se croire seul dépositaire de la vérité absolue et la liberté de pensée revendiquée comme telle et assumée. Puissions-nous émerger des basses eaux des discussions oiseuses aux conclusions péremptoires dictées par le seul argument d’autorité.
En effet, nous avons besoin de renouer avec l’éthique du débat et de l’échange – à la manière d’un Chafiî, le maître éponyme de la troisième école juridique (767-820). Il nous a bien enseigné, dès la première décade du IXe siècle, que lors des controverses : «Mon avis est juste, mais il peut être entaché d’erreur et l’avis de mon contradicteur est – par construction – faux, mais il peut receler sa part de vérité.»
Interrogeons-nous : où en sommes-nous, aujourd’hui, de cette attitude d’ouverture et de respect à l’égard des idées d’autrui, fussent-elles dérangeantes ?
Il se trouve que dans bon nombre de contrées islamiques actuellement, une bonne partie des croyants musulmans va vivre quasiment au ralenti avec une confusion du jeûne diurne et de la torpeur dans une interversion du jour et de la nuit. Certains membres de l’oumma s’acquittent, certes, de leur devoir religieux dans l’élévation de l’âme et l’accomplissent avec abnégation. Ils comprennent le sens du jeûne dans ses dimensions personnelle, sociale et spirituelle et se réjouissent de l’avènement du mois de Ramadhan.
D’autres subissent la pression de la communauté et avec peu de conviction endurent toute cette période. Ils fulminent à la moindre contrariété et, parfois sans être eux-mêmes directement contrariés, ils vitupèrent contre tout. Inutile de nous appesantir sur tous les manquements à l’éthique et à l’entraide, requises de chaque croyant tout le temps, a fortiori, lors du temps sacré du jeûne.
Ce qui prime pour nous – d’abord musulmans – est de comprendre pourquoi sommes-nous arrivés à cette situation d’indigence intellectuelle et de déshérence culturelle.
Pourtant nous nous gargarisons toujours de belles paroles et nous croyons, verset coranique à l’appui, que nous sommes la meilleure communauté suscitée aux hommes (à condition que et parce que) nous ordonnons le bien et proscrivons le mal. Sauf que nous sommes – sans autoflagellation aucune – dans l’ornière.
Et nous nous y vautrons, tant qu’il n’y aura pas d’éveil des consciences. Pourquoi sommes-nous arriérés ? C’est la même question qui nous taraude depuis bientôt deux cents ans ; depuis le livre composé par Rifaat Rafa Tahtaoui (1801- 1873). Une esquisse d’ébauche de réponse aura lieu dans les épisodes à venir.
 

*Docteur en sciences et physicien, Ghaleb Bencheikh, fils du cheikh Abbas Bencheikh El Hocine, ancien recteur de la Grande Mosquée de Paris et frère de Soheib Bencheikh, ancien mufti de Marseille, est également de formation philosophique et théologique. Il anime l’émission «Islam» dans le cadre des émissions religieuses diffusées sur France 2 le dimanche matin. Il préside la Conférence mondiale des religions pour la paix.

(**) le titre est de la rédaction 
Ghaleb Bencheikh
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EL WATAN dim 21 juin 2015

Chronique. Ghaleb Bencheikh(*)

Le culte sans la culture (**)

Dans le sillage de ce que nous avons abordé hier, méditons aujourd’hui cette double métaphore empruntée à l’univers médical : celle du médecin légiste et celle du chirurgien. Le premier par profession et par disposition, autopsie des cadavres froids.
 Il dissèque des dépouilles mortelles afin de déterminer les causes du décès. Mutatis mutandis, nous serions presque dans la même situation si nous voulions comprendre les raisons qui, dans le temps «froid» de l’histoire, nous ont embourbés et figés dans l’ornière évoquée hier. Le second, dans le bloc opératoire, opère in vivo.
Et, il a à cœur de sauver son patient. Le chirurgien ne s’embarrasse nullement de considérations autres que celles qui maintiennent en vie le malade, dût-il consacrer tout son temps et y investir toute son énergie pour le succès de son opération. C’est le temps chaud de l’actualité brûlante. Il en est de même pour l’idée que nous nous faisons de notre nation. Si nous tenons à sa pérennité, à sa prospérité et à son avenir radieux et sain, nous devrons la soigner.
Elle entrera enfin de plain-pied dans la modernité institutionnelle et intellectuelle. La médication commence par faire délivrer le peuple du piège de la religiosité sauvage – selon l’expression du cardinal Daniélou (1905-1974) et le traitement salvateur passe par la désaliénation des consciences de la bigoterie crétinisante.
Surtout libérer l’esprit de toutes ses entraves. Parce qu’il ne saurait y avoir de modernité véritable sans la modernité intellectuelle fondée sur l’esprit critique et sur la promotion de l’intelligence. Or, s’il nous est arrivé ce qui nous est arrivé, c’est à cause de la démission de l’esprit, de l’abdication de la raison, de la défaite de la pensée et de l’abrasement de la réflexion.
Aussi savons-nous, maintenant ce qu’il nous reste à faire : reconquérir cette liberté avec l’audace intellectuelle nécessaire et la hardiesse requise de la pensée et de l’action. Il est temps de mettre de l’ordre dans le fatras idéel que nous connaissons. Les maîtres-mots pour cette reconquête et cette mise en ordre sont éducation, instruction, acquisition du savoir, science et connaissance, ouverture sur le monde et sur l’altérité, notamment confessionnelle, avec l’amour de la beauté et l’inclination pour les valeurs esthétiques.
Les Beaux-Arts, les belles lettres, la musique et la poésie contribuent grandement à élever les âmes, à flatter les sens, à polir les cœurs et à les assainir de tous les germes du ressentiment et de la haine.
Je ne sais par quelle inversion des ordres de priorité dans la mission éducative du peuple ou peut-être en l’absence d’orientation claire et de volonté politique, le peuple est laissé comme une proie facile à des sermonnaires doctrinaires idéologues. Ceux-ci tiennent un discours le plus souvent abêtissant et culpabilisant.
Et, nous voilà, ahuris, consternés devant tant de confusion mentale et tant de raidissement radical. Or, l’extrémisme est le culte sans la culture ; le fondamentalisme est la croyance sans la connaissance ; l’intégrisme est la religiosité sans la spiritualité.
Savoir endiguer la déferlante obscurantiste, ravaler le délabrement moral, guérir du malaise existentiel, en finir avec l’indigence intellectuelle et la déshérence culturelle. Aller vers l’universel
. Ne pas s’arc-bouter sur les particularismes irrédentistes. Telle est la vision programmatique que nous devons avoir pour sortir des fondrières ténébreuses dans lesquelles nous avons glissé et depuis lors nous nous y débattons.
Comme l’optimisme est de volonté et le pessimisme est d’humeur – même si pour certains, il n’est que le paroxysme du réalisme – notre détermination est totale pour ne pas laisser flétrir définitivement un patrimoine moral et spirituel qui a sous-tendu une civilisation impériale. Ce n’est pas pour dire que nous fûmes grands, mais c’est pour enrayer la machine du désastre. C’est ce dont nous parlerons dans les éditions à venir.

(*) Philosophe et théologien. Il préside la Conférence mondiale des religions pour la paix. Il anime l’émission «Islam» dans le cadre des émissions religieuses diffusées sur France 2 le dimanche matin.

(**) Le titre est de la rédaction
Ghaleb Bencheikh
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El Watan 22 juin 2015

Chronique : La liberté de conscience


Tout en souhaitant un jeûne bien agréé à l’ensemble des musulmans et musulmanes de par le monde et pour ne pas apparaître comme aigri et ne pas rester dans des approches négatives de tout le patrimoine islamique, il est juste de reconnaître les valeurs de bonté, d’accueil et d’hospitalité propres à la grande tradition de l’islam.
De toute façon, l’aigreur et l’amertume n’aident pas à voir clairement ni à percevoir avec discernement, tout comme la peur et la colère sont toujours de mauvaises conseillères. Parce que tout essentialisme est réducteur et toute généralisation est abusive. Et, il n’y a pas pire insulte à l’intelligence que de prendre le conjoncturel pour le structurel et confondre le circonstanciel avec l’atemporel.
La partie n’est jamais le tout. En outre, ce que je dis et exprime ne relève pas d’un quelconque dolorisme et encore moins d’une autoflagellation malsaine. Que Dieu nous préserve de la haine de soi. C’est tout simplement parce que nous avons à cœur de renouer avec les principes fondamentaux de la civilisation et l’idée du progrès émancipateur que le regard n’est pas amène sur l’actuelle situation. Il doit être même sévère et le bon diagnostic doit être effectué sans complaisance aucune afin de trouver la médication appropriée.
Il se trouve qu’un des points noirs de la pensée théologique islamique contemporaine avec toutes les scories drainées depuis quelques siècles, est la question fondamentale de la liberté et notamment la liberté de conscience. C’est le point aveugle de cette pensée. Et pour rester dans le registre médical, les ophtalmologistes auraient parlé de scotome, cette lésion du nerf optique qui induit une non-perception lumineuse. Ce serait aussi l’angle mort tant redouté par les conducteurs automobilistes et dont on veut pallier les méfaits par les avancées technologiques telles des mini-caméras et autres avertisseurs. Il en est de même pour cette pensée qui sur ces questions cruciales de liberté de conscience s’est encore crispée et radicalisée ces dernières décennies.
La dégradation est affligeante. J’en veux pour preuve la régression terrible qui nous caractérise à ce sujet : Figure-toi, ami lecteur, qu’il y a plus de 80  ans, le jeune mathématicien et écrivain égyptien Ismail Ahmad Adham publia, dans l’Egypte des années 1930, un manifeste intitulé : Pourquoi je suis athée, dans lequel il défendait son incroyance et vantait son état d’esprit d’homme soulagé à le proclamer…
Que penses-tu qu’on lui ait fait ? L’a-t-on occis ? L’a-t-on décapité ? L’a-t-on bastonné ? L’administration s’est-elle mêlée pour l’emprisonner ? Non, rien de tout cela. La réponse fut, entre autres, celle d’un autre écrivain théiste sous la forme d’un opuscule ayant pour titre Pourquoi je suis croyant. Aujourd’hui, une telle «affaire» ne se passera pas et il y aura assurément un Chems-Eddine ou un pseudo-imam quelconque qui appellera à tuer l’hérétique, à en finir avec l’apostat par le châtiment suprême.
Pis encore, ces procurateurs de Dieu et défenseurs autoproclamés de ses droits exclusifs, jettent l’anathème sur toute personne qui n’entre pas dans le moule de l’intolérance et du fanatisme qu’ils ne cessent de rendre de plus en plus étroit. L’accusation de mécréance est devenue l’arme fatale pour mettre fin à toute discussion. Non seulement, de nos jours, un Ismail Ahmad Adham n’oserait jamais écrire, en contexte islamique, le moindre manifeste militant pour l’athéisme ni imaginer composer un pamphlet irréligieux, mais, les réponses seraient jugées timorées et non satisfaisantes valant à leurs auteurs brimades et vexations à cause de leur tiédeur à défendre comme il faut la vraie foi…
Ô maison de la sagesse de Baghdad, où es-tu ? Tu fus le lieu des débats et des controverses entre juifs, chrétiens, musulmans et hérétiques – sans que l’on prît les références scripturaires coraniques comme bases de discussion. Elles n’étaient pas reconnues de tous. Ces fameuses munazarates, ont été reprises par les auteurs latins sous forme de disputationes pluriel de disputatio, l’ancêtre de la soutenance de thèse afin d’obtenir le grade de docteur de l’université. Voilà, le ton est donné, nous devons recouvrer notre patrimoine assaini de tous ses germes d’intolérance. L’entreprise est titanesque. Mais nous n’abdiquons pas.
 
Ghaleb Bencheikh
*Ecrivain, essayiste, animateur de l’émission «Islam» sur France 2
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El Watan 23 juin 2015

Chronique : Le temps de l’analyse


Aujourd’hui, nous abordons la question cruciale du terrorisme abject qui sévit au nom de la tradition religieuse islamique. Il se poursuit encore, en ce moment même, alors que nous sommes censés vivre un temps consacré de bonté et de miséricorde. Sauf que des individus fanatisés affiliés à des groupes islamistes djihadistes ont décidé de déclencher une conflagration généralisée s’étalant sur un arc allant depuis le nord du Nigéria jusqu’à l’île de Jolo passant par la Corne africaine, sans parler de la monstruosité idéologique dénommée Daech.
Et, l’élément islamique y est franchement impliqué. Chaque jour que «Dieu fait», des dizaines de vies sont fauchées par une guerre menée au nom d’une certaine idée de l’islam avec toutes les logorrhées dégénérées qui usurpent son vocabulaire et confisquent son champ sémantique, devenus anxiogènes pour nombre de non-musulmans. Les exactions terribles qui sont commises nous scandalisent et offensent nos consciences.
Cette guerre réclame de nous tous, qui que nous soyons, hommes et femmes de bonne volonté, mais surtout de nous autres musulmans, de l’éteindre. Il est de notre responsabilité d’agir et de nous opposer à tout ce qui l’attise et l’entretient. Nous ne le faisons pas pour obéir à une quelconque injonction ni parce que nous sommes sommés de nous «désolidariser» de la bête immonde. Nous agissons de la sorte, avec dignité, mus que nous sommes par une très haute idée de l’humanité et de la fraternité.
Nous ne cèderons jamais à la psychose. C’est une déclaration de résistance et d’insoumission face à la barbarie. C’est ce que nous avons fait lors de la décennie noire où cette calamité a endeuillé tout le peuple algérien. C’est aussi notre attachement viscéral à la vie, à la paix et à la liberté. Et, tout comme l’enseigne l’Ecclésiaste, au début du troisième chapitre de la genèse – dans l’Ancien Testament – «Il y a un temps pour tout, il y a un temps pour les actions sous le ciel, il y a un temps pour tuer et un temps pour guérir, un temps pour abattre et un temps pour bâtir, un temps pour pleurer et un temps pour rire, un temps pour la guerre et un temps pour la paix.»
Alors, après le temps de l’affliction et de la torpeur, après celui de la sidération et des condamnations, le temps de l’analyse doit succéder à celui du panurgisme émotionnel. Ces derniers mois, plusieurs décryptages du terrorisme djihadiste se sont fait concurrence. Des lectures sociologisante, politique, géostratégique, psychologique, millénariste et théologique ont été présentées doctement. Et, tout en reconnaissant à chacune d’elles sa pertinence propre, nous affirmons qu’aucune n’est susceptible d’épuiser, à elle seule, le sujet. C’est pour cela qu’il faut plus de distanciation et de hauteur pour une vision panoptique et synoptique des choses.
Certes, il y a des facteurs endogènes propres aux contextes islamiques et des raisons intrinsèques qui sont venues les alimenter et les aggraver. Les éléments endogènes sont connus et plusieurs fois passés en revue. Il s’agit d’un faisceau convergent de facteurs politique, culturel, théologique, économique, militaire et géographique. Ils ont concouru à la stagnation, à la décadence, au déclin, à la régression et à la «colonisabilité» – en empruntant l’expression de Malek Bennabi. Nous aurons à y revenir à l’occasion de l’une ou l’autre de ces chroniques. Parce que nous devons être conscients des causes de notre décadence.
Quant aux raisons extrinsèques qui sont venues alimenter et aggraver les premiers facteurs, je les énumère sous forme de flashs sinon, il faudrait un corpus de plusieurs volumes dépassant le cadre de ces modestes chroniques. Ce sont en quelques mots et noms : Laurence d’Arabie, Mac Mahon, Sykes-Picot, Allenby, Balfour, Sèvres, Lausanne, Berlin, canal de Suez et plus tard Guantanamo et Abou Ghrib sans évoquer les résolutions de l’ONU relatives à la Palestine, à trois chiffres, qui dorment dans les tiroirs de l’Organisation et celles à quatre chiffres appliquées dans un déluge de feu et de fer.
Et, malheureusement ce déluge s’est abattu aussi sur le peuple irakien en dehors de toute légalité internationale et suite à un mensonge éhonté. Et, les menteurs, auteurs de cette désolation et du désastre, continuent à couler des jours heureux au ranch de Crawford et à Londres au moment où on a voulu arrêter Omar El Béchir lors de son déplacement en Afrique du Sud. Ce dernier aura sûrement à s’expliquer devant la justice des hommes en attendant de comparaître pour le jugement céleste.
Sauf que tant que les agissements de la «communauté internationale» s’accommodent de la realpolitik et de la loi du plus fort considérée comme la meilleure, nous aurons toujours à déplorer la subversion terroriste. Nous verrons demain en quoi nous n’accepterons jamais que la terreur islamiste pervertisse la grande tradition de générosité et de miséricorde, ni avilisse l’enseignement d’amour et de bonté.
 
Ghaleb Bencheikh
*Ecrivain, essayiste, animateur de l’émission «Islam» sur France 2

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El Watan 24 juin 2015

Chronique : Des chantiers urgents

Après la chronique d’hier où nous avons abordé la question du terrorisme aveugle qui s’abat au nom de notre tradition religieuse, aujourd’hui, nous poursuivons en soulignant que le drame réside surtout dans le discours martial puisé dans la partie belligène du patrimoine religieux islamique – conforme à une conception du monde dépassée, propre à un temps éculé – qui n’a pas été déminéralisée ni dévitalisée.
Il est temps de reconnaître, dans la froideur d’esprit et la lucidité, les fêlures morales graves d’un discours religieux intolérant et les manquements à l’éthique de l’altérité confessionnelle qui perdurent depuis des lustres dans des communautés musulmanes ignares, déstructurées et crispées, repliées sur elles-mêmes.
Des sermonnaires doctrinaires idéologues le profèrent pour «défendre» une religion qu’ils dénaturent et avilissent. Plus que la caducité ou l’obsolescence de ces doctrines d’attaque et de violence légitimées par le divin, il est temps de les déclarer antihumanistes. Au-delà des simples réformettes, par-delà le toilettage, plus qu’un aggiornamento, plus qu’un rafistolage, qui s’apparentent tous à une cautérisation d’une jambe en bois, c’est à une refondation de la pensée théologique islamique qu’il faut en appeler, je ne cesse, pour ma part, de le requérir et je m’étais égosillé à l’exprimer.
En finir avec la «raison religieuse dévote» et la «pensée magique», s’affranchir des représentations superstitieuses, se soustraire à l’argument d’autorité, déplacer les préoccupations de l’assise de la croyance vers les problématiques de l’objectivité de la connaissance, relèvent d’une nécessité impérieuse et d’un besoin vital. On n’aura plus à infantiliser des esprits ni à culpabiliser des consciences ni à fragiliser des êtres.
Les chantiers sont titanesques et il faut les entreprendre d’urgence : le pluralisme, la laïcité, la désintrication de la politique d’avec la religion, l’égalité foncière et ontologique entre les êtres par-delà le genre, la liberté d’expression et de croyance, la garantie de pouvoir changer de croyance, la désacralisation de la violence, la démocratie et l’Etat de droit sont des réponses essentielles et des antidotes primordiaux exigés partout dans le monde islamique. Ce n’est plus suffisant de clamer que ces crimes n’ont rien à voir avec l’islam. Le discours incantatoire ne règle rien et le discours imprécatoire ne fait jamais avancer les choses.
Ce n’est plus possible de pérorer que l’islam c’est la paix, c’est l’hospitalité, c’est la générosité... c’est irresponsable et c’en est même devenu insupportable. Occulter les raisons du mal laisse les plaies grandes ouvertes. Bien que nous le croyions fondamentalement et que nous connaissions la magnanimité, la mansuétude et la miséricorde enseignées par sa version standard, où jamais l’assassinat n’est la mesure de l’offense ! C’est bien aussi une compréhension obscurantiste, archaïque, passéiste, dévoyée et rétrograde d’une partie du patrimoine calcifié qui est la cause de tous nos maux.
Et il faut tout de suite la dirimer. Nous ne voulons pas que la partie gangrène le tout. Les glaciations idéologiques nous ont amenés à cette tragédie généralisée. Nous devons toutes les dégeler. La responsabilité nous commande de reconnaître l’abdication de la raison et la démission de l’esprit dans la scansion de l’antienne islamiste justifiée par une lecture biaisée d’une construction humaine sacralisée et garantie par «le divin». Il est temps de sortir des enfermements doctrinaux et de s’émanciper des clôtures dogmatiques. L’historicité et l’inapplicabilité d’un certain nombre de textes du corpus religieux islamique sont d’évidence une réalité objective. Nous l’affirmons. Et nous en tirons les conséquences.
L’ancrage dans la modernité ne saurait se faire sans une modernité intellectuelle fondée sur l’esprit critique, je l’ai déjà écrit dans la toute première chronique. Je regrette que nous ne l’ayons pas fait dans notre pays. Aucun colloque de grande envergure n’a pu se tenir, aucun symposium important n’a été organisé en vue de subsumer la violence «inhérente» à l’islam ; pas la moindre conférence sérieuse n’a été animée pour pourfendre les thèses islamistes radicales. Nous avons vécu sur la défaite de la pensée et l’abrasement de la réflexion.
Il est vrai que la pusillanimité et la frilosité de nos «hiérarques» nous ont causés beaucoup de torts. Leur incurie organique nous laisse attendre, tétanisés, la dramatique séquence d’après. Leur seul argument avancé est que nous sommes pris en otage par les fanatiques barbares. Or, face à la barbarie, il vaut mieux vivre peu, debout, digne et en phase avec ses convictions humanistes que de végéter longtemps en louvoyant, en étant complice, par l’inaction et le silence, de ce qu’on réprouve. Nous verrons la suite demain.
 
Ghaleb Bencheikh
*Ecrivain, essayiste, animateur de l’émission «Islam» sur France 2

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El Watan 25 juin 2015

Chronique : Autres voies, autres voix

Nous poursuivons ces chroniques au fil des jours que compte ce mois de Ramadhan. Elles commencent à susciter réactions et débats sur la Toile. Tant mieux, si une certaine effervescence intellectuelle peut nous sortir de la torpeur, de l’été et du jeûne. Je souhaite, pour ma part, qu’elle reste contenue dans les limites de la courtoisie et de l’éthique du désaccord. Je sais gré à toutes celles et tous ceux qui, avec sagacité et intelligence, commentent et critiquent mes propos.
Ceux-ci sont interrogeables et révisables. Ils ne relèvent d’aucun dogmatisme. Et, j’admets volontiers que mes prises de position soient discutables, voire contestables. Je fais mienne cette parole du calife Omar Ier : «Que Dieu fasse miséricorde à celui qui m’offre mes défauts.» En revanche, lorsque les dérapages se produisent et les attaques ad hominem fusent, la diffamation et la calomnie tiennent souvent lieu d’arguments pour faire taire et couper court à toute discussion. Sauf que la prise de parole publique est une responsabilité et il faut l’assumer.
Et, je ne me tairai pas. Je suis mithridatisé contre la malveillance et la bêtise humaine. De toute façon, le silence et la complaisance ont toujours été de discrets facteurs générateurs et amplificateurs des grandes tragédies. Et l’importance de la parole est telle, lorsqu’elle est bonne – et selon la parabole coranique - un bel arbre dont la racine est ferme et la ramure s’élançant dans le ciel,  donne ses fruits à tout instant par la grâce de son seigneur. Et lorsque la parole est destructrice, elle est semblable à un mauvais arbre déraciné de la surface de la terre et qui n’a point de stabilité.
Bien entendu, il faut condamner sans réserve toutes les dérives meurtrières qui s’abattent au nom de la religion et dénoncer l’extrémisme islamiste violent. Qui dit dénoncer, dit aussi annoncer : aucune cause, si légitime soit-elle, n’implique le massacre des innocents. Et surtout que le sacrilège suprême est l’atteinte à la vie. On ne peut pas et on ne doit pas se prévaloir d’un idéal religieux pour semer la terreur et provoquer la haine et le ressentiment.
Après avoir affirmé cela avec force, il est juste et sage de rechercher d’autres voies et d’entendre d’autres voix. Celles qui ne se cantonnent pas à la dénonciation. Celles qui veulent construire des alternatives aux nouvelles nécessités et potentialités du développement humain intellectuel et social. Celles qui fédèrent les forces vives de tous ceux et de toutes celles qui sont porteurs des valeurs d’humanisme de paix, de justice et de fraternité en nourrissant leur espérance.
Celles qui participent au renouveau et à l’éveil des consciences. Cet éveil commence par voir chez soi, en soi, les manquements à l’éthique, les écarts à la sincérité avec soi-même, les fêlures morales. Parce qu’aucune nation et aucun peuple ne changent véritablement si, pris individuellement, les membres de la nation ou du peuple n’entreprennent pas chacun un travail d’introspection intérieure afin de modifier l’inadéquation entre l’hypocrisie ambiante et le ressenti intérieur.
Et, cela commence par réaliser qu’encore de nos jours, dans de nombreux pays, à population majoritairement musulmane, des régimes politiques sévissent sans aucune légitimité démocratique. Ils gouvernent en domestiquant la religion et en idéologisant la tradition. Ils manipulent la révélation pour des fins autres que spirituelles. Les sociétés, elles-mêmes, en sont devenues minées par l’obscurantisme et l’infantilisation des esprits.
Elles n’ont engendré, globalement au risque d’être sévère – que des «diseurs» et jamais ou rarement des «faiseurs». Alors, comment faire pour que la réflexion, précédant l’action, puisse être formulée et exprimée en vue d’être saisie et intériorisée dans une adhésion intime ? Nous poursuivrons cette analyse dans la prochaine chronique en oscillant entre le fait de s’appesantir sur les raisons de cette arriération et ses méfaits et le fait d’ouvrir des perspectives d’avenir et de sortie de crise.
 
Ghaleb Bencheikh

*Ecrivain, essayiste, animateur de l’émission «Islam» sur France 2

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El Watan 27 juin 2015

Chronique. Ghaleb Bencheikh(*)

Hypocrisie et escroquerie


Nous avons évoqué, jeudi, le manque de légitimité démocratique dans la quasi-totalité des pays où la société est majoritairement musulmane. Nous constatons que les régimes s’y prévalent tous de l’islam comme religion d’Etat. C’est même inscrit dans la Loi fondamentale.
En réalité, j’ai précédé «totalité» par «quasi» pour ne pas être injuste vis-à-vis de nos voisins tunisiens et d’autres exemples en dehors du monde arabe, dont le nombre peut être compté sur les doigts d’une main affreusement mutilée.
Certes, la promesse démocratique est une asymptote – comme auraient dit les mathématiciens – et nous y tendons pour en être le plus près possible. Nous mesurons aussi les grandes étapes franchies dans la lente et longue maturité de l’humanité pour approcher ce point à l’horizon dans la gestion des affaires de la cité.
Depuis Solon et Clisthène, qui instaurèrent les fondements de la démocratie athénienne dès le VIe siècle avant l’ère commune jusqu’à nos jours, nous constatons son évolution et comment elle a pu se frayer un chemin entre despotisme et tyrannie.
Tant et si bien que les femmes, les métèques et les esclaves devaient être exclus de l’agora. Plus tard, et bien après la révolution française, nous verrons que le Tocqueville de l’Amérique n’est pas celui de l’Algérie et le Jules Ferry de la Métropole n’est pas celui des colonies où l’école n’était ni gratuite, ni laïque, ni obligatoire… maintenant, la démocratie française fonctionne cahin-caha. Elle est meilleure que celle de Poutine assurément, mais il arrive que les Scandinaves s’en amusent et la trouvent quelque peu affectée…
C’est souligner le caractère intrinsèquement évolutif de la démocratie. Il dépasse le simple formalisme creux du processus électoral. Il ne suffit pas d’organiser des scrutins pour assurer la franchise des résultats et, même si ces scrutins étaient exempts de fraudes, quelle serait leur valeur si ceux qui sont élus n’avaient pas de réelle maîtrise sur le cours des choses ni sur les véritables décisions ? Le cas iranien est un exemple patent.
Le régime des mollahs se targue du respect des échéances électorales et du bon fonctionnement de la machine des différentes consultations, notamment présidentielles, bien que la réélection de Mahmoud Ahmadinejad ait été contestée par les jeunes non sans courage avec leurs cris et leurs pancartes portant l’inscription : «Where is my vote ?» Encore une fois, quel intérêt peut-on avoir d’une élection, fût-elle transparente, si la Loi fondamentale est biscornue avec l’idée du mandat du jurisconsulte : un guide spirituel ayant main basse sur la police et la justice ! Un homme qui ne rend compte à personne !
Nous ne connaissons pas, en contextes islamiques, qu’est-ce la séparation des pouvoirs, ni l’alternance au pouvoir, ni l’équilibre des pouvoirs, ni ce que sont les contre-pouvoirs. Rien de tel n’est connu ni appliqué ni même voulu.
On se gargarise de belles paroles sur l’islam et on ajoute dans une escroquerie morale et intellectuelle que «ceux qui ne gouvernent pas selon ce que Dieu a prescrit, sont des mécréants», en ayant déjà tordu le sens de «juger» et «arbitrer» en «gouverner» et en affirmant avoir pénétré le désir politique de Dieu !
On s’offusque de voir l’épithète islamique accolée à Etat par la monstruosité dénommée Daech, mais on l’accepte lorsqu’elle qualifie la République en Mauritanie, en Iran et au Pakistan. Tout comme on s’accommode à l’idée bizarre qu’un Etat puisse avoir une confession ! A-t-on un jour pris le temps de déconstruire l’article des différentes Constitutions qui stipule que l’islam est la religion de l’Etat ?
Et, nous ne sommes pas à cette contradiction près ni à une hypocrisie de plus.
Actuellement, certains régimes participent à la coalition menée par des «mécréants» qui bombarde justement le prétendu Etat islamique alors que les criminels fous furieux du califat de la terreur appliquent leurs doctrines et soutiennent leurs thèses ! La dite monstruosité idéologique, c’est le wahhabisme en actes, rien d’autre. C’est le salafisme dans les faits, la cruauté en sus.

Ghaleb Bencheikh
*Ecrivain, essayiste, animateur de l’émission «Islam» sur France 2
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El Watan, dimanche 28 juin 2015



Chronique. Ghaleb Bencheikh(*)


Relever le défi de la paix



La scène mondiale a donné vendredi dernier, encore une fois, la représentation générale de la crise aiguë qui secoue le monde islamique. Elle semble échapper à toute perspective de résolution.
Le cauchemar continue. L’abjection et l’ignominie se poursuivent. En plein mois de jeûne – censé être un temps fort de recueillement et de miséricorde - nous apprenons, coup sur coup, trois attentats sanglants perpétrés quasi simultanément en France, en Tunisie et au Koweït. Ils signent la perversion de la tradition et l’inversion de ses valeurs de bonté et d’amour en folie meurtrière.
Et, pour rester dans ce registre tragique rappelant les Tragiques, les condamnations du chœur que nous constituons et les réprobations que nous proférons, n’ont guère d’écho. Sans aucun effet, nous élevons haut nos clameurs, et nous nous lamentons avec les pleureurs. L’horizon paraît opaque et barré par les surenchères radicales et le facteur temporel n’ouvre pas du tout vers un futur prometteur.
Bien au contraire, les perspectives d’avenir sont brouillées par l’immédiateté des évènements retransmis par les moyens de communication sophistiqués jouant un rôle d’amplificateurs. L’intensité de la guerre des images et l’instantanéité des images de la terreur ainsi que la proximité du spectacle atroce qu’elles donnent à voir écrasent toute velléité de recherche de résolution des conflits.
Elles ne laissent place qu’à un émotionnel exacerbé comme unique élément d’appréciation. L’attentisme fataliste pousse les terroristes à sévir.
En effet, on voit mal comment, dans cette désolation, un tiers médiateur réussirait à s’imbriquer dans une confrontation bipartite. D’un côté, ceux qui veulent punir les mécréants, les apostats et les tièdes ; de l’autre les sociétés ouvertes.
L’ensemble produit une étrange impression de faiblesse tout en espérant l’intervention invraisemblable d’un deus ex machina pour qu’une issue à l’impasse puisse être proposée, et pendant que l’attente se prolonge et que l’on s’y installe, l’on se trouve démuni, tétanisé, impuissant en plein désarroi…
La violence religieuse islamiste signe le degré ultime de l’inhumaine cruauté. Quelle réaction pourrait-on alors afficher ? L’éradication totale de la vermine terroriste, à l’évidence, serait-on tenté de répondre spontanément.
Mais que faire encore lorsqu’elle prolifère comme champignons après pluie ? Ce sera monter encore des marches dans l’insensée escalade sur l’échelle de l’effroi et de l’épouvante ! Y a-t-il une réponse qui soit une norme professée ? Y a-t-il une attitude qui fasse sens pour tous ? Non ! Si ce n’est avouer humblement que l’homme musulman n’a pas su relever l’inaccessible défi de la paix et la fraternité universelles, et reconnaître simplement qu’il n’est pas encore arrivé là où toutes les causeries religieuses auraient voulu qu’il fût. A force de vouloir composer avec sa conscience, il finira par décomposer son être profond.
Est-ce à dire qu’il court à sa perte ? Assurément oui, sauf s’il sait s’enjoindre à la patience et à la persévérance.
Les peuples civilisés savent trouver les ressources nécessaires en eux-mêmes pour résister face à la terreur.

Tant que les «nôtres» affichent leur hystérie suite aux caricatures du Prophète, alors qu’ils se terrent depuis des années lorsque leur religion est avilie et pervertie, ils ne sortiront pas de l’ornière. Le salut passe par les manifestations de masse et les démonstrations de force contre la barbarie. Nous devons en apprendre les codes et la tenue.
En attendant, tout doit concourir à faire reculer ces assassins : la répression dans le cadre de la loi et la justice, l’action politique et diplomatique ; la riposte militaire et de renseignement, l’assèchement des flux financiers. Mais surtout, la consolidation des acquis démocratiques, là où ils se trouvent ainsi que l’affermissement et l’ancrage des héritages et des biens culturels avec l’ouverture du champ intellectuel.
La refondation de la pensée théologique viendra sceller, une bonne fois pour toutes,  le sort de l’idéologie islamiste dont l’architectonique ne repose que sur des artefacts fallacieux. Puissions-nous ainsi en finir avec l’hydre de Lerne terroriste.
Ecrivain, essayiste, animateur de l’émission « Islam » sur France 2

Ghaleb Bencheikh
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El Watan, lundi 29 juin 2015

Chronique : Du tout théocratique au tout démocratique




Amis lecteurs, aujourd’hui je souhaite soumettre à votre sagacité la réflexion. J’ai appris que le chef-lieu d’une wilaya des Hauts-Plateaux algériens comptabilise sur son territoire trente-quatre mosquées ! Il n’y a pas un quartier sans sa mosquée propre. C’est que le citoyen doit pouvoir accomplir ses prières dans un lieu de culte en dehors de sa maison avec le confort optimal de ne pas avoir à marcher longtemps. Cela va à l’encontre, d’ailleurs, de l’idée qui stipule que pour chaque pas effectué, le fidèle enregistre une bonne action.

Il récolte une hassana. Dès lors que le musulman est obnubilé par la comptabilité de ces hassanât, il faut bien qu’il augmente son capital de ces bonnes actions, dût-il, pour cela, effectuer des tours supplémentaires autour de l’édifice religieux. Il devrait même opter pour un chemin retour autre que celui de l’aller.

Je ne fais rien d’autre que rappeler ce qui est enseigné du haut des chaires de ces mosquées par des imams «sérieux» et formés et formant à l’éducation religieuse. Ils insistent en ayant puisé dans des livres de jurisprudence islamique ouverts au chapitre – appelé le plus souvent portique – des règles de déplacement aux mosquées, sur le fait qu’il faut entrer par le pied droit dans la salle de prière et réserver le pied gauche aux sanitaires !

En outre, nous imaginons la polyphonie – pour ne pas dire autre chose – des haut-parleurs qui grésillent des appels à la prière et autres causeries religieuses, notamment en ce mois de Ramadhan. L’orchestration de ces logorrhées et le bruit assourdissant - il n’y a pas d’autre mot - qui les accompagne finissent par fatiguer le citoyen et l’abêtir. On pourra m’objecter que tout cela est connu et que m’y appesantir relève du pinaillage et des arguties captieuses.

Sauf que l’ennui réside dans la disproportion dans cette wilaya entre le nombre de mosquées et celui d’autres infrastructures culturelles et de loisirs. Il paraît qu’il n’y a aucune salle de cinéma opérationnelle, ni théâtre, ni opéra ni le moindre auditorium pour accueillir les grands événements musicaux. On s’arc-boute sur une religiosité aliénante et on néglige ce qui permet l’ouverture de l’esprit, éveille la conscience et flatte les sens !

La sortie de l’ornière est à ce prix. La modernité est à ce tribut et elle ne pourra advenir que lorsque la théologie aura déblayé en amont une pensée de la liberté. Aussi le progrès sera-t-il la conséquence heureuse du passage opéré du tout théocratique au tout démocratique où l’impératif absolu du respect de la conscience humaine est non négociable. Il est le préalable à toute œuvre de démocratisation, à commencer par la liberté d’esprit au niveau individuel comme une révolution opérée dans les mentalités, avant de prétendre mener celle des nations entières.

La dignité de l’homme réside dans son aptitude à répondre à l’appel transcendant en homme libre et conscient. Le libre choix politique va de pair avec le libre examen métaphysique. Comment peut-on s’imaginer un instant pouvoir contraindre par la coercition ou par la menace, croire imposer par la terreur et la violence ou même obliger par un simple regard inquisiteur, à ce qui relève en principe d’une adhésion personnelle spontanée, immédiate dans un acte libre d’un ego libre.

Le pire des méfaits serait alors un crime de lèse-conscience.

Il est affligeant de constater que la moindre critique -au sens académique- du corpus religieux ne peut être qu’impiété ! Le recours abusif à la criminalisation de l’hérésie et de l’apostasie comme une massue brisant tout argument contrariant est un scandale intolérable qu’il faut récuser avec force et condamner comme tel. Nous ne voulons plus réciter le commentaire du commentaire, en situant la dévotion dans l’abaissement de l’intelligence et dans l’imitation servile des pieux anciens. Au fond, la question n’est pas tant dans la mosquée que dans ce qui y est enseigné…

Ghaleb Bencheikh

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El Watan, mardi 30 juin 2015

De l’entendement de la laïcité


Nous nous proposons aujourd’hui d’aborder la question épineuse de la laïcité et de la désintrication de la politique d’avec la religion. Et, comme toute question sensible, elle gagnerait à être traitée avec calme et froideur d’esprit.

En effet, ce n’est qu’avec hauteur de vue et distanciation que les études peuvent être menées avec objectivité. Le sujet, de par son acuité et son importance, nécessite de longs développements et des colloques ad hoc, mais je vais à la concision.

Tout d’abord, essayons de comprendre ce qu’on entend par laïcité. Elle n’est surtout pas l’athéisme ni une quelconque idéologie militant pour l’incroyance ou pour l’agnosticisme.

Dans un premier temps, acceptons l’idée que c’est un principe juridique qui permet de «réguler» la cohabitation des sacrés, a fortiori dans une société plurielle, composite, multiconfessionnelle, pluriethnique et diversifiée.

Comme tout principe juridique, il n’a qu’à s’appliquer sans excès de zèle ni densité doctrinale. La laïcité ne doit pas avoir de consistance idéologique ; elle peut se résumer, entre autres définitions, dans la phrase qui suit : «C’est la loi qui garantit le libre exercice de la foi aussi longtemps que la foi ne prétend pas dicter la loi…» Quoi de plus normal dans une société où le droit est positif.

La norme juridique y est une émanation rationnelle des hommes et elle s’applique aux hommes. Le jeu démocratique, lorsqu’il est mené de manière saine, aide à changer la loi. Ce qui a été fait par des hommes pourra toujours être défait par des hommes.

Encore une fois, dans les sociétés libres, démocratiques et ouvertes au sens de Karl Popper, nul ne peut se prévaloir de sa propre métaphysique ni de sa tradition religieuse pour imposer à autrui, et tout particulièrement à ses propres concitoyens, sa vision du monde et sa législation.

La difficulté réside lorsque la société est monocolore sur le plan confessionnel – à supposer que ces sociétés existent encore à l’ère de la mondialisation et de la révolution numérique. Et même pour ces sociétés fermées, nous verrons ultérieurement qu’il vaut mieux pour elles appliquer le principe de laïcité afin de ne pas voir la religion domestiquée, manipulée et idéologisée par le pouvoir politique. Dans ce cas, la laïcité sera comprise comme la déconnexion de la politique de la religion.

En réalité, l’infortune de la laïcité en contexte islamique est due davantage à des considérations sémantiques et de traduction qu’à une opposition au principe même de la laïcité. En ce sens qu’aucune langue véhiculaire de la pensée théologique et politique dans les contrées islamiques n’avait, dans son champ lexical, l’équivalent de «laïcité».

Ni le persan, ni le turc, ni le gujarati, ni l’arabe, ni l’ourdou ne pouvaient en rendre le sens. Ce que d’autres langues pouvaient offrir, à l’exemple de l’allemand, de l’anglais, de l’italien ou de l’espagnol.

Bien que l’on ait trouvé des traces de «laïcité» dans l’œuvre de Montaigne, la première apparition dans un dictionnaire eut lieu dans l’ouvrage d’Émile Littré en 1871 et on la retrouva six années plus tard dans l’addendum de 1877. Ce substantif est construit sur le grec tardif laïkos, lui-même s’enracinant dans le grec ancien laos qui est une des trois dénominations du peuple, à côté de demos et d’ethnos ; ces deux derniers désignent respectivement la population dans la cité, la polis, et l’ensemble des caractéristiques culturelles, tandis que le premier désigne le bas peuple, en opposition aux clercs.

Ce détour par la sémantique est important pour comprendre le signifiant du vocable «laïcité», sa portée historique et son importance dans la science politique contemporaine. C’est ce que nous verrons dans les prochaines chroniques.

Ghaleb Bencheikh

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El Watan, mercredi 01 juillet 2015

Chronique : Revenir aux précurseurs


Poursuivons aujourd’hui la réflexion sur la laïcité et surtout sur son «infortune» en contextes islamiques. Tout d’abord, bien que les précurseurs et continuateurs du mouvement de la Nahda – dans ses sens premier et historique et non pas dans le sens usurpé par les partis politiques islamistes – aient compris l’importance de la laïcité et aient milité pour son avènement, les problèmes ont surgi suite à des considérations relatives à la traduction.

On a rendu le vocable «laïcité» dans les langues pratiquées par les peuples musulmans et donc véhiculaires de la pensée islamique par quelques approximations, voire des barbarismes. Ce qui a donné en langue arabe, par exemple, l’équivalent de «scientisme» et «mondanité» voire une étrangeté du genre «mondité». Ainsi, la véritable signification du terme a-t-elle été détournée. En outre, les commentaires fusaient et allaient bon train pour expliquer le type de gouvernement qui optait pour la laïcité.

C’était, pour certains, le gouvernement de ceux qui ne professaient pas de religion. Cela a été reçu comme une volonté d’imposer l’incroyance et l’irréligion au lieu d’être perçu comme un principe de neutralité quant aux questions religieuses dans la gestion des affaires de la cité. Or les pères de la Nahda l’avaient bien compris et c’est pour cela qu’ils s’étaient réjouis et s’étaient félicités de l’abolition du califat par la grande assemblée nationale turque en mars 1924. Ils avaient même regretté que ce fût aussi tardif.

Parce qu’ils savaient que le califat n’avait aucun caractère sacral. Il commença par la désignation d’un homme Abu Bakr en 632 et finit par l’action d’un homme Mustapha Kemal Atatürk en 1924. Ce n’est pas pour rien que, ayant saisi l’importance de ne pas mêler les questions religieuses aux affaires politiques, Ali Abderraziq a composé son ouvrage célèbre, un an plus tard, avec le titre L’Islam et les fondements du pouvoir. Un ouvrage qui provoquera tout une ébullition et des réactions tumultueuses.

L’auteur a été porté aux nues par les uns et voué aux gémonies par les autres. Mais on pouvait débattre et ce fut argument contre argument avec comme seul arbitre l’entendement. Et ce n’est pas pour rien non plus que Cheikh Abdelhamid Ben Badis avait demandé l’application de la loi du 9 décembre 1905 portant sur la séparation des Eglises et de l’Etat, aux départements outre-Méditerranée. Il ne comprenait pas pourquoi il y eut une dérogation de dix ans prorogée encore dix ans supplémentaires en 1915 avant que le cas exceptionnel de l’Algérie ne fût prorogé sine die en 1925.

C’est parce que le président de l’Association des oulémas algériens n’avait que trop compris l’intérêt qu’il y avait à libérer la religion de la mainmise de l’administration coloniale. Celle-ci tenait les cadis, les muftis et les imams. Il était requérant auprès du conseil d’Etat pour que la loi fût généralisée à l’ensemble du territoire de la République de l’époque.

D’ailleurs, on retiendra pour la postérité, après qu’il a été débouté, cette phrase : «Il ne nous reste plus qu’à compter sur Dieu et sur nous-mêmes et que ce soit dans un Etat laïque, avouez-le, c’est quand même un peu cocasse.» Ce n’est que de nos jours, soit à cause de la méconnaissance du sujet, soit à cause de la mauvaise foi manifeste, que la notion de laïcité est assimilée à l’athéisme et à l’anti-religion. Nous verrons prochainement en quoi tout cela relève de billevesées et de fadaises.

 

Ghaleb Bencheikh



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El Watan, jeudi 02 juillet 2015

Le choix de la facilité et du charlatanisme


C’est dans un souci de laisser décanter les idées, un moment, à propos de la laïcité et surtout pour ne pas utiliser les colonnes du journal El Watan comme un support de cours d’une discipline à l’interface de la science politique et de la philosophie morale -l’effet immédiat serait de rebuter les chers lecteurs- que délibérément, je suspends la réflexion sur la question fondamentale de la laïcité. J’aurai à y revenir. Parce que la comprendre et voir son intérêt est primordial pour notre nation.

Aujourd’hui, la chronique porte sur la religion. Outre son étymologie latine religio, maintes fois ressassée, qui remonte pour la première fois à Cicéron, sous-tendant l’idée de «révérer une  nature supérieure que l’on qualifie de divine et lui rendre un culte», nous connaissons son sens en arabe et en hébreu. Nous n’avons pas à nous y appesantir. En revanche ce que je soumets à la sagacité des lecteurs, c’est ce que les anthropologues du fait religieux appellent la structure ternaire de la religion.

En effet, il y a la religion-force, la religion-forme et la religion comme cadre pour une expérience humaine du sacré et du divin.

 La religion-force se présente toujours en matière de sens comme une référence. Elle offre des réponses aux sempiternelles questions auxquelles l’homme est confronté. Celles des origines, celles de la raison d’être dans ce monde.

Quel sens donner à la vie ? Pourquoi cette aventure terrestre ? Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? Sommes-nous en «absurdie» ou y a-t-il un dessein à ce passage ? La fameuse grande pâque humaine qu’en est-elle au juste ? Et surtout les esquisses de réponses formulées pour les fins dernières et les questions eschatologiques sont bien édictées dans le cadre de la religion-force. D’aucuns appelleront cela téléologie : s’intéresser aux finalités, discourir sur le but de la vie.

Tandis que la rteligion-forme, à son tour, elle se subdivise en trois sous-branches. Ce sont la religion-refuge ; la religion-repaire et la religion-tremplin.

La première est lorsque la religion agit comme un refuge pour les opprimés sur la terre et le lieu d’expression de la détresse des hommes ; la deuxième est lorsque la religion devient un repaire pour les fanatiques et un espace d’évolution pour leurs obsessions extrémistes ; la troisième est lorsqu’on utilise la religion comme tremplin pour tous les carriéristes.

Avec tout mon respect pour les vocations réelles et sincères, je constate le nombre croissant de ceux qui se découvrent  une disposition à tenir un discours creux de type religieux avec emphase pour avoir un ascendant sur leurs semblables et accéder à la «notabilité». Il y a parmi eux des imams ignares autoproclamés. Ils viennent se mêler de la vie quotidienne de leurs coreligionnaires.

Parfois ils s’occupent, dans le moindre détail en s’immisçant dans leur intimité, de ce qui ne les regarde pas. Tout cela,  parce qu’ils ne peuvent pas agir autrement. Et dans la plupart des cas ils ne savent pas faire autre chose. La religion et l’imamat sont devenus le choix de la facilité et malheureusement celui aussi du charlatanisme, de la jactance et de la forfanterie.

Enfin, la religion peut offrir le cadre d’une expérience humaine du sacré et de l’intériorité de l’adoration de Dieu. Le culte voué au Seigneur n’a pas besoin d’ostentation ni d’étalage. Le recueillement et la contemplation des splendeurs de la Création incitent à un authentique ressourcement élévateur et salvateur. Ils induisent une volonté de comprendre le monde et de s’y aider avec le recours à la méditation et la réflexion.

C’est ainsi qu’on acquiert la connaissance et qu’on atteint la quiétude, la paix des cœurs et l’absence de troubles intérieurs. C’est ce que les Grecs appellent l’ataraxie.

Ghaleb Bencheikh



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El Watan, samedi 04 juillet 2015

La guerre n’a jamais été sanctifiée en Islam

(ce titre « Le choix de la facilité et du charlatanisme /2 » est erroné )

Nous sommes arrivés à une situation de délabrement moral et de dégradation éthique telle que notre tradition religieuse se voit flétrie, avilie et pervertie. Nous ne cessons de le dire. Le simple vocable «islam» est devenu anxiogène et synonyme, pour beaucoup de non-musulmans, de violence et de terreur.
Le champ sémantique afférent à la tradition religieuse islamique est totalement piégé et beaucoup d’arabismes qui ont investi les langues européennes, ont été détournés de leurs sens. Ils occasionnent beaucoup de dégâts sur la psyché des lecteurs et des auditeurs au lieu d’ouvrir des débats entre protagonistes du dialogue interreligieux et interculturel. Il est vrai que la méconnaissance du sujet par les faiseurs et relayeurs d’opinion a aggravé la donne.
Le djihad est devenu une «guerre sainte» et le djihadiste un tueur fou furieux assoiffé de sang. La fatwa est synonyme de condamnation à mort. Et, la charia est dans l’imaginaire collectif un ensemble de lois archaïques minorant la femme et autorisant les châtiments corporels et admettant la mutilation des fautifs, contrevenants et autres transgresseurs.
Et, le choix que nous avons maintenant consiste soit à tout faire pour que tous ces termes dévoyés par l’action combinée des idéologues islamistes et les détracteurs de la religion islamique, recouvrent leurs véritables sens dans leur neutralité et les inscrire dans l’histoire ; soit, tout simplement, les abandonner à ce triste sort de mots portant haut l’ignominie et l’abjection.
Allez expliquer que le djihad est l’effort dans la voie de Dieu et notre connaissance des deux djihads, le mineur et le majeur salvateur… Vous ne pouvez convaincre personne. Pourtant la guerre n’a jamais été sanctifiée en islam !
D’un côté, nous ne saurions nous accommoder de cette réalité amère de voir tout un patrimoine corrompu à cause de l’altération de sens des termes essentiels qui l’expriment.
De l’autre, l’entreprise paraît irréalisable du fait de l’ancrage de ces sens dans la compréhension générale que l’on se fait du vocabulaire de la doctrine islamiste voire de la conception djihadiste de l’altérité (je constate que je ne peux que sacrifier, hélas, à l’utilisation de mots dans un sens dont je discute le bien-fondé de sa signification).
Et pourtant, il est de notre devoir de sauver ce patrimoine en mettant en exergue ses valeurs de bonté, de miséricorde et d’amour. La question est d’être ou ne pas être… musulman au XXIe siècle. J’entends par-là : est-ce que le musulman, dans le meilleur des cas, est un homme à la barbe hirsute, à la mine patibulaire, à l’haleine fétide portant un qamis et une calotte vissée sur la tête couleur blanc-sale – dans les deux sens de la teinte – entrecoupant ses phrases par des «ma chaa Allah» et autres locutions empruntées au Coran mais incongrues au discours ? Je ne veux même pas m’attarder sur l’esprit gangrené par les arguties ni sur le cœur rongé par le ressentiment.
Et, est-ce que la musulmane est celle qui, emmitouflée dans un voile long, le traîne dans la poussière parce que, lui a-t-on dit, les anges vont le lui nettoyer ? On lui a inculqué l’idée saugrenue que si un garçon voit ses cheveux elle périt par le feu de l’enfer... J’évoque ces aspects pour ne m’appesantir que sur les SER – les signes extérieurs de religiosité. Malheureusement, une religiosité aliénante et crétinisante.
Ou bien le musulman est cet homme affable, courtois, élégant propre sur lui, d’une grande patience devant l’adversité, faisant preuve de générosité d’âme et de noblesse de cœur.
Humaniste et spirituel. Amoureux de l’art et de la beauté. Sensible à la poésie et à la musique. Eduqué et bien instruit, ouvert sur le monde et avide de savoir. Je rêve de la musulmane comme une femme d’intelligence, de charme et d’esprit, respectée et respectable dont l’honneur, la pudeur et la bonne éducation constituent le voile sans qu’il soit nécessairement médiatisé par un tissu. A suivre.
Ghaleb Bencheikh

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El Watan, dimanche 5 juillet 2015

Chronique : Absence de distance critique

Les puristes de la langue française tiennent parfois à souligner qu’il est d’usage de commémorer dans le recueillement ce qui a dû attrister et de célébrer dans l’allégresse ce qui a pu réjouir dans le passé. En réalité, en ce qui concerne le sens étymologique, il s’agit de remettre en mémoire pour le premier verbe. Il vient du latin commemorare signifiant «se rappeler de».
Le second verbe annonce le fait d’«accomplir solennellement une action» ou «fêter un événement» ou encore «faire publiquement l’éloge de quelque chose». Alors, de ce point de vue et tout en implorant ton indulgence, ô ami lecteur, pour mes élucubrations, je ne sais pas s’il faut commémorer ou célébrer la bataille de Badr ?
En revanche, ce que je constate, c’est que chaque année que Dieu fait, on commémore par une célébration dans toutes les mosquées du monde le dix-septième jour du mois de Ramadhan par des causeries et des leçons évoquant la victoire éclatante des primo-musulmans contre les mécréants mecquois. C’est l’exercice auquel se sont livrés tous les imams – ou presque – hier. Certains parmi eux, ont mis à profit, dès la veille, la prière communautaire du vendredi pour articuler leur sermon du haut de la chaire autour de cet événement majeur dans ce que nous pourrions appeler -certes abusivement- «l’histoire sainte» des musulmans.
Il est vrai que la révélation coranique s’en est fait l’écho dans les sourates III et VIII, celle de «la famille de `Imran» et celle du «Butin». Au fond, il n’y a rien de particulier dans ces passages, n’eût été la facture martiale qui caractérise l’enseignement qui en avait été déduit. Aucun prédicateur ne fait preuve de pédagogie afin de savoir, encore une fois, relativiser le texte à son contexte et ne jamais l’utiliser comme un prétexte pour un nouveau contexte.
Au lieu de ramener la présentation des faits dans le récit général de la geste prophétique, voilà que nos prêcheurs nous les exposent comme des opérations de portée atemporelle et anhistorique ayant valeur d’injonctions permanentes. C’est un ordre perpétuel intimé à tout musulman de l’exécuter afin de faire éclater la vérité de Dieu. Le plus souvent, une exégèse des premiers versets de la sourate du «Butin» se fait avec des identifications à des situations contemporaines.
Au mieux, on fait mine de s’accommoder de ces harangues belligènes sans s’y attarder ; au pire, beaucoup les prennent au pied de la lettre et veulent revivre l’épopée dont l’issue heureuse est garantie par le divin. Et, comme on a toujours plus radical que soi, le fameux triangle anthropologique, cher à notre regretté Mohammed Arkoun, «Vérité – Sacré – Violence», se mettra à fonctionner de plus belle dans la légitimation par le théologique des différents recours à la violence guerrière.  Ces causeries insistent sur le caractère transposable de cette bataille dans tous les contextes sans aucune distanciation ni considération éthique.
En outre, ce qui me paraît problématique dans tout ce discours est l’absence de distance critique vis-à-vis des sources secondaires. Ne pas disséquer au scalpel au XXIe siècle ce qu’ont pu nous raconter Ibn Ishaq (m. 767) et son disciple Ibn Hicham (m. vers 832) et ne pas broyer par la machine de l’entendement les narrations de Tabari (m.923) à ce sujet, reviennent à rester dans la «pensée magique». Continuer, de nos jours, à expliquer avec moult détails l’assistance prodiguée par Dieu par la cohorte d’anges aux combattants musulmans qui avaient vaincu les mécréants mecquois, n’est pas fait pour aider à sortir de la «raison religieuse».
Celle-ci fonctionnait longtemps en frappant l’imaginaire. Elle a comme expédient le merveilleux, l’extraordinaire, le surprenant et l’irrationnel. La «raison pure» a d’autres procédés et d’autres moyens pour instruire et édifier avec symbolisme, métaphores et représentations allégoriques. Nous verrons ultérieurement ces questions relatives à la rationalité moderne…

Ghaleb Bencheikh
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El Watan, lundi 06 juillet 2015

Le temps d’après


La chronique d’aujourd’hui n’est pas de la même veine que les précédentes. Exceptionnellement, elle se veut comme une réaction à une réaction. C’est ce qu’on appelle interactivité.
C’est ainsi qu’un dialogue s’instaure via un média de référence respectable et respecté – le journal El Watan – prenant à témoin l’ensemble des lecteurs. Il se trouve que l’un d’eux, a priori désabusé, déplore l’arrivée tardive d’une chronique dont le contenu ne fait que poursuivre la dénonciation formulée depuis plusieurs années.
La même scansion est ressassée avec toutefois une nouveauté. Elle résiderait dans l’habillage de mots savants d’une même réalité. Une réalité connue de tous, celle, dit-il, des dérives d’un islam de slogans...
Notre ami lecteur a raison. Le discours imprécatoire ne règle rien et la «leçon» incantatoire ne fait jamais avancer ni les choses ni les idées. En outre, ni les jérémiades ni les pleurnicheries ne sauraient être des réponses à la hauteur de ces enjeux de civilisation – et le mot dépasse de loin l’acception que s’en fait Manuel Valls…
Il faut bien une autre vision, une proposition pour ne pas dire une mission, et cesser de se lamenter sur le sort en optant pour des alternatives.
Quant aux mots savants, ils ne relèvent pas d’une volonté de convoquer les annales de l’école pratique des hautes études dans les colonnes du journal, mais, tout de même, il faut cesser le nivellement par le bas. Les lecteurs sont en droit d’avoir une présentation rigoureuse et bien conçue.
Toujours est-il que l’important est la suite. Le temps d’après. Celui qui vient après le constat. Celui du traitement. Et, nous y sommes. Nous avons investi, justement du temps et de la réflexion à poser le bon diagnostic, toujours en vue de trouver la médication appropriée. Celle-ci va être administrée dans un contexte difficile. L’absence de démocratie et de l’Etat de droit, en dépit des logorrhées habituelles, favorise l’alliance objective entre le radicalisme religieux et le despotisme. De fait, la situation est celle de la fameuse «solidarité infernale» entre le dogmatisme et l’autoritarisme.
En effet, la corruption, la concussion, la gabegie, les malversations et l’incurie organique de l’Etat ne peuvent que susciter et conforter les thèses radicales et les chimères fondamentalistes. Aussi, pour rompre cette alliance et briser cette solidarité, faut-il déjà produire de la pensée juste et saine. Parce que, une pensée mutilée ne peut mener qu’à des actions mutilantes…
Mais, qu’est-ce déjà une pensée ? C’est tout d’abord, dans sa définition philosophique, le discours intérieur de l’âme qu’elle tient en silence avec elle-même. Elle est, ajoute Platon, le dialogue entre la sagesse et la science qui s’instaure en toute liberté.
Et nous avons besoin de cette liberté pour réfléchir, penser et forger des idées claires. La pensée doit être effectivement libre, émancipée, affranchie de toute contrainte et ne doit obéir à aucune injonction. Elle doit être sans limite dans le for intérieur. Sauf qu’en même temps, la pensée peut-elle être produite en dehors de son contexte ? Est-elle vraiment libre de tout conditionnement ? Ne subit-elle pas des influences, n’est-elle pas déterminée ?
Nous ne voulons pas perdre de vue ces considérations par rigueur intellectuelle et par probité morale.
Pourquoi exprimons-nous ce que nous disons ? Quelles sont nos motivations ? Quelles sont les finalités de notre pensée ? Autant de questions que nous nous devons de poser.
De toutes ces réponses découlera le plan d’action.
 Ghaleb Bencheikh


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El Watan, mardi 7 juillet 2015

Chronique : Sortir des ténèbres d’une triple ignorance

Nous avons abordé à la fin de la chronique précédente, entre autres questions, celle, fondamentale, de la liberté de la pensée et sa circulation. En effet, elle est primordiale dans toute entreprise intellectuelle, elle-même nécessaire comme un prérequis de taille pour toute sortie de l’ornière dans laquelle nous nous vautrons depuis des lustres. Et nous ne le savons que trop bien.
En réalité, ce qui est sûr – et nous devons le reconnaître dans la froideur d’esprit – c’est qu’il y a un abîme entre d’un côté, les prétentions de la tradition islamique à expliquer le monde et la représentation qu’elle s’en fait et de l’autre, la marche effective de ce monde et son état réel. Le décalage entre les satisfactions et contentements répétés à l’intérieur de la sphère islamique, combinés au mépris et au dénigrement systématique de tout ce qui lui est extérieur, est patent.
Aussi sommes-nous en droit, nous autres humains, qui vivons sur une même planète et voguons dans un même vaisseau, de voir comment combler ce déphasage. Tout comme nous avons, en tant que musulmans, le devoir d’œuvrer inlassablement afin de sortir de la crise systémique et ses convulsions paroxystiques qui secouent et tiraillent le monde arabo-islamique.
Et cela commence par la pensée libre, nous l’avons déjà posé comme un préalable indélibéré et non négociable. Et cette pensée doit être – pour rester dans un registre arkounien1 – non seulement libre de toute entrave mais aussi subversive. Ici, la subversion est à prendre dans son sens premier : du verbe subvertir, c’est-à-dire renverser un ordre et bouleverser un état de choses. Parce qu’il nous faut une investigation dé-constructrice de tout un patrimoine calcifié et un examen dévastateur de l’amoncellement du commentaire qui s’ajoute aux commentaires.
Il s’agit de sortir des ténèbres d’une triple ignorance aux lumières de la science et de la connaissance, selon la formule consacrée. Tout d’abord, nous pâtissons de la sainte ignorance. Celle-ci garantit par le divin ce que des protagonistes politiques et des acteurs sociaux ont construit, manipulé, transfiguré, instrumenté, idéologisé et domestiqué à travers l’histoire.
Malheur à celui qui ose remettre en cause les «vérités intangibles» établies une bonne fois pour toutes par les sciences traditionnelles, alors qu’elles ne sont qu’une construction humaine. Or, ce qui a été fait par des hommes peut être revu et défait par d’autres hommes, conformément à la parole de Abu Hanîfa (m. 767) le maître-éponyme de la première école juridique d’obédience sunnite. Il disait de ses prédécesseurs : «Ils furent des hommes et nous sommes des hommes…»
Ensuite, nous souffrons aussi de l’ignorance institutionnalisée. En ce sens que les moyens de l’Etat et d’autres institutions sont mis au service d’un enseignement, voire d’un endoctrinement voulu et/ou subi qui ne résistent pas à l’analyse ni à l’examen sérieux. A ce sujet, les deniers publics et les produits du mécénat privé sont investis pour édifier des mosquées où l’on enseigne parfois des «mensonges» au regard de ce que les données de la science moderne expliquent.
Enfin, nous endurons ce qu’on appelle l’ignorance complexe. C’est que nous ne savons pas et nous ne savons que nous ne savons pas. Alors, la pensée subversive aura à déconstruire – au sens du philosophe Jacques Derrida – tout ce qui a pu concourir pour assoir et aggraver cette triple ignorance. Le programme est dense et le chemin qui y mène paraît sinueux et escarpé. Nous verrons sa mise en application dans les chroniques à venir.


Ghaleb Bencheikh




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El Watan, mercredi 8 juillet 2015

Chronique. Ghaleb Bencheikh(*)

Rattraper le retard

Afin de rester toujours dans le registre du discernement et de la lucidité, nous passons en revue, dans la chronique d’aujourd’hui, une des raisons principales de la décadence que connaît actuellement le monde dit arabo-islamique.
Elle est assurément d’ordre intellectuel. Si nous devions aller à l’exhaustivité, difficile à réaliser dans ce domaine, il nous faudrait signaler, en même temps, le faisceau des facteurs convergents qui ont tous concouru d’abord à la stagnation puis au déclin et enfin à la régression tragique.
Ils sont d’ordre politique, théologique, culturel, économique, militaire voire géographique ! Nous n’aurons pas à les développer ici. Arrêtons-nous simplement sur les considérations intellectuelles et les idées de la pensée libre.
Et essayons de comprendre comment cette pensée libre a pris son envol en Europe occidentale alors qu’elle s’exerçait ouvertement avec audace et hardiesse en contexte islamique.
Il est indéniable que la séquence historique «moment Descartes» – «moment Freud» eut lieu en Europe avec les abondantes productions philosophiques que nous connaissons et que nous sommes en droit de critiquer – au sens académique, a posteriori, pour peu que nous nous donnions les moyens intellectuels de le faire.
Et, nous ne pouvons pas rester, pour la même époque,  indéfiniment arc-boutés, dans une apologie mièvre, uniquement sur l’œuvre du grand Mollâ Sadra Shirazi, en ignorant  superbement ce que le génie humain a pu produire ailleurs.
Pis encore, il nous arrive de dénigrer injustement ces productions sous prétexte qu’elles ne sont pas islamiques. Pourtant, la divergence au niveau des idées s’est étalée depuis cette époque. Dans un cas, une réelle effervescence cérébrale et conceptuelle, dans l’autre un encéphalogramme plat traduisant une réelle paresse.
Au mieux, une imitation non examinée de l’œuvre des Anciens. A ce sujet, l’exemple de deux contemporains, à une vingtaine d’années près, est édifiant. Par-delà l’espace qui les séparait, ils étaient tous les deux fils de ce XVIIIe siècle qui a vu l’éclosion des Lumières avec sa devise «sapere aude», une locution latine empruntée au poète Horace, rendue par «ose penser par toi-même». Cette expression injonctive implique l’amorce d’un mouvement de la sortie de l’homme de sa minorité. «Aie le courage de te servir de ton propre entendement !» il n’y a pas meilleur impératif pour se soustraire à l’argument d’autorité.
Revenons à nos deux protagonistes, le premier (1703-1792) n’a pas trouvé mieux que de composer, à côté de traités relatifs au monothéisme, des ouvrages portant notamment sur les grands péchés, sur la façon dont il convient d’aller à la prière, sur la manière d’effectuer les ablutions, etc. ; le second (1724-1804) a eu comme centres d’intérêt et de réflexion des sujets voulant dépasser le dogmatisme tels que la religion dans les limites de la raison, critique de la raison pure.
On l’aura deviné. Le premier n’est personne d’autre que Mohammed Ibn Abdelwahab ; le second est Emmanuel Kant. Sans vouloir charger l’un nécessairement et encenser l’autre plus que de raison, force est de constater que nous ne sommes pas allés loin avec les thèses wahhabites, et nous reconnaissons l’impact considérable de l’œuvre kantienne sur la philosophie occidentale.
Alors, une fois ce constat fait, il ne nous reste plus qu’à nous atteler à la grande entreprise qui consiste à rattraper l’immense retard que nous accusons depuis au moins le temps de nos deux personnages.

* Ecrivain, essayiste, animateur de l’émission «Islam» de France 2
Ghaleb Bencheikh


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El Watan, jeudi 9 juillet 2015

Transgresser des tabous pour résister à l’aliénation

D ans le sillage de ce que nous évoquions hier, ce sont la suspicion dans laquelle étaient tenus les philosophes occidentaux et la défiance vis-à-vis de leurs œuvres qui ont aggravé l’état d’indigence intellectuelle et de déshérence culturelle que nous connaissons dans le monde arabo-islamique.
A ce sujet, et prenant en considération une interrogation d’un lecteur peu amène qui s’étonne, entre autres récriminations, pourquoi c’est l’adjectif «islamique» et pas «musulman» qui vient qualifier le monde. La réponse est tout simplement : parce que le monde n’est pas un être doué de raison ni animé d’une vie comme les personnes humaines.
Chez les puristes, in fine, ce sont les hommes et les femmes puis les communautés et les peuples qui, en toute rigueur, sont désignés par le terme «musulmans» et le reste sera qualifié d’islamique. La digression n’était peut-être pas nécessaire mais elle aura permis de préciser l’emploi de ces adjectifs une bonne fois pour toutes.
Toujours est-il que ce qui nous importe maintenant, c’est comment, dans la suite de l’œuvre de ce qu’on appelle les maîtres du soupçon que furent Marx, Nietzsche et Freud, nous pourrions transgresser des tabous. Le but n’est pas une recherche d’une quelconque jubilation blasphématoire à le faire ni de commettre quelque sacrilège, mais la finalité de cette transgression est d’oser interroger les présupposés philosophiques et métaphysiques de tout ce qui a été enseigné, inculqué, appris et sacralisé par des siècles de mimétisme et de représentation figée, au mieux reproduite à l’identique.
Parce que, dans certains cas, la régression est tragique, à l’exemple de ce que pourrait dire un imam autoproclamé ignare de nos jours et qui révulserait un Djamel Eddine Al Afghani ou un Mohammed Abdou, dont les fatwas sont totalement oubliées. Le cheikh d’Al Azhar, pour ne citer que lui, ne s’accommodait pas en son temps du régime matrimonial basé sur la polygamie qu’il avait interdite. Et il n’était pas rebuté par le prêt à intérêt qu’il avait autorisé. Comme il avait permis aux musulmans en dehors des contrées islamiques à manger de la nourriture non halal. Il le faisait et agissait comme une autorité religieuse disant le droit.
Aussi la transgression dont nous parlons se présente-t-elle comme une déclaration de résistance face à l’aliénation. Elle sonne comme un refus de se laisser embourber dans les méandres de la crétinisation des esprits et de mettre fin à la régression tragique.
Les dégâts terribles sur la psyché des musulmans sont occasionnés par le charlatanisme généralisé à base de ruqia, de djinns, de Gog et Magog et de tourments de la tombe. Le discours ambiant ne porte en gros que sur les signes avant-coureurs de la fin des temps. Eh bien, l’enfreindre et y contrevenir dans son littéralisme abêtissant est une action salutaire.
Elle s’apparente au coup de bambou que donne le maître lama au bonze pour le faire sortir de sa méditation. Alors que dire, s’il faut faire sortir toute une nation de sa léthargie. Une léthargie rendue possible à cause du sommeil de la raison.
Et, lorsque celle-ci se réveille, elle se teinte de religiosité. La visée de cette «désobéissance» est d’en finir avec «la raison religieuse dévote» et de contenir «la pensée magique». C’est ainsi que nous sortirons des clôtures dogmatiques, toutes, quelles qu’elles soient y compris celles de l’esprit moderne.
C’est avec audace que nous nous affranchirons des enfermements doctrinaux et c’est avec fermeté et confiance que nous pourrons dégeler les glaciations idéologiques religieuses. Cette manière d’agir conforme à la vocation, à la tâche et au rôle de l’intellectuel engagé permet, comme le disait Si Mohammed Arkoun – Allah yarhamou –, de libérer l’esprit de sa prison. Et ce n’est pas rien par les temps qui courent.
Ghaleb Bencheikh

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El Watan, samedi 11 juillet 2015

Chronique de Ghaleb Bencheikh



En raison de contraintes personnelles, Ghaleb Benchikh ne peut pas assurer sa chronique quotidienne sur El Watan pendant quelques jours. Toutes nos excuses à nos lecteurs.
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El Watan, samedi 11 juillet 2015

Chronique : Modus operandi pour sortir de la crise


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El Watan, mercredi 15 juillet 2015

C’est avec plaisir que je renoue le lien avec les lecteurs du journal après une interruption momentanée. Elle est due, en réalité, à un déplacement à l’étranger pour une série de conférences. Et, comme nous arrivons au terme de nos rencontres, il nous paraît judicieux de proposer, dans une vision prospective, des voies à emprunter afin d’émerger et de respirer un air moins vicié que celui qui nous imprègne. L’air de la religiosité aliénante est confiné sous la cloche des commentaires lénifiants et stupéfiants.
Le modus operandi, qui doit se mettre en place, pour sortir de la crise, aura à passer par trois phases essentielles : la première étant celle de ce qui a été désigné précédemment par «la transgression» avec toutes les implications qu’elle induit. La deuxième phase est celle qui voit l’application d’un concept appelé «le déplacement» dont nous nous proposons de passer en revue les grandes lignes aujourd’hui. Et la troisième, définie comme l’étape du «dépassement» sera explicitée demain.
En réalité, il s’agit d’une triade de portée épistémologique considérable que nous empruntons au regretté professeur Mohammed Arkoun, lui-même l’ayant reprise de son maître et ami Claude Cahen. Il s’agit effectivement d’un triptyque dont les volets sont des verbes à l’infinitif : transgresser, déplacer et dépasser. La transgression des tabous lève les inhibitions imposées quant à l’élargissement du champ d’étude et de recherche. Et s’il faut que l’investigation soit dévastatrice de l’amoncellement de toutes les fadaises et de toutes les impérities, il faudra y aller sans hésitation aucune. C’est même son but recherché.
Parce que, face au sacrilège suprême que sont les attentats contre la vie au nom de la révélation coranique, nous sommes en droit de vouloir comprendre, d’essayer de saisir et de cerner toutes les causes ainsi que les conséquences d’un tel détournement du message révélé qui se veut avant tout un enseignement d’amour, de bonté et de miséricorde. Pour cela, nous devons orienter les préoccupations des chercheurs et des islamologues vers la consolidation des assises de la connaissance au lieu de les voir courir après la confirmation de la croyance. Pour l’heure, ils veulent surmonter leurs inquiétudes devant la filiation des textes en corroborant leur authentification.
Or, il faut savoir «déplacer» l’étude du sacré vers d’autres horizons cognitifs et porteurs de sens et d’intelligence. Quand saurions-nous problématiser les questions relatives à la foi et à la croyance ? Pourtant Saint-Anselme de Cantorbéry (1033-1109)  enseignait déjà fides quarens intellectum, la foi est toujours en quête d’intelligence. Sa parole entre en résonance avec l’aphorisme de la tradition islamique qui requiert que tout ce que l’entendement humain n’accepte pas n’est pas religion… toute la batterie de disciplines sera mise au service de cette compréhension intelligente de la foi au même titre que ce que firent les exégètes et les commentateurs de l’époque classique.
Ils surent tirer profit de l’état d’avancement des connaissances en leur temps et aiguiser en même temps l’outillage intellectuel qui fut à leur disposition. Pourquoi, alors avons-nous cryogénisé cette pratique ? Sachant que l’une des définitions de la théologie est l’intelligibilité de la foi mise l’épreuve du temps, outre discourir sur Dieu et tenir un logos sur le divin. Il en est de même pour nous de nos jours, l’islamologie a besoin de toutes les SHS, les sciences de l’homme et de la société, pour progresser sur des bases scientifiquement établies et faire comprendre intelligemment les problématiques de la foi et les caractéristiques de la croyance.
A l’université en contexte islamique d’assumer ses responsabilités et de jouer ce rôle. Ainsi, la sémiotique, l’herméneutique, la médiologie, l’historiographie, la philologie, la grammaire, la linguistique, l’anthropologie du fait religieux, l’exégèse moderne, la paléographie, la codicologie sont-elles autant de disciplines qui doivent concourir à comprendre le patrimoine religieux islamique.

Ghaleb Bencheikh

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El Watan, jeudi 16 juillet 2015

L’humanisme d’expression arabe doit être réactivé

Avec cette dernière chronique nous arrivons au terme de notre rencontre quotidienne tout au long de la lunaison Ramadhan – interrompue, certes, momentanément pour des raisons de logistique et de contingences de temps suite à un voyage.

A l’instar des expériences précédentes, cette relation interactive établie avec les lecteurs a été un concours précieux pour l’élaboration de ma petite réflexion. Je leur en sais gré pour cet enrichissement et pour tous leurs témoignages qui me dépassent et me confondent.
Aujourd’hui, nous évoquons le troisième volet du triptyque.
Celui du dépassement. Parce qu’il est temps de dépasser, et nous l’avons souligné à maintes reprises, la «raison religieuse dévote». Il est temps d’en finir avec «la pensée magique» et d’endiguer la déferlante du charlatanisme qui gangrène les esprits dans les mosquées et via les canaux satellitaires.
Mais s’il ne devait y avoir qu’un seul domaine qu’il faut dépasser ce serait celui des systèmes juridiques dont les fondements théologiques sont de plus en plus ébranlés.
En effet, la production du droit ne peut plus être, de nos jours, arrimée à des concepts théologiques vermoulus et minés par la vision fixiste et surannée de la société. Il est des cas où le droit corsète, régule et libère la société.
Comme il en est d’autres où l’évolution de la société impose un accompagnement juridique que la fameuse charia dans son corpus actuel n’a pas prévu. Aussi, s’agit-il de dépasser finalement la «juridicisation» de la révélation coranique. Il n’y a aucune cohérence ni intelligence à essayer d’y référer par des distorsions singulières le droit maritime, le droit des assurances ou celui des arsenaux nucléaires, par exemple.
Depuis le code de la route jusqu’au droit de la militarisation de l’espace en passant par celui d’internet ou celui des effets du génie génétique, ce sont des législateurs humains qui produisent du droit positif.
Certes, on pourra toujours arguer qu’ils le feront toujours en s’adossant à des principes métaphysiques transcendants, mais il n’en demeure pas moins que la norme juridique est une émanation rationnelle de l’esprit des hommes pour s’appliquer aux hommes. A cet égard, dans une démocratie saine, ce qui a été fait par des hommes pourra être défait par d’autres hommes pour peu que le jeu démocratique soit constructif et cherche l’intérêt général.  
En évoquant la raison, il ne s’agit pas de magnifier outre mesure celle qui, instrumentale, ne nous avait pas prémunis contre le nazisme ni le bolchévisme, ni le totalitarisme.
Il s’agit enfin de dépasser la raison raisonnante elle-même, froide et duale, à double critère fonctionnant avec un tiers exclu. L’esprit humain aiguisera, pour notre temps, une nouvelle raison.
Ce sera l’émergence d’une rationalité méta-moderne. Elle assumera le bien et le mal. Elle subsumera la violence et l’insécurité. Elle comprendra la mystique au-delà de l’utile et de l’inutile. A l’ère de la révolution numérique et de l’interaction des blogosphères, la raison émergente saura allier, à la fois, les ressources inventives de la technoscience, de l’intelligence artificielle et de la nanotechnologie avec la soif inextinguible de spiritualité et l’invariant besoin de transcendance.
Elle permet surtout la critique de la norme juridique en contextes islamiques. Cette critique est nécessaire et salutaire. Et, les tenants de l’application de la charia dans son sens drastique ne trouveront rien à appliquer si ce n’est, in fine, la minoration de la femme, dans les questions relatives au statut personnel et à la dévolution successorale.
Ce qui est foncièrement inique de nos jours et attentatoire à la dignité humaine dans sa composante féminine. Et il n’y a aucune raison de l’accepter.
L’humanisme d’expression arabe qui a prévalu en contextes islamiques doit être réactivé. En dignes héritiers d’Al Asma`î, d’Al Jahiz, de Miskawayh et de Tawhidi, nous devons œuvrer pour remembrer beaucoup de sociétés disloquées et aider les peuples qui ahanent sous des servitudes renouvelées à s’affranchir par la connaissance en laissant place à la beauté et à l’intelligence. 
Ghaleb Bencheikh
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DERNIER ARTICLE (l’aïd = vendredi 17 07 2105)

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