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jeudi, mai 30, 2013

397- Boualem Sansal. Succession en Algérie: "La pièce est écrite depuis longtemps"


Boualem Sansal au quotidien Le Monde daté 29 mai : "La pièce est écrite depuis longtemps"


Armée, islamisme et Bouteflika : bienvenue chez les Borgia : c'est sous ce titre que l'écrivain Boualem Sansal intervient dans le débat de l'heure sur le quotidien français Le Monde.

Par Boualem Sansal (Ecrivain)
Franchement, je ne suis pas particulièrement excité à l'idée d'écrire un papier sur l'Algérie. Il ne se passe rien dans le pays, je veux dire de neuf, de piquant, quelque chose qui date de ce siècle, qui interroge l'avenir et fait vibrer les jeunes. Des articles pour dire qu'il ne se passe rien de neuf, j'en ai écrit des tas ces douze dernières années, ils n'ont jamais rien appris à personne. Toujours les mêmes vieilleries, du réchauffé, des rumeurs de harem, les sempiternels trucages, des rodomontades d'anciens combattants, des discours creux, des successions poussiéreuses entre vieux de la vieille. Pff, c'est ennuyeux à mourir.
Je voudrais pouvoir parler de choses belles et neuves, mais ça n'existe pas, ça me rend triste. Il y a trois raisons à cette misère lancinante : l'armée, l'islamisme et Bouteflika. Il faut les voir un à un et les considérer ensemble dans leur relation intime. Nocifs, ils le sont pareillement, mais leur rapprochement est atomique, c'est la réaction en chaîne, l'apothéose du "Mal", et une radioactivité installée pour des siècles. Cela, chacun le sait, depuis toujours. Je l'écrivais déjà en 2000. Je n'étais pas le premier. En 1964, deux années à peine après l'indépendance, Mohamed Boudiaf, opposant lumineux au régime noir d'Alger, réfugié au Maroc, publiait un livre, Où va l'Algérie ? (Editions Librairie de l'étoile), dans lequel précisément il s'interrogeait sur l'avenir du pays qui pourtant avait fait de la planification socialiste et de l'héroïsme au travail sa ligne de conduite. Il n'a rien vu de rassurant. Boudiaf est le premier révolutionnaire algérien : en 1954, il a créé le Front de libération nationale (FLN) et déclenché la lutte armée contre la France. A l'indépendance, écoeuré par les agissements des nouveaux dirigeants de l'Algérie, enivrés par le pouvoir, il les dénonça et dut fuir à l'étranger pour échapper à leurs tueurs. Ils le rattrapèrent trente-huit ans plus tard, l'attirèrent dans un guet-apens et l'assassinèrent d'une rafale dans le dos, sous le regard effaré du public et des caméras. C'était le 29 juin 1992, il avait 73 ans. Crime parfait, on connaît les assassins, trois généraux, on sait où ils habitent, où ils travaillent, mais aucune justice ne peut les atteindre. Même le diable a peur d'eux. Ces messieurs ont vieilli, ils ont tous le cancer et des cirrhoses carabinées, mais leurs enfants sont là, beaux, brillants, polyglottes, efficaces comme des managers de multinationale, ils trafiquent avec le monde entier ; ces dernières années ils le font avec les Chinois, les Russes, les Hindous, les Turcs, et l'incontournable Dubaï. On travaille en confiance avec eux, ils ne collaborent jamais avec la justice internationale. L'argent, ils le gagnent là mais le dépensent en Occident, où la démocratie sait protéger les riches et les voleurs. Ils y retrouvent leurs copains, les fils de dictateurs, les Kadhafi, les Moubarak, les Trabelsi, les Wade, les Bongo... avec qui ils font du business et prennent du bon temps dans les boîtes à la mode. Pour eux, le pays de papa n'est qu'une planche à billets.
Massacres aveugles 
Après dix années de terrorisme et de massacres aveugles, les islamistes ont compris le sens de l'histoire, ils ont abandonné les maquis des montagnes et intégré les maquis des villes. Ils ont pignon sur rue, ils tiennent la quasi-totalité du commerce de gros et demi-gros. Voici le deal que les généraux ont conclu avec eux avant de signer la loi d'amnistie générale, appelée "réconciliation nationale" : les généraux tiennent le haut bout de la chaîne de l'argent – ils contrôlent la Sonatrach, les banques, décident la politique économique du pays, imposent les modalités budgétaires, fiscales et autres. Ainsi, ils connaissent d'avance ce qu'ils vont gagner et ce que le peuple va perdre ; les barbus tiennent l'autre bout de la chaîne, ils réceptionnent les conteneurs des généraux, répartissent la cargaison entre leurs émirs et leurs troupes. Avec les miettes, ils dotent les mosquées et aident les pauvres à survivre. En plus d'une portion de la rente, ils ont aussi leur quota de ministres, députés, sénateurs, ambassadeurs, hauts fonctionnaires. De cette façon, ils font le lien avec l'internationale islamiste pour leur compte et pour le compte des têtes pensantes de la junte militaire. Et tout là-haut, replié en son palais blockhaus, imprévisible et redoutable, il y a Bouteflika. Sa maladie mystérieuse et son air hagard ajoutent à la menace. En fait il faut dire "les Bouteflika". Abdelaziz n'est rien sans sa fratrie autour de lui. C'est un peu les Borgia, ces gens, en plus fort. Le plus efficace est le cadet, Saïd, un génie de l'intrigue. Il n'a pas de fonction officielle mais il décide tout, surveille tout. On dit qu'il est féroce. Les ministres pissent dans leur froc quand il les convoque. Les généraux le détestent, un jour ils le tueront. Dès qu'Abdelaziz rendra l'âme, Saïd le suivra dans la tombe. Les dossiers qu'il a constitués ne l'aideront pas, la justice les réfutera. Le président, qui a l'esprit dynastique, lui a confectionné un puissant parti pour le soutenir, dirigé par des apparatchiks capables de faire élire n'importe qui à n'importe quel poste ; ils feront barrage contre les généraux et les islamistes, mais au final ils trahiront, c'est la règle. Le pauvre Saïd aura du mal, voler dans l'ombre du frère président est une chose, voler de ses ailes sans bouclier ni parachute en est une autre. En attendant, tout ce beau monde amasse de l'argent par camions, c'est le carburant des guerres à venir. Grâce à Dieu, le prix du baril tient la cote, l'argent coule à flots, la réserve déborde de partout. Jusque-là, il a permis une cohabitation acceptable, personne n'est vraiment lésé, les milliards qu'on nous chaparde le matin, on les refait l'après-midi. Et voilà, nous avons tous les éléments de la pièce qui va se jouer dès l'annonce de la mort d'Abdelaziz Bouteflika : les acteurs, l'intrigue, le décor, les figurants. Il y a les parrains des uns et des autres, Français, Américains, Russes, Saoudiens, Qataris, mais on ne les voit pas, ils sont derrière le rideau.
En vérité, la pièce est écrite depuis longtemps et se joue déjà dans les coulisses, les trois coups ont été frappés à l'instant où Bouteflika a été évacué à Paris, dans son hôpital préféré du Val-de-Grâce. Ombres, murmures et courants d'air. On pourrait se poser les questions qu'on se pose depuis le premier putsch en 1962, mais cela sert-il ? Nous recevrons les mêmes fausses réponses. Bouteflika mort, l'armée fera le ménage et adoubera Tartempion VI. Le roi est mort, vive le roi et Allah est grand.
B. S.
http://www.lematindz.net

lundi, mai 27, 2013

396- Où est la vérité sur l'assassinat de Tahar Djaout.


Il ne suffit pas de crier au loup, pour croire que la chose (quelle qu’elle soit) s’élucide d’elle même ou par le loup. Il ne suffit pas de montrer son voisin et crier « c’est lui, c’est lui ! » le plus fort possible et ameuter le quartier pour prouver que la personne ainsi désignée à la vindicte soit la réelle responsable d’un vol ou d’un crime donné.
Alors comment faire ? Tout simplement se fier aux institutions habilitées et aux règles arrêtées en commun, c’est à dire démocratiquement. Mais qu’est-ce Diantre que ces règles et institutions-là ?  Celles de La Justice pardi. Bien évidemment une Justice, hors ordre, non soumise au politique. C’est bien élémentaire me diriez-vous et vous avez raison. Vous avez certes raison, mais combien de fois s’est-on contenté en Algérie de crier, avec nombre de journalistes (libres) « il a avoué ». Mais, chers amis, le plus sain et saint des hommes peut être amené à avouer sans avoir commis le moindre forfait, tenez, par exemple sous la torture.
Eh bien nous y voilà. Sommes-nous en Algérie à même d’exiger la liberté du juge ? Sommes-nous capables d’exiger une justice libérée de ses addictions politiques ? Sommes-nous assez libres, au-delà de la proclamation dans l’ours ou en une des journaux ?
Combien de meurtres, d’assassinats ont été commis en Algérie sans que la justice ait pu dire son mot ? Combien parmi ceux-ci furent attribués politiquement à tel ou tel groupe ou à telle ou telle personne, sans preuve aucune. Aucune. Et si un jour cela nous arrivait ? Si un jour on se met à courir derrière nous en criant « arrêtez-le, c’est un assassin ! » gratuitement, que penserions-nous alors ?
Prenons l’exemple de Tahar Djaout (agressé le 26 mai 93, il décède le 02 juin 93), où en est-on, vingt ans après son assassinat ? Nombreux sont les « démocrates » et « journalistes » algériens qui crièrent et continuent de crier « au loup, au loup » derrière certains hommes politiques (ou membres d’un cabinet noir en tête de cortège, souvent encagoulés) gratuitement, par haine, par vengeance. Pas par métier, par souci de vérité. Alors même que la justice est dans l’impasse, pour ne pas dire qu’elle a failli. En attendant combien de coupables courent encore ? combien d’innocents sont emprisonnés ? Combien furent éliminés ?

Une précision. Aux dernières nouvelles, Areski Aït-Larbi n’est pas un islamiste, ni un FFiste égaré, ni un harki. Il n’est qu’un journaliste qui fait son métier de journaliste libre à la recherche de la vérité et de la justice.

Lisez attentivement ces articles.
Assassinat de Tahar Djaout : un crime sans coupables
Par Arezki Aït-Larbi, Le Matin, 26 mai 2001
Le 26 mai 1993, Tahar Djaout était tué de deux balles dans la tête par un mystérieux commando armé. Huit ans plus tard, le crime n'est pas élucidé et les assassins courent toujours. 
En quittant son domicile situé à Baïnem, une cité populaire de la banlieue ouest d'Alger, Tahar Djaout, écrivain, journaliste et directeur de la rédaction de l'hebdomadaire Ruptures, ne se doutait pas que sa vie allait prendre, ce 26 mai 1993, un tournant tragique. Il est 9 h, Tahar Djaout entre dans sa voiture et allume le moteur. Un jeune homme tapote sur la vitre avant, comme s'il voulait demander quelque chose. Djaout le regarde : il se retrouve brusquement face à un canon de revolver. Dans un ultime et dérisoire réflexe de défense, il lève les mains en bouclier. Une détonation, puis une seconde Le sort du poète est scellé : touché à la tête, il sombre dans un coma profond, dont il ne se réveillera jamais. Les agresseurs jettent le corps encore agité de soubresauts sur le sol, montent dans le véhicule et démarrent en trombe. Du balcon qui surplombe le parking, des voisines qui ont vu toute la scène donnent l'alerte. Evacué vers l'hôpital de Baïnem, Tahar Djaout rendra l'âme une semaine plus tard.
Aveux télévisés

Le 1er juin 1993, au journal de 20 h de la Télévision algérienne, un jeune homme de 28 ans, Belabassi Abdellah, passe aux aveux. Présenté comme le chauffeur du commando, il affirme que l'ordre d'abattre Tahar Djaout venait de Abdelhak Layada, « émir » du GIA, et qu'une fetwa avait été lancée contre le journaliste, car « il était communiste et avait une plume redoutable qui influençait les musulmans » ! Puis il donne les noms de ses complices : Boubekeur Ras-Leghrab, marchand de bonbons et chef du groupe ; Brahimi Mohamed dit Toufik ; Ahmed Benderka et Abdelkrim Aït-Ouméziane. Il affirme que pour brouiller les pistes, il devait les déposer à Bab El Oued (environ 15 km de la cité de Baïnem où habitait Djaout) et les récupérer, après l'attentat, dans un autre endroit. Ultime révélation, il serait l'unique survivant du commando, ses complices ayant tous été abattus lors d'accrochages avec les forces de l'ordre.

Saïd Mekbel, le célèbre billettiste du journal Le Matin, ne cache pas son scepticisme : « On nous annonce que quatre des assassins de Tahar Djaout ont été tués », écrit-il le lendemain dans « Mesmar Djeha », sa chronique quotidienne. « Qu'on me pardonne de le dire si brutalement : l'annonce a été reçue comme un gros gag, elle a même fait rire certains de désespoir. C'est qu'on ne croit plus rien, on ne croit plus personne. » Ce doute sera conforté par de curieuses lacunes dans l'enquête. En retrouvant, quelques heures après l'attentat, le véhicule de Djaout utilisé par les assassins pour leur fuite, la police s'est empressée de le restituer à la famille, sans procéder aux expertises d'usage. Les voisines qui, de leur balcon, ont vu les assassins, n'ont pas été convoquées pour éventuellement les identifier
« Commanditaires de l'ombre »

Au lendemain de l'enterrement, une vingtaine d'artistes et d'intellectuels décident de créer un « Comité vérité Tahar Djaout ». Dans un communiqué publié le 7 juin 1993, ils appellent l'opinion publique à les soutenir dans leur quête, car, écrivent-ils, « trop de crimes politiques restent impunis dans notre pays. Les images de lampistes exhibées à la télé ne pourront masquer les commanditaires de l'ombre ». Parmi les signataires, le professeur en psychiatrie Mahfoud Boucebsi, le chirurgien Soltane Ameur, les écrivains Rachid Mimouni et Nordine Saâdi, le cinéaste Azzedine Meddour et le journaliste Omar Belhouchet. Saïd Mekbel, coordinateur du comité, explique ses objectifs : « Nous sommes résolus à lancer une tradition pour connaître les vrais auteurs et commanditaires de ces crimes. »

Le lendemain vers 11 h 30, le Pr Boucebsi est assassiné de plusieurs coups de couteau devant l'entrée de l'hôpital Drid-Hocine, où il était chef de service. A 16 h, des policiers se présentent au siège de l'hebdomadaire Ruptures et demandent « les adresses des membres du comité pour assurer leur protection » ! Certains d'entre eux refusent, d'autres, sous la pression, choisiront l'exil. « L'assassinat du professeur Boucebsi est la preuve que nous avons mis le doigt sur un point sensible », confie Saïd Mekbel à des amis. Le 3 décembre 1994, il est abattu à son tour, en plein jour, dans un restaurant d'Alger.
Les juges ne suivent pas

Début juillet 1994, l'affaire Djaout arrive devant la Cour spéciale d'Alger, juridiction d'exception créée en 1993 pour juger les affaires de terrorisme, et aujourd'hui dissoute. Dans le box des accusés, le « chauffeur » Belabassi Abdellah et « l'émir » Abdelhak Layada, arrêté une année auparavant, ont la mine crispée. Le procès commence par un coup de théâtre : Belabassi revient sur ses aveux télévisés et déclare avoir parlé sous la torture. Ses avocats affirment même détenir la preuve qu'au moment du crime il s'entraînait avec son club de handball au stade du 5-Juillet. Quant à Layada, déjà condamné à la peine capitale pour d'autres crimes, il semble tenir à son innocence dans celui-ci, comme si sa vie en dépendait : « Je ne connaissais même pas Tahar Djaout, plaide-t-il, je n'ai entendu parler de lui qu'après sa mort »

En effet, au moment de l'attentat, « l'émir » du GIA se trouvait au Maroc depuis deux mois, avant d'être extradé vers l'Algérie une année plus tard, suite à d'âpres négociations entre les autorités des deux pays.

Expédié en quelques heures, le procès se termine par un verdict surprenant : Layada est acquitté et Belabassi, poursuivi pour complicité dans d'autres attentats, écope d'une peine de dix ans de prison.

Hérésie subversive


A l'annonce de cette sentence, Layada apostrophe les journalistes, venus nombreux : « La justice m'a innocenté dans cette affaire, j'espère que vous en tiendrez compte dans vos articles ! » Cet acquittement n'empêchera pas certains d'entre eux de revenir sur la fable du « poète assassiné par un marchand de bonbons, sur ordre d'un tôlier ». De bonne foi ou commandités, ces écrits confortent le classement du dossier judiciaire et évitent les questions, certes gênantes, mais fondamentales, et qui sont restées, à ce jour, sans réponse : qui sont les assassins de Tahar Djaout ? Qui sont leurs commanditaires ?


Dans un pays qui n'a pas fini de sécher ses larmes, de panser ses blessures, et qui compte encore ses morts par dizaines, cette quête de vérité peut paraître dérisoire. Pour certains milieux politico-médiatiques qui ont érigé la propagande du pouvoir au rang de vérité absolue, c'est une hérésie subversive. Au nom de « la famille qui avance », une formule empruntée au dernier éditorial de Tahar Djaout et détournée de son sens initial, de véritables « commissaires politiques » sont chargés de traquer les velléités de remise en cause du discours officiel : le moindre doute, la plus timide interrogation sont condamnés comme des « tentatives d'absoudre les islamistes de leurs crimes » !

Malgré toutes ces manoeuvres, il reste toutefois une certitude : huit ans après, l'assassinat de Tahar Djaout, comme tant d'autres, reste une énigme. Au moment où la presse indépendante, menacée par des lois liberticides, se mobilise pour sa survie, l'exigence de justice et de vérité sur le sacrifice de son premier martyr devrait être au premier rang de ses préoccupations. Au-delà du symbole, il y va de la crédibilité de son combat.




Par Arezki Aït-Larbi , Journaliste indépendant

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On trouvera quelques poèmes de Tahar Djaout en parcourant ce site :

http://www.ziane-online.com/poemes/tahar_djaout.htm

jeudi, mai 23, 2013

395- Il est mort le métèque

LE MONDE:

Mort de Georges Moustaki, le chanteur du "Métèque"

C'était un homme en blanc, barbe assortie, longs cheveux idoines. Il faisait de la moto et parlait avec une voix sucrée, comme il chantait. Masculin-féminin, Georges Moustaki était un homme à femmes, qui l'adoraient. Il en avait épousé une, Yannick, dont il eut une fille, Pia, née en 1956. Il en avait aimé certaines, il en avait adulé au moins deux : des femmes en noir, Piaf, le moineau, qui l'asservit pour mieux le révéler, et Barbara, l'exigeante, la "longue dame brune" raccompagnée tard dans la nuit à la sortie des cabarets.

Moustaki était à la fois profondément méditerranéen et superbement atlantique. Mais le secret était ailleurs : "Si je suis autant connu à l'étranger, c'est que je suis très français", disait l'inventeur d'une tour de Babel dont la clé de compréhension serait l'amour du voyage et de l'humanité. L'auteur-compositeur "à la gueule de pâtre grec" est mort le jeudi 23 mai, à Nice, des suites d'une longue maladie. Né le 3 mai 1934 à Alexandrie (Egypte), Yussef Mustacchi (Georges Moustaki) était âgé de 79 ans.
 
Georges Moustaki - Le Métèque Merci jacquesurlus
 Il confiait faire partie de ces êtres qui, selon la formule du critique et philosophe George Steiner, qu'il admirait, "n'ont pas de racines, mais des jambes". Mais s'il a pu parcourir le monde avec un appétit sans égal, tout en habitant fidèlement, depuis 1961, l'Ile Sain-Louis à Paris, c'est qu'il est un enfant de l'Orient cosmopolite.
L'Alexandrie de la première moitié du XXe siècle est un lieu de brassage culturel. Toutes les nationalités, et religions, s'y croisent. La chanson y est en effervescence – d'autres transfuges viennent enricher l'histoire de la chanson française, de Georges Guétary, né à Alexandrie, à Claude François, né sur les bords du canal de Suez, ou Dalida, du Caire... La grande chanteuse Oum Kalsoum, mais aussi Mohamed Abdel Wahab, Farid el Atrach ou Asmahan, inventent la bande son de l'Egypte moderne, de la chute de la royauté égyptienne à la Révolution nassérienne et panarabiste.


 
Georges Moustaki - Ma solitude Merci TThierry1964   




"LE CULTE DU FRANÇAIS A VITE OCCULTÉ LE GREC, LA LANGUE DE L'EXIL"
Georges Moustaki a deux parents grecs, Nessim et Sarah, "cousins germains, mais originaires de deux îles différentes". L'artisan de la dislocation, c'est Giuseppe (Joseph, Youssef) "comme moi", le grand-père, une légende dans la famille, qui fabriquait des gilets brodés pour les notables égyptiens. "Il braconnait, adorait l'huile d'olive. Un jour un bateau est passé, il l'a pris, est arrivé à Alexandrie. C'était l'Empire ottoman. Il était devenu turc, de papiers." "Je parle mal le grec, expliquait Georges Moustaki. Mes parents sont nés en Egypte. Pour moi et mes sœurs, le culte du français a vite occulté le grec, qui était la langue de l'exil."
M. Mustacchi dirige la Cité du livre, l'une des plus grandes librairies du Moyen-Orient. Les célébrités y défilent. Et des Italiens, des Turcs, des Orthodoxes, des juifs, des byzantins, des orientaux... "Ce fut la plus belle de toutes les universités." Pendant la seconde guerre mondiale, les alertes à la bombe envoient le jeune Yussef au paradis – le sous-sol, réservé aux livres d'enfants. Devenu Georges, en hommage à Brassens, il le raconte dans un livre, Fils du brouillard, paru en 2000, où se croisent ses souvenirs de Georges et ceux, infiniment plus durs, de son ami Siegfried Meir, emprisonné à Auschwitz et Mauthausen.




                                                                                                   
Georges Moustaki - Ma liberté merci Alain Caumartin


ll y a des villes qui marquent pour toujours : Alexandrie, donc, puis Bruxelles, où Yussef (Joseph) Mustacchi, à 20 ans, a reçu son premier cachet, pour avoir chanté et joué du piano ("mal") dans un cabaret, La Rose noire. Et puis Paris, adoptée trois ans avant l'escapade belge. Dès 1951, il fréquente le cabaret des Trois Baudets, y découvre Brassens en première partie d'Henri Salvador. Il chante à l'Echelle de Jacob, Brel est la vedette. Moustaki a connu Brialy (24 ans alors) allongé, "le dos cassé après une chute sur un tournage. Allongé, mais séducteur". L'apprenti chanteur vit alors en zigzag, fait du gymkhana dans les cabarets : Les Trois Baudets, La Colombe, La Rose noire, Milord l'Arsouille, L'Echelle de Jacob, Le Port du salut... "Le seul où je n'ai jamais chanté, c'est L'Ecluse. Mais j'allais y chercher Barbara pour dîner sur l'île."

 
Georges Moustaki - Votre fille a vingt ans - Merci jacquesurlus





"BRASSENS ÉTAIT MON MAÎTRE, PIAF ÉTAIT MA MAÎTRESSE"
Il a rencontré tout le monde, de Brassens à Dalida. Il a présenté Harry Belafonte à Jorge Amado, qui "adorait les photos entre amis" – Sartre, Beauvoir, des leaders africains, des intellectuels asiatiques... L'enfant de l'Orient cosmopolite adore les familles recomposées. Il s'emploie à les unir.
Ainsi, dans ses errances consenties, Moustaki se forge-t-il trois histoires, trois espaces géographiques : la France, la Méditerranée, le Brésil. Moustaki, acte I, le français : en 1952, il ose à peine ses chansons, mais elles se remarquent, et le guitarist Henri Crolla fait le pari qu'elles plairont à la Reine Piaf. Gagné. Il est timide, elle a de l'oreille, elle lui prend trois chansons, enregistrées en 1958, "Eden Blues", "Les orgues de barbarie", "Le gitan et la fille" – un super 45-tours où ils font couple, Edith Piaf chante Jo Moustaki. Puis, il lui écrit Milord, dont elle confie la mise en musique  Marguerite Monnot. Dès sa création en scène, Milord devient un standard. Après quelques autres incunables, et un an de soumission, Georges Moustaki déclare forfait. "Brassens était mon maître, elle était ma maîtresse."
Il compose alors pour toutes les vedettes du moment (Colette Renard, Dalida, Yves Montand, Cora Vaucaire, Juliette Gréco, Tino Rossi, Barbara…). Il défend ensuite sous son nom son répertoire en français sur une demi-douzaine de 45-tours ("La carte du tendre", "Dire qu'il faudra mourir un jour", "La mer m'a donné"...). Devant l'insuccès, sa maison de disques lui rend son contrat. Il commence à percevoir ses droits d'auteurs. "J'ai pris alors une sorte de retraite, j'avais gagné de l'argent et, avec Piaf, je sortais d'une histoire tellement formidable que tout, à côté, me paraissait secondaire..." Dix ans dilettante : devenir un crack aux échecs ou au ping-pong, filer à Amsterdam pour un tableau... "Je n'avais aucune urgence. Mais, petit à petit, je suis passé de la Jaguar à la 4 L, réduisant chaque fois mes besoins pour ne pas avoir à travailler."



  
Georges Moustaki _Le temps de vivre_ (live) - Merci Ina Chansons


1967, c'est l'année Barbara. Pour elle, il écrit "La longue dame brune", et elle le somme de chanter avec elle cette chanson qui les lie, lors d'une tournée épuisante. Dans sa retraite aux dorures fléchissantes, Moustaki reçoit un coup de fil : "Une invitation pour un récital à la cafétéria du théâtre de Caen. J'accepte. Peu après, Barbara m'appelle, me dit : 'Je vais à Caen demain, viens avec moi, il y a quelqu'un qui y chante et que tu vas adorer'." C'était Serge Reggiani, à qui Moustaki donnera ensuite "Sarah", "Votre fille a vingt ans", "Ma liberté"... des carrés d'as qui le ramèneront à la vie publique.
"Pendant un an, j'ai programmé des concerts de jazz à Caen : Gato Barbieri, Michel Portal, Aldo Romano, Eddy Louiss, Daniel Humair, Martial Solal." Pour lui, Moustaki a composé une chanson de liberté, que les maisons de disques refusent. Elle sort enfin en 1969. Elle précède les envies d'ailleurs des orphelins de Mai 68.


 



Georges Moustaki _Gaspard_ (live) - Merci Ina Chansons




LA FIDÉLITÉ TOUJOURS AU RENDEZ-VOUS
La ballade gréco-latine plaira jusqu'à Salvador de Bahia, la ville de tous les saints, au Brésil, l'un des points de passage préférés de Moustaki. "J'y suis arrivé par Jorge Amado, après un court séjour à Rio, où en 1972 la chanteuse Nara Leao m'avait invité au Festival de la chanson populaire", expliquait-il. En 1973, il adaptera en français "Aguas de Março", un hymne bossa-nova, suivant les traces du pionnier Pierre Barouth. Trente ans après, "Moustaki", l'album sorti en 2003, commence par un hommage à Barbara écrit sur la musique Odeon, un choro célèbre du compositeur brésilien Ernesto Nazareth. Chez Moustaki, la fidélité est toujours au rendez-vous. Pour Vagabond, en 2005, Georges Moustaki a enregistré à Rio de Janeiro, entouré de Paula Morelenbaum et du pianiste et compositeur Francis Hime.
Alors qu'il compose pour la fine fleur de la variété française, Georges Moustaki continue d'essayer une carrière personnelle. Il le fait d'abord sous un nom d'emprunt, Eddie Salem, son orchestre et ses chanteurs arabes, avec en 1960 un répertoire oriental-égyptien – puis grec (Les enfants du Pirée) – et quelques rocks parodiques. En 1966, il part en Grèce pour la première fois et y rencontre l'actrice et chanteuse Melina Mercouri, qui transformera par la suite en le chantant en grec "Le Métèque" et "En Méditerranée", en hymnes de résistance face à la dictature des colonels. Puis, il chante "La Pierre" du compositeur grec Manos Hadjidakis, "L'homme au cœur blessé", "Nous sommes deux", sur des musiques de Mikis Théodorakis. Toujours proche de l'Orient, il chante avec Areski "J'ai vu des rois serviles", joue dans Mendiants et orgueilleux, film adapté du roman d'Albert Cossery, et ainsi de suite – en 1996, sur Tout reste à dire, c'est le flûtiste turc Kudsi Erguner qui répond présent pour un poème chanté de Yunus Emre (XIIIe siècle).

 
Georges Moustaki _Il est trop tard_ Merci Ina Chansons

Il se produit enfin en vedette, à Bobino à Paris en janvier 1970. Il est chaleureux, liant. Il chante des anciennes chansons, jamais enregistrées, comme "Donne du rhum à ton homme". Les chansons de l'album qui paraît début 1978 jalonnent une année de déplacements (San Francisco, New York, Mexico, Tokyo, Québec, Eilat, Paris). "Vieux sage" dans "Si je pouvais t'aider", il retrouve sa fraîcheur dans une "Elle est elle" quasi juvénile (avec la voix de sa fille Pia Moustaki, née en 1956 – en 1988, naîtra son fils, Laurent. "Solitaire, sans état d'âme et sans souffrance / Ma voile est gonflée de mystère / Ma cale est remplie d'innocence." Un inlassable de la chanson.
En 2003, Moustaki publie "Moustaki", qui comporte la première chanson qu'il a composée, "Gardez vos rêves" et, pour la première fois, son propre enregistrement de Milord, composée jadis pour Edith Piaf. Jean-Claude Vannier donne à l'album un ton contemporain. Le dernier album de Moustaki faisait le point sur cette question française. Pour "Solitaire", Moustaki fait main basse sur toute la jeune génération. Vincent Delerm, Cali pour des duos, Vincent Segall pour les arrangements. Dédié à Henri Salvador, l'album rend hommage à l'âge d'or la chanson française, et à l'amour. Il y reprend ses chansons "gold" : "Sans la nommer", "La liberté et la fleur au fusil", "Ma solitude", "Donne du rhum à ton homme". En 2005, avec Vagabond, il revient sur son amour pour la bossa-nova, en 2008, il intitule un disque de duos Solitaire... Le paradoxe Moustaki.
Moustaki avait chanté partout dans le monde. De Rio à l'Olympia, de Bobino au Japon du Québec à l'Algérie, l'homme en blanc et à la voix suggestive, avait rassemblé. Fidèlement, car les fidélités se créent dès l'enfance. Et quelle leçon en tirer ? Réponse de l'enfant d'Alexandrie : "Je déclare l'état de bonheur permanent / Et le droit à chacun à tous les privilèges. Je dis que la souffrance est chose sacrilège / Quand il y a pour tous des roses et du pain blanc."
Véronique Mortaigne

Le Monde.fr | 23.05.2013




Georges Moustaki - La marche de Sacco et Vanzetti - Merci ara Allport

dimanche, mai 19, 2013

394 - YAMINA MECHAKRA EST LIBRE

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dimanche 19 mai 2013, 17h 10

Je viens d’apprendre le décès de Yamina Méchakra
Voici quelques-uns de ses poèmes, extraits de son roman "Arris" (ed Marsa), suivis d’un article sur mon blog, post 208 de juillet 2010

 
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Douleur, ô ma douleur
De quelle blessure béante
T’écoutes-tu en sourdine
Je t’entends, ô ma douleur
Mon cœur attentif
T’écoute en silence
Ma pensée voguant
T’entraîne et te déroute
Et sans comprendre, je geins
Et l’oiseau seul chante
L’oiseau des jours heureux
L’oiseau des jours funèbres
Ne reste-t-il, mon âme,
Souvenir de bonheur ?
Il ne m’en souvient pas
Perdue par les chemins
Je cherche ta source
Existe-t-elle encore…
S’est-elle perdue en moi ?
Ma mémoire vivante
Me conte mille misères
Et moi l’abandonnée
J’avance à tâtons
Bousculant pierre froide
Epines et chardons.
Plus rien ne me fait mal
Que toi, ô ma douleur.

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Mal aimé et mal aimant.
Je garde pour moi ma peine
Elle est sombre
Elle est muette
Elle est ce que je ne sais pas
Mal aimé, mal aimant
J’écoute seule ma larme couler
Elle est amère
Elle est salée
Elle a le goût que je ne sais pas
Mal aimé et mal aimant
J’attends la fin de l’oubli
Il est triste
Il est mortel
Il a lui le goût que je ne sais pas
Mal aimé et mal aimant
J’ai peur de ma solitude
Elle est noire
Elle est froide
Elle est ce que je ne sais pas.

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J’ai besoin de rêver
Pour pouvoir t’aimer
J’ai besoin de rêver
Pour affubler mon âme
De cristal et de corail
Couleur de ta bouche
J’ai besoin de rêver
Pour embraser le ciel
Et que mon âme s’y fonde
Mon amour
De tes lèvres, de tes doigts
Je rêverai longtemps

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Seul face à mon destin
J’écoute ma solitude pleurer
De larmes, je n’en ai pas
Mon cœur rythme les sanglots
Seul habité par ma douleur
J’attends qu’un éclair d’orage
Eclate ma douleur
Et que la mort m’appelle
Je m’en irai sans mot dire
Me terrer dans un coin secret
Nul ne saura que je vis le jour
Et nul ne dira qu’il m’a vu pleurer !

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Il me fait peur
Et pourtant, pourtant,
Il est mon seul
Mon unique remède,
Le temps
Il s’en va, s’en va
Comme maintenant
Comme hier
Le temps
Il me fait peur
Il me fait mal
Il me fait bien
Le temps.
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 Nassa, petite fleur égarée en mon champ calcinée
Viendras-tu flotter sur la terre qui me couvrira,
Où je reposerai.
Alors, des entrailles de la terre, je hurlerai, je hurlerai.
Et tous les morts se redresseront pour t'aimer.
Et comme il sera doux à mon corps raidi de se redresser.
Alors, alors, je te regarderai comme au premier jour
Et je te chuchoterai,
Ô ma résurrection, ma vie,
Viens et prends l'enfant que tu voulais.

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Messieurs, je vous prie
Ne touchez plus à mes cèdres!
C'est mon unique mémoire
Mon unique racine
Mon unique ancêtre.
Elles cognent, 
Elles cognent vos haches.
Le sang coule
Et mon père se tait.
Messieurs, je vous prie
Jetez à terre vos haches
Et laissez-moi regarder les cèdres
Verdoyants et rêveurs,
Là-bas, là-bas,
dans mes Aurès...
La grotte des peines,
Trois mille ans, quatre mille ans...
Et que mon âme apaisée
Y repose éternellement. 


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Le chemin est bien court
Qui mène à ton étoile.
Je l’ai si bien connu
Que je m’en souviens à peine.
Et toi, toi tu me souris toujours.
Maintenant, j’ai grandi…
Que le temps passe vite
Seigneur, qu’ai-je fait
Et que me reste-t-il à faire ?
Le temps de vivre est court
Et j’ai perdu tous les chemins.
L’âge est venu où je ne t’aime plus
L’âge est venu où tu m’aimes plus fort.
Pourtant, les temps ont changé
Et les rides se creusent.
Pourtant, je suis un autre
Et tu me souris toujours.

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Je suis venu tête folle
Le regard éperdu
Et je ne sais quoi dire
Et je ne sais quoi aimer
Mon rêve est très lourd à porter
Viens mon amie, mon âme,
Et trempe tes lèvres
Qu’elles effleurent mes roses
Et tout sera bien
Je m’en irai tête folle
Par d’autres chemins, léger
J’accrocherai mon cœur à l’étoile filante
Et quel enfant malade
Ne me sourirait pas ?
Nous dormirons, ma vie
Dans d’autres matins
De roses et d’orchidées
Je couvrirai ton sein
Et l’enfant qui naîtra
Te le racontera


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Editorial: UNE LUMIERE DANS LA GROTTE
par K. Selim


Yamina Mechakra est partie, hier, à l'issue d'une longue maladie. Ceux qui ont été émus par la «Grotte éclatée» parue en 1979 seront sans doute à la peine. Un livre, suivi d'un deuxième, «Arris» et entre les deux un long silence. Cette femme n'écrivait pas pour bavarder mais pour dire ce qui est profond et qui dure. Mais ces deux beaux livres «seulement» reflètent aussi la réalité d'une génération qui devait aussi faire tant de choses au point de sembler se dissiper.

Yamina Mechakra était médecin psychiatre et c'est un travail prenant quand on y attache les plus hautes valeurs et qu'on le pratique avec conviction. Voilà une œuvre brève produite dans la discrétion, sans bruit tout comme l'activité de l'auteur dans le monde associatif. La discrétion est, en ces temps d'artifices et de tape-à-l'œil, la marque d'un sérieux aussi rare que précieux. Peiné par la perte, encore une, d'une créatrice dans cet univers si stérile, un homme de la même génération explique : «On n'a pas beaucoup parlé de Yamina Mechakra car elle ne fréquente pas les espaces mal famés où des célébrités factices se construisent avec la complaisance des médiocres».

Ecrire pour soi et pour les siens sans chercher à complaire aux assignements que l'édition parisienne adresse à une Algérienne ou à un Arabo-Berbère, cela demande l'ascèse à des encablures de la littérature de consommation. Et encore pire, à la littérature de «l'exotisme», de la «commisération» ou de l'autoflagellation exigée pour entrer dans les circuits des béni-oui-oui et des valets de plumes de la Civilisation. Ecrire pour dire un monde et non pour appliquer une recette en continuant à servir la société, à écouter ses femmes et ses hommes. C'est cela la vie de Yamina Mechakra et cela ne correspond plus au «standard» du réalisme marchand et de la haine de soi.

A l'heure actuelle, dans notre pays, une femme qui écrit vaut son pesant d'or. La chute de la préface de Kateb Yacine ne vaut pas que pour les femmes. Ceux qui écrivent pour exprimer la diversité sensible de nos sociétés ne courent pas les rues. Et d'une certaine manière l'année même de la parution de la «Grotte éclatée» - 1979 - a été celle de l'amorce d'un mouvement d'inversion de tendance dans le pays. La généreuse vision de progrès - certains disaient progressistes - qui a très largement marqué les élites du mouvement national, jusque chez les oulémas, commençait à être battue en brèche. La génération qui portait ces valeurs de manière positive a été confinée par l'irrésistible ascension des infitahistes de tout poil. Le progrès a été bloqué par un système où les compétences sont marginales et où l'allégeance est essentielle. 
Dans la société, à défaut d'avoir pu prendre en main le pays dans une évolution "naturelle", cette génération a été débordée par ceux qui ont compris que l'indigence intellectuelle et morale ouvrait des boulevards aux intrigants et aux courtisans. Un écrivain s'en va encore dans la brume et l'oubli. Une dame discrète quitte ce caravansérail de l'imposture. Mais même dans cette phase de repli stérile la mémoire ne peut être effacée, le nom de Yamina Méchakra est définitivement inscrit au registre de ceux qui ont réellement honoré ce pays par la plume et le talent.


 On Le quotidien d'Oran, lundi 20 mai 2013;

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Disparition de l’auteure Yamina Mechakra à l’âge de 64 ans

Arris et la Grotte éclatée orphelins de leur génitrice

20-05-2013
Par Wafia Mouffok 
La fille des Aurés, la romancière Yamina Mechakra s’est éteinte dimanche dernier à l’âge de 64 ans des suites d’une longue maladie. C’est afin de lui rendre un ultime  hommage qu’une cérémonie de recueillement a été organisée hier dans la matinée au Palais de la culture où sa dépouille a été exposée. 
Femme discrète, auteure hors normes et psychologue dévouée, la défunte a marqué à sa façon la scène culturelle algérienne et le monde de la médecine. 
Ils étaient peu nombreux hier dans la matinée à venir lui dire à adieu, un nombre restreint mais dont la composante porte envers la défunte une grande affection. 
«C’était une femme forte et exceptionnelle, elle s’est battue longuement et avec férocité contre la maladie. Yamina est une immense écrivaine mais aussi une psychologue née. Née dans les Aurés en 1949, elle a été témoin de l’oppression coloniale mais a assisté de très prés à la lutte nationale avec son père moudjahid. Sa douleur se reflète dans ses écrits, elle est l’une des rares auteurs qui ont su traduire leurs souffrances», a déclaré Mme Z’hira Yahi, chef du cabinet de la ministre de la Culture mais aussi fidèle amie de la défunte. Pour sa part, l’auteur Waciny Laaredj a qualifié sa disparition d’une grande perte pour la littérature algérienne «la défunte était une femme battante qui a fait de sa souffrance sa matière première, elle était aussi une grande psychiatre très appréciée», a-t-il ajouté. Samia Zenadi, éditrice (Apic éditions) a déploré pour sa part le fait que la défunte soit méconnue de la jeune génération «c’est une grande perte pour la scène culturelle algérienne mais ce que je trouve vraiment triste c’est qu’une grande auteure soit méconnue chez la jeunesse. 
Son roman La grotte éclatée qui est un-chef-d’œuvre saluée par l’immense Kateb Yacine devrait être enseignée à l’école», a-t-elle déclaré. 
La ministre de la Culture aussi présente à cette cérémonie, a tenu pour sa part à présenter ses condoléances à la famille de la défunte mais aussi aux membres de la grande famille artistique qui vient de perdre un grand nom. 
«Yamina Mechakra est une personnalité brillante qui nous a quittés de la même manière dont elle a vécu  à savoir dans la discrétion. C’est une femme qui a connu les affres de la Guerre d’indépendance et qui a su exorciser sa douleur par ses écrits poignants. Nourrie aux classiques universels, elle a commencé à écrire très jeune pour nous offrir deux romans qui nous ont tous marqués. Elle a aussi fait de brillantes études en psychologie et intégré plus tard l’équipe du regretté docteur Bousebssi», a déclaré la ministre dans son discours.  
Slimane Hachi, directeur du Cnrpah, a procédé par la suite à la lecture de quelques extraits du roman La Grotte éclatée face à une présence qui observait un silence religieux. Après la lecture de la Fatiha, la dépouille de Yamnia Mechakra a été transférée au cimetière de Sidi Yahia où elle a été inhumée. Repose en paix.       


On : www.latribune-online.com
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Dernier hommage à la défunte Yamina Mechakra au Palais de la Culture

Un dernier hommage a été rendu lundi au Palais de la Culture Moufdi Zakaria à Alger à la défunte Yamina Mechakra, femme de lettres et psychiatre, en présence de Mme Khalida Toumi, ministre de la Culture, de personnalités du monde de la culture, des membres de la famille de la défunte et d'un grand nombre de citoyens.
Dans un climat chargé d'émotion, plusieurs hommes de lettres et romanciers ont défilé autour de la dépouille de celle à propos de laquelle Kateb Yacine aimait dire qu'elle "vaut son pesant de poudre", parmi lesquels figuraient Amine Zaoui, Wassini Laaredj, Ibrahim Nawel, Ahmed Benaissa, ainsi que des responsables au ministère de la Culture.

Slimane Hachi, directeur du Centre national des recherches préhistoriques et anthropologiques, a mis en exergue les qualités de la défunte, dans l'oraison funèbre qu'il a prononcée au nom de la ministre de la Culture, soulignant que Mechakra "qui nous a quittée en silence et paisiblement, était une femme brillante et intelligente".

Sa vie à proximité de gens atteints de troubles mentaux lui a permis dès l'âge de l'adolescence de traduire ses sentiments d'affection à ces malades en romans, tels "la grotte éclatée" et "Arris".
De son coté, Zahia Yahi Chef de cabinet au ministère de la Culture et ancienne journaliste à l'APS, a déclaré que la disparition de Yamina Mechakra "était une grande perte pour l'Algérie" la qualifiant de "femme intelligente, brillante et extrêmement sensible".

"Mechakra était une grande écrivaine" a ajouté Mme Yahi citant le romancier Kateb Yacine connu pour sa rigueur intellectuelle, émettant son souhait de voir ses œuvres traduites dans d'autres langues.

Le romancier Amine Zaoui a indiqué quant à lui que Yamina Mechakra n'a pas laissé un grand nombre d'ouvrages (un roman et un recueil de poèmes), précisant toutefois que l'écrivain ne se mesure pas par le nombre de ses œuvres mais par leur valeur.

Il a souligné à ce propos, que "la valeur des écrits de Yamina Mechakra réside dans leur profondeur philosophique" comme c'est le cas de "La grotte éclatée" qui traite de la révolution algérienne et de son impact psychologique sur l'individu.
Yamina Mechakra était un "écrivain de l'ombre qui a de tout temps préféré rester en marge pour traiter des questions d'ordre psychologique", a encore dit Amine Zaoui avant de faire remarquer que "l'université lui a accordé un intérêt particulier à travers les nombreuses thèses consacrées à ses ouvrages".

Il a appelé en outre, à prendre en considération ses écrits durant ces dernières années en vue d'une éventuelle publication.
Le Dr Hadj Cherif Fatma a évoqué le côté humain de la défunte, précisant qu'"elle était modeste et adorait rire".
Après le recueillement, la dépouille de Yamina Mechakra a été recouverte de l'emblème national pour être transportée au cimetière de Sidi Yahia où elle a été inhumée. L'écrivain algérien et psychiatre Yamina Mechakra est décédée dimanche à l'âge de 64 ans des suites d'une longue maladie.
20-05-2013
On : www.letempsdz.com

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YAMINA MECHAKRA (1949-2013)

Une katébienne nous quitte…

 “Je m’en allais vers Arris, les yeux fixés sur mes doigts qui, à l’horizon, se tressaient avec d’autres doigts pour ramasser les nuages du ciel et les presser sur une terre brisée d’oubli, enceinte d’un grain millénaire, parcheminé de routes lointaines pour que pousse le blé que nos ancêtres avaient promis”, écrivait Yamina Mechakra dans “la Grotte éclatée”.

Avant-hier, la nouvelle de la disparition de la romancière, fille de Meskiana, Yamina Mechakra, a eu certainement l’effet d’une bombe assourdissante dans le milieu journalistique, mais aussi littéraire de la capitale (Alger).
Mais sans nul doute, la douloureuse information de sa disparition a été doublement ou triplement plus éprouvante dans son pays d’origine, les Aurès. Auteur d’un véritable chef-d’œuvre avec “la Grotte éclatée” (éditions Sned, Alger, 1979), et préfacé par Kateb Yacine, qui a accompagné Yamina Mechakra dans l’écriture de ce roman/récit par ses conseils et ses précieuses orientations. Ils étaient nombreux à se pencher sur une œuvre qu’on n’arrivait pas à classer : roman, récit, nouvelle… “La Grotte éclatée”, à sa sortie, donnait un agréable fil à retordre aux lecteurs mais aussi aux critiques, qui dans leur quasi-majorité aimaient, lisaient et relisaient. Une des dernières approches et tentatives de déchiffrage, qui est considérée comme une bonne tentative de cerner l’écriture mechakrienne (car elle existe !), nous vient de l’université de Batna (département des langues, 2012) où, à l’occasion d’un mémoire de fin d’études (“La quête identitaire et spéléologique de Yamina Mechakra”), Meriem Safia Gharib, deuxième année master littérature et civilisation étrangère, avait apporté de nouveaux éléments de lecture, notamment ceux relatifs au fait que l’écrivaine donnait l’impression de prendre un malin plaisir à codifier et rendre mystérieux son texte, à travers une écriture en rétrospective. Il est courant que les lecteurs “fuient” ce style d’écriture, mais avec Yamina et sa Grotte, “le compliqué devient plaisir”, déclare la jeune étudiante, qui, contactée par nos soins pour nous livrer ses impressions à l’annonce du décès de la fille de Meskiana, nous dit avec grande peine et tristesse : “C’est la plus mauvais nouvelle que j’ai reçue depuis celle du décès de mon père il y a une dizaine d’années. Je ne connais pas Yamina Mechakra personnellement, mais à la lumière et à la lecture de son roman, j’ai l’impression de l’avoir connue depuis toujours. Lisez une seule fois ‘La Grotte éclatée’ et vous deviendrez auressienne ou auressien par la couleur, le mot, la description. Un récit aussi profond que complexe.” A propos du texte, notre interlocutrice nous dira : “Ce qui ressort est la force de l’auteur et son génie à mettre en valeur et donner de la voix à la littérature orale longtemps marginalisée, voire méprisée.” Et de regretter : “J’aurais tant aimé que lors du dernier colloque sur la littérature maghrébine d’expression française, qu’on fasse un hommage de son vivant à Yamina Mechakra, mais il n’est pas trop tard pour que cette Chaouia jusqu’à l’os et Algérienne jusqu’au bout des ongles soit honorée.” L’omniprésence de la mythologie berbère, le récit, le sacré et le profane, la fécondité, l’usage de la symbolique et de la parabole, ainsi que le subtil dosage de l’intertextualité donnent un caractère unique et particulier qui distingue l’écrit de Yamina Mechakra, auteur de “la Grotte éclatée” et “Arris”.
A l’annonce du décès de Yamina Mechakra, un ancien ami qui a connu et côtoyé la romancière, qui faisait des voyages à Batna, pour aller visiter le tombeau d’Imedghassen et Timgad, Ali Ben Belkacem, journaliste à Batna, nous a fait parvenir un courrier, comme contribution et témoignage en tant qu’ami : “Le besoin de communiquer chez ma sœur Yamina n’a pas de limite, et son altruisme sont certainement les deux facteurs qui l’on dirigée vers l’expression littéraire. Il y a toujours eu un nœud central dans les écrits de Yamina comme d’ailleurs chez Kateb, l’un s’appelle Nedjma l’autre Arris… un point de départ. Elle était comme en transe lorsqu’elle affirma avec un grand élan de dignité qu’elle constatait déjà les signes ou prémices de l’avènement de cette révolution culturelle nationale se construire à Batna et Meskiana. Il est vrai que l’atmosphère à cette époque était à l’activisme thématique et qualitatif, ce qui créa de l’optimisme et de l’espoir.” Le mot qui revenait souvent dans la bouche de Yamina, nous dit son ami, est “révolution culturelle”.
Elle ne l’a pas connue ni vue de son vivant, mais des jeunes, pleins de jeunes s’intéressent plus que jamais à son œuvre ; peut-être que le rêve aura lieu à titre posthume. Ce qui ne sera pas trop mal non plus !
R H

Mardi, 21 Mai 2013 09:50
Par : Rachid Hamatou

On : www.liberte-algerie.com

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Cérémonie de recueillement au palais de la culture

Yamina Mechakra a rejoint le monde du silence

C’est avec une grande tristesse que les amoureux de littérature ont appris la disparition de la romancière et écrivaine algérienne Yamina Mechakra. Décédée avant-hier matin à l’âge de 64 ans, l’écrivaine a rejoint l’au-delà après un long combat contre la maladie. Une cérémonie de recueillement sur sa dépouille a été organisée hier matin au palais de la culture Moufdi-Zakaria. Famille, amis proches ainsi qu’un bon nombre d’hommes de lettres ont tenu à être présents. Lors de cette cérémonie, forte en émotion, quelques passages de son œuvre à succès la Grotte éclatée ont été majestueusement récités à l’assistance. La ministre de la Culture, Khalida Toumi, présente à la cérémonie, a évoqué “la personnalité brillante, sensible et attachante” que fut Yamina Mechakra. “Elle a traversé la lutte de Libération nationale avec les yeux d’un enfant mais le regard d’une adulte”, a-t-elle écrit dans un hommage. Quant aux hommes de lettres et écrivains présents, beaucoup l’ont côtoyée ; certains étaient même très proches d’elle, et c’est le cœur serré qu’ils ont fait leurs adieux à leur amie et consœur. L’écrivain Waciny Laredj retient d’elle la femme simple, très attachée à la mémoire de Kateb Yacine. “Je l’ai toujours appelé l’écrivaine de l’isolement. Elle disait avoir besoin de se sentir en sécurité”, a-t-il confié. Le docteur Amin Zaoui a, quant à lui, estimé que la disparition de Yamina Mechakra représente “une grande perte pour le monde littéraire maghrébin et méditerranéen. À l’exemple de Kateb Yacine, Yamina aborde l’individu dans ses cassures et sa sensibilité, Yamina Mechakra incarne pour moi la fragilité solide”, a-t-il déclaré. La défunte a été enterrée au cimetière de Sidi-Yahia à Alger en début d’après-midi. Un dîner funéraire en sa mémoire a été organisé en début de soirée par le ministère de la Culture au palais de la culture Moufdi-Zakaria.

F Y N


Par : Farah Yasmine Nia
Mardi, 21 Mai 2013 09:50


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Mon blog. Post 208- juillet 2010

Yamina Méchakra

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208- Amine Zaoui: pour Yamina Méchakra
18 juillet 2010


“Comme si le devoir de mourir ne suffisait pas, il faut aussi compter sur le laisser mourir et le faire mourir. (Anthropologie de la mort : L.-V. Thomas p : 103).”
Qui parmi nous se rappelle de cette femme de verbe, en vers, de plume, en encre et de cœur, fille de Meskiana, celle qui sa maman l’a appelée Yamina, oui Yamina Mechakra ? Les mamans, toutes les mamans, savent bien choisir les noms de leurs filles. J’adore ce nom “YAMINA” très algérien. Il est très fort par sa musicalité rurale et fine. D’ailleurs, Ahmed Wahbi a chanté sa Yamina : “Yamina Ghadra”.Une femme fragile au sourire douloureux ! Elle appartient à la race “des roses” ! Celle qui, autour de son premier roman La Grotte éclatée a pu réunir deux géants de la culture algérienne : M’hamed Issiakhem pour la couverture (tableau de l’aveugle) et Kateb Yacine pour la préface, cette écrivaine est menacée d’extinction.“Issiakhem lui a dit un jour : attention, il ne faut pas écrire comme les femmes, hein ?!” cette écrivaine qui a écrit comme “les grands” sombre dans le silence d’un hôpital psychiatrique, sans caresses, sans amis et sans poésie ! Elle qui adorait écouter le vin des vers.
Elle est plus grande que notr
e silence complice qui l’enterre vivante. Nous regardons sa mort unique et spectaculaire et nous croquons des pistaches persanes grillées ! Nous évitons de regarder sa descente en enfer de la folie pour mieux déguster ce match en direct de Johannesburg ! Et, dehors, les drapeaux aux couleurs nationales flottent partout dans les rues et les ruelles, nous sommes le 5 juillet, 48 ans d’indépendance. Et Yamina garde de cette guerre de libération des images : “un homme écartelé sur le canon d’un char, exposé dans la rue. Elle a vu torturer son père. Elle l’a vu mourir en lui recommandant de garder la tête haute… c’est à lui qu’elle dédia le livre.” Comment une poétesse internée à l’hôpital psychiatrique Frantz-Fanon de Blida vit ce jumelage : la poésie et la folie ? Qui est l’origine de l’autre ?
À l’image de son maître Kateb Yacine, Yamina Mechakra est l’écrivaine d’un seul texte, d’un seul livre. Les prophètes, comme les poètes, eux aussi n’ont qu’un seul livre. Par son roman La Grotte éclatée (1979), Yamina Mechakra a bouleversé l’écriture algérienne des années 70/80. Sur les traces de Nedjma, de Kateb Yacine, vingt-cinq ans après l’apparition de Nedjma (1956), Yamina Mechakra a révolutionné l’écriture romanesque sur la révolution algérienne. Comme Mohammed Dib, dans Qui se souvient de la mer (1962), Yamina Mechakra voulait subvertir l’écriture de l’intérieur, en dynamitant la langue et les genres littéraires.
La Grotte éclatée est un texte en plein feu de la folie. La folie créative est la sœur jumelle de toute écriture honnête et révélatrice. La folie est installée dans le texte ou dans l’âme de Yamina ? C’est kif-kif ?
Dans sa préface au roman, Kateb Yacine écrit : “À l’heure actuelle, dans notre pays, une femme qui écrit vaut son pesant de poudre.” “L’écrivaine éclatée” ! L’or est l’affaire des femmes esclaves ! Et en ce 5 juillet, 48 ans d’indépendance, un demi-siècle, la poudre est mouillée à l’hôpital psychiatrique de Blida. Seule, esseulée ! Le baroud ne répond plus ! Et l’âme subversive saigne ! L’âme est blessée !
En ces jours de fête du 5 juillet 2010, face à ces drapeaux aux couleurs nationales qui flottent, berçant la mémoire de la révolution, en soutien à l’écrivaine Yamina Mechakra dans sa souffrance, j’invite les Algériens à lire ou à relire son roman La Grotte éclatée (je signale que le roman est disponible en traduction arabe).
Merci Yamina Mechakra pour tout ce que tu nous as appris, dans et par le texte, dans et par ta vie peinée.
Amine Zaoui.
in: Liberté / Culture Jeudi 08 Juillet 2010
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Extrait de : La grotte éclatée.

4 Juin 1962 - Cinq heures du matin. Un soleil rouge et ruisselant se levait derrière les collines. La caravane s'immobilisa au bord de la frontière. Je glissai de la fourgonnette. Debout, le soleil dans le dos, le vent dans les cheveux, la main sur mon cœur, je me dis tout bas mon pays et ma maison, ma grotte et ma peine. Quelque part dans le monde, une autre femme peut-être, debout sur une autre frontière priait pour la dernière fois. Je laissai tomber mon bras puis je me déchaussai. De mes pieds couverts des cratères du napalm, mes pieds nus et carbonisés, je foulai avec douceur la terre brûlante de mon pays. Je fis un pas. puis un autre, puis encore un autre. Les cailloux me déchiraient la peau. Les ronces m'égratignaient, j'eus soif, j'eus mal à la tête et m'évanouis. Quand je me réveillai, j'étais allongée au pied de la fourgonnette, le cadavre castré me passait un peu d'eau sur le visage. Il devait être midi. Je lui demandai de verser un peu d'eau fraîche sur le cercueil métallique. Kouider devait suffoquer. Mon fils tendait l'oreille à la voix du poète, qui le tenait dans ses bras. Je laissai la caravane gorgée de milliers d’émigrés sur la route de Tébessa et partis avec le poète, le cadavre castré et Rima à la recherche d'un arbre nu et déchiré, mort debout, au pied duquel dormaient ma grotte et mes amis. Je le vis au bout de ma route, les bras levés vers le ciel. Face à mon arbre, je cessai de respirer et le regardai avec mes yeux mêlés aux yeux de Kouider. Je m'approchai de lui et glissai mes lèvres sur son écorce rugueuse. Il avait survécu à mes amis. Il était ce quelque chose qui avait poussé dans ma mémoire quand ma grotte mourut, il était l'unique quelque chose qui me parlait encore de mes amis J'y accrochai ma ceinture. Le sol ne trahissait plus l'existence de ma grotte. J'arrachai une motte de terre. Je l'emporterai avec moi à ARRIS. Je la déposerai dans une jarre et j'y planterai des marguerites.
Extrait de : La Grotte Éclatée Alger SNED. 1979.
In :http://timkardhit.hautetfort.com/archive/2007/03/10/la-grotte-eclatee-yamina-mechakra.html
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Extrait de Arris :

La mère ferme les mains en coquille autour de la bouche d’Arris. Recueille le vomi bilieux qu’elle verse dans un vieux chiffon qui lui sert de serviette. Le petit se remet à somnoler.

La mère plonge la main dans son corsage, en tire un minuscule paquet. De ses doigts fébriles, elle écarte les bouts entachés d’huile du journal et découvre un beignet doré, couvert de sucre. Le petit refuse de manger. Elle se sent moins seule. Sur une banquette, vieille de deux guerres, elle allonge Arris enveloppé dans une serviette de bain. Les malades couchés à même le sol, et dehors jusque sur les trottoirs, lui rappellent atrocement l’année du typhus : ça sent les crachats verts, spumeux et couverts de mouches lui meurtrissent la vue et l’estomac.
La mère se frotte la main pour la réchauffer, soulève la serviette et la glisse doucement sur le dos d’Arris.
Le monstre est là, gros comme une orange. Elle le palpe ; il est fluctuant. Le petit geint. Elle retire discrètement sa main. Puis la glisse de nouveau vers le monstre ; ce n’est pas de l’os. Elle vérifie les vertèbres, une à une : toutes présentes. Le monstre, c’est quoi alors ?

Il est de nature qu’aujourd’hui encore en Algérie on continue d’ignorer nos plus belles plumes. Ceux qui sont poussés par un excès de zèle tenteront de renier cette donne, mais la vérité est malheureusement là, à nous faire face. Elle est tellement cinglante qu’on n’ose même pas la regarder. Et le cas de l’écrivaine algérienne Yamina Mechakra n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. L’auteur de la Grotte éclatée est aujourd’hui dans la détresse. Pourtant, elle a tant donné à un pays qui continue d’ignorer encore ses meilleurs enfants.

Il est vrai qu’il n’est pas de l’habitude des officiels algériens de bouger le petit doigt pour venir à l’aide d’une frange aussi fragile que celle à qui appartient Mechakra, mais on n’est mieux compris que par ses semblables. Ses semblables comme Hayder Ben Hassen qui a adapté au théâtre la Grotte éclatée, ou Ahmed Benaïssa qui la mis en scène. La générale de la pièce a été présentée, hier, au Théâtre national algérien. Pour ceux qui veulent la voir, il n’est nullement trop tard, puisqu’une deuxième représentation sera donnée aujourd’hui, à 15h, au TNA. Cette pièce est un pan de la vie “fictive” de Yamina Mechakra. “Fictive, le mot est juste puisque le roman est une fiction. Néanmoins, cette œuvre n’est pas de celles qui appartiennent à la science fiction. Le roman de Mechakra est une fiction qui traite de faits réels”, dira Ahmed Benaïssa, lundi dernier, lors d’une conférence de presse animée au TNA. Tout en reconnaissant la difficulté de la mise en scène d’une pareille pièce, le metteur en scène a néanmoins souligné que “ça a été un énorme plaisir de mettre en scène une œuvre d’une pareille force psychologique”. En effet, la force psychologique de l’œuvre de Mechakra réside dans le fait qu’elle nous présente des personnages schizophréniques. A cela, on peut également ajouter le caractère d’une violence inouïe de ces mêmes personnages. Yamina Mechakra les a presque traînés dans la boue. Toutefois, les scènes décrites dans le roman ne reflètent que le vrai visage de la guerre de Libération nationale. Ahmed Benaïssa a, dans ce contexte, estimé que le “roman de Mechakra traite également de la situation actuelle de l’Algérie. Il est de ce fait affranchi des rênes du temps”. Par ailleurs, l’adaptateur de la pièce a indiqué que le texte de Mechakra est doté d’une force au point où il n’a de cesse de le tarauder depuis plus de dix ans. “J’étais absorbé par sa portée poétique et prosaïque à tel point que j’ai décidé de l’adapter. Et le projet je l’ai entamé en 2001, à l’Institut national des arts dramatiques et chorégraphiques de Bordj El Kiffan. Je l’ai fait en présence de Mechakra ; elle a trouvé l’idée géniale”, a indiqué Hayder Ben Hassen. Soulignons enfin que la pièce, la Grotte éclatée, est la cinquième pièce qui entre dans le cadre d’“Alger, capitale de la culture arabe 2007”. Elle sera jouée par trois comédiens du Théâtre national algérien, en l’occurrence Linda Sallam, Malika Belbey et Ali Djebarra.

Hakim C. Le Soir d’Algérie 08 mars 2007

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YAMINA MECHAKRA, LE RETOUR DE LA KEBLOUTI

Dire l’amour dans ses trois dimensions symboliques autour du même nous Arris , le pays ;l’ amant , l’ enfant : Je dis ma foi en demain clouée sur ma poitrine. Je dis Arris mon pays et ses moissons. Arris mes ancêtres et mon honneur. Arris mon amour et ma demeure

«A l'heure actuelle, dans notre pays, une femme qui écrit vaut son pesant d'or. » C'est par cette phrase restée célèbre que Kateb Yacine terminait la préface de La Grotte éclatée de Yamina Mechkra (ENAG-1979). Ce roman-poème, pluriel dans la pluralité des « je » féminins, mémoires et sensibilités de l'Algérie en lutte pour son indépendance, outre de nombreuses études universitaires qu'il a suscitées, a été traduit en plusieurs langues dont la plus récente, en cours, en version anglaise, est entreprise par trois Américaines de l'Etat de l'Ohio. Yamina Mechakra revient à l'écriture par la publication récente de Arris aux Editions Marsa (collection Algérie- Littérature-Action) ; un roman qui continue, en forme et en fond, La Grotte éclatée. A-t-elle cessé d'écrire depuis ? Comment a-t-elle vécu depuis ? Nous l'avons rencontrée dans l'ambiance katébienne. En fait, cette fille de la pierre aurésienne est une Keblouti obsédée par l'écriture, une écriture transhumante mais vrillée à l'Algérie : « Je creuserais la terre de mes mains, de ma bouche, mais je ne quitterai pas l'Algérie. »
Arris paraît vingt-deux ans après la publication de La Grotte éclatée (SNED, 1979) préfacé par Kateb Yacine qui a dit de vous : « A l'heure actuelle, dans notre pays, une femme qui écrit vaut son pesant d'or ».

Q : Pourquoi cette absence ?


Les gens s'imaginent que je me suis tue. Or, je n'ai pas cessé d'écrire, mais j'écris et je perds. Je n'ai pas la chance de Kateb Yacine qui a eu Jacqueline Arnaud qui a sauvé et fixé ses textes transhumants.

J'ai commencé à écrire à neuf ans, un roman à douze ans (manuscrit [qu’elle a] illustré de ses propres dessins intitulé Le Fils de qui ?) et j'ai publié à vingt-quatre ans. Je viens de sauver Arris et je n'en ai publié que le un dixième.
A l'origine, Arris fait 400 pages, et la mythologie d'Araki incluse dans le roman 120 pages. La Grotte éclatée est un roman que j'ai écrit en 1973. Ce n'est qu'au bout de sa troisième version (toutes ont été lues par Kateb Yacine) que je l'ai publié en 1979. Pour écrire Arris, je suis retournée vingt-six ans en arrière, l'année 1974 où j'ai rencontré le professeur Grangaud, pédiatre à l'hôpital de Béni Messous. Dans son service ambulatoire de pédiatrie, je prenais des notes.
Quand les patients s'endorment, je les reprends. Ainsi, l'idée d'Arris m'est venue de cette réalité des enfants hospitalisé(e)s. C'est donc une fiction construite à partir de cette expérience à Béni Messous. Les enfants que je soignais m'ont donné l'idée d'Arris. Surtout dans le service que j'ai créé pour les filles-mères. Un soir de garde, une mère se présente avec son enfant déshydraté. On lui exige un livret de famille qu'elle n'a pas et on lui refuse l'hospitalisation de son enfant. De ce personnage-clé que j'ai gardé, c'est le statut de la fille-mère et des enfants abandonnés que je pose dans sa réalité sociale et émotionnelle. Je suis restée six mois à Béni Messous. Je garde cette image d'une mère de 17 ans qui m'a jeté dans les bras son nourrisson et elle est tombée par terre. S'est-elle évanouie ? Elle était sûre d'avoir confié son bébé.

Q : Le récit d'Arris est simple, mais d'une tension psychologique extrême.

D'où avez- vous puisé cette énergie textuelle qui se déploie dans le cri obsessionnel d'une mère dans la quête de son enfant ?

J'écris avec mon coeur, mes viscères ; mes textes, en gestation, sont des accouchements douloureux. Seule la mère peut se permettre cette fulgurance du cri, ces gémissements. Elle emmène son fils malade, âgé de quatre printemps, en ville au prix de tous les sacrifices de la communauté pour l'hospitaliser. Or, et pour l'enfant, les quatre premières années de sa vie sont décisives. C'est pourquoi Arris, volé à sa mère, ne cesse de reconstruire son itinéraire. Mais Petite mère, c'est la Patrie. Elle est à l'image de ces femmes de Khenchela qui se sont révoltées en 1916 et se sont battues pelles et pioches à la main contre la France qui venait prendre leur fils pour la Première Guerre mondiale. Dans notre culture, la mère est gardienne de la mémoire et est épicentre des attaches, du groupe, de la communauté, de la grotte. Kateb Yacine était très lié à sa mère que j'ai connue. Issiakhem pleurait l'ancienne Kabylie des solidarités. La mère, malgré sa blessure béante, a confié à Arris, par les contes, la légende de la déesse-mère, Araki, le message de ses racines, de son identité. Où que l'on soit et de quelque origine, la mère est l'attache primitive. La Petite mère a gardé la culture, c'est la gardienne du temple jusqu'à son dernier souffle. C'est en quelque sorte une terre absolue.

Q : Le personnage d'Arris est fait de « transhumances intérieures », un concept que vous aviez étudié en psychiatrie. Est-ce une identité de la transculturation ?


Arris est une quête obsessionnelle des racines premières, de sa culture primaire, en dehors de toute religion et de toute langue, comme dans la mythologie d'Araki. Toute la littérature algérienne est marquée par ces états psychotiques de l'identité. Arris est un déraciné au premier degré, mais il est symbole de l'entêtement identitaire dans ses transhumances géographiques et surtout intérieures, dans les « bouffées délirantes » de la quête de soi. Kateb Yacine avait dit que chacun de nous sera quelque part caché dans la mémoire de son terroir. Certes, Arris a vécu ailleurs une autre culture, une autre famille qui l'a choyé, mais obsédé par son terroir, sa terre maternelle. Il retrouve ses racines mais il rencontre l'absence de son monde d'enfant. Il a vécu deux absences : la sienne et ceux qu'il a aimés. Ce texte a fait pleurer beaucoup de lecteurs, en majorité des femmes intellectuelles.


Q : Kateb Yacine reste votre référentiel en écriture. Peut-on dire que vous écrivez dans le texte katébien ?


Kateb Yacine m'a fait beaucoup lire des ouvrages qui lui étaient dédicacés. Je l'en remercie. Ma rencontre avec lui a été capitale. Mais, aujourd'hui, chacun se l'approprie. Or, lui, il était l'ami de tous. On disait de lui qu'il ne pouvait plus écrire ; or, son écriture est un long silence. Qu'on le laisse en paix. Issiakhem que j'ai connu est une montagne de sensibilités comme Kateb. Je ne les ai jamais vus pleurer.

In: Batnainfo mars 2009: http://www.scribd.com/doc/13974115/Batna-Info-Mars-2009fr

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Et cet appel :
Yamina Méchakra, est malade, elle séjourne actuellement à l'hôpital de Chéraga (Alger). Je lui souhaiterai un prompt rétablissement.
Svp tous ce qui peuvent lui rendre visite pour faire ainsi, tous ce qui ne peuvent pas satisfaire d'essayer de lui envoyer vos bénédictions de bonne santé
Juin 2010 ( ?)
In : http://www.chawiland.com/blogComment.php?blog_id=22
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