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samedi, septembre 15, 2012

342 - Richard Millet intellectualise et esthétise le racisme ordinaire, la haine.


Le trois septembre, de retour de l’étranger, j’apprenais que nombre  d’écrivains français et autres, étaient en colère contre un éditeur, membre du Comité de lecture de Gallimard. Il s’agit de Richard Millet. D’emblée je dois dire que je n’ai lu aucun livre de ce Millet. Depuis mon retour, je l’ai entendu sur différentes chaînes de télévisions et de radios (Youtube). J’ai lu tout ce que j’ai pu de lui, sur lui et sur ses écrits, sur la toile. Je connais suffisamment bien, par leurs écrits, certains auteurs cités dans ma présente intervention, pour faire confiance aux extraits qu’ils nous donnent à lire, extraits qui sont les leurs ou extraits de paroles et écrits de Millet qu’ils nous rapportent. Mais de quoi s’agit-il ?
Le 24 août dernier, Anders Behring Breivik, un jeune norvégien de 33 ans,  était condamné à Oslo à la peine maximale de 21 ans de prison pour avoir, le 22 juillet 2011, assassiné froidement à coups de fusil automatique 77 personnes, huit dans un attentat à la bombe contre le siège du gouvernement à Oslo, puis 69 autres, principalement des adolescents de la Jeunesse travailliste,  réunis dans une île de Norvège pour une manifestation contre le racisme.
Le même jour, Richard Millet (éditeur et écrivain très expérimenté et même très apprécié pour son écriture) publiait un pamphlet Langue fantôme suivi de Éloge littéraire d'Anders Breivik, oui éloge de l’assassin, un court texte de dix-huit pages aux éditions Pierre-Guillaume de Roux. Un essai qui rend hommage au terroriste norvégien responsable de la tuerie d'Utoya (Norvège). Millet a dit à propos de Déclaration d'indépendance européenne, un brûlot de 1500 pages que Breivik avait publié sur Internet, qu’il était « non dénué d’intérêt ». Ce livre «contient des analyses pertinentes de la perte de l'identité nationale» dit Millet. Le 28 août, Tahar Ben-Jelloun s’indignait sur France Inter : « Richard Millet vit une sorte de dépression parce qu’il considère que la civilisation chrétienne est en chute libre, menacée par ce qu’il appelle le multiculturalisme. Millet ajoute que le multiculturalisme ce sont l’Islam et les arabes. Il est très malheureux parce que la société telle qu’elle est ne lui plaît pas. J’étais un peu habitué à son délire raciste, mais là il va beaucoup trop loin.  La littérature ne doit pas être à côté des criminels et des salauds. Millet me vise directement lorsqu’il dit que si la littérature parle souvent petit nègre en France c’est qu’elle se tiers-mondise. Il a une haine de tous ceux qui écrivent en français et qui ne sont pas Français de souche. » L’auteur franco-marocain écrit sur son blog (taharbenjelloun.org) le 05 septembre : « (pour Millet) le fait que tant d’écrivains viennent d’Afrique, du Maghreb et du monde arabe et écrivent en français, participent de ce fait à la « décadence »  de cette littérature. »
Je suis tombé sur des extraits de livres de ce Richard Millet qui m’ont laissé sans voix. Il écrit en effet : « Anders Breivik est un enfant de la ruine familiale autant que de la fracture idéologico-raciale que l'immigration extra-européenne a introduite en Europe depuis une vingtaine d'années. » Quant aux jeunes tués par Anders Breivik en 2011, ils « n'étaient que de jeunes travaillistes, donc de futurs collaborateurs du nihilisme multiculturel. » Millet suggère-t-il qu’on pouvait donc les éliminer ? Je cherche encore et encore pour découvrir des écrits infects, nauséeux. Voici ce qu’il disait sur France-Culture, le 11 juin 2011, répondant à la question d’Alain Finkelkraut, « que désigne pour vous le mot France ? », Millet répondit : « Pour moi, la France je la définis comme  un drame. Le contenu du mot France est déjà défait (…) Je suis, notamment dans un espace comme dans le RER dans une situation ‘d'apartheid’ volontaire, c'est-à-dire que je m'exclus moi-même d'un territoire et d’un groupement humain où je ne me sens plus moi-même. Quand je suis le seul Blanc, ça me pose de telles questions. Je ne peux que m'exclure moi-même. Moi, je n'ai pas de réponse à cela, et si cette population est fortement maghrébine, je le suis encore moins...Quelqu’un qui, à la troisième génération, continue de s’appeler Mohamed quelque chose, pour moi il ne peut pas être français ». L’excellent humoriste Guy Bedos dirait : « libanais ou quelque chose ». Faut-il que Mohamed le français se renie au point de ne pas donner le prénom de son grand-père à son fils, faut-il qu’il éradique son passé au nom de l’intégration ? Cela n’est pas étonnant dans la bouche de cet individu qui aimait à parler du « plaisir qu’il avait eu à tirer sur des Arabes. » (Jean-Marie Laclavetine in bibliobs 28 08 2012). Il a même prétendu avoir tué «des hommes, des femmes, des vieillards, peut-être des enfants» aux côtés des Phalanges d’extrême droite libanaises. Abjecte homme.
Dans De l’antiracisme comme terreur littéraire le sulfureux Richard Millet écrit : « Ainsi, constatant que je suis le seul Blanc  dans la station de RER Châtelet-Les Halles, à six heures du soir ou déclarant que je ne supporte pas de voir s'élever des mosquées en terres chrétiennes, ou encore trouvant que prénommer, à la troisième génération, ses enfants Mohammed ou Rachida relève d'un refus de s'assimiler, c'est-à-dire de participer à l'essence française, tout cela ferait de moi un raciste. » Non, c’est de l’amour fou. Cette exécrable répugnance parmi les répugnances, toutes ces ignobles paroles sont un acte politique assis sur de la littérature, l’utilisant, l’exploitant. C’est selon D. Caviglioli « une logorrhée digne d'un PMU toulonnais » (in bibliobs 30 08 2012).
L’écrivaine Raphaëlle Rérolle écrit in Le monde. fr du 27 08 : « En dix-huit pages, Richard Millet déroule avec rage la litanie des haines qu'il a déjà déversées dans d'autres écrits, notamment Opprobre, paru chez Gallimard en 2008. Inscrit dans une pensée d'extrême droite qui n'hésite pas à esthétiser la violence, Millet n'en est pas à ses débuts, en matière d'anathème. »
Le Clézio est connu pur sa grande discrétion. Mais les outrages de ce Millet l’ont fait bondir : «Au nom de quelle liberté d’expression, à quelles fins, ou en vue de quel profit un esprit en pleine possession de ses moyens (du moins on le suppose) peut-il choisir d’écrire un texte aussi répugnant?» écrit-il dans une tribune in bibliobs.nouvelobs.com le 05 septembre. « Richard Millet recherche très consciemment le scandale. Cela fait partie de sa stratégie d’auto-victimisation » écrit Pierre Jourde sur son blog (pierre-jourde.blogs.nouvelobs.com) Pour Le Clézio  (qui n’est selon Millet qu’un « chien de garde qui aboie comme d’habitude ») «la question du multiculturalisme, qui semble obséder si fort certains de nos politiques et quelques-uns de nos prétendus philosophes, est une question déjà caduque», puisque «nous vivons dans un monde de rencontres, de mélanges et de remises en causes». (in bibliobs 05 09 2012)
Annie Ernaux écrit (Le Monde.fr du 10.09) : Les propos de Millet « exsudent le mépris de l'humanité et font l'apologie de la violence au prétexte d'examiner, sous le seul angle de leur beauté littéraire, les "actes" de celui qui a tué froidement, il y a un an, 77 personnes en Norvège. Des propos que je n'avais lus jusqu'ici qu'au passé, chez des écrivains des années 1930. » 118 écrivains ont approuvé le texte d’Ernaux  (dont Amélie Nothomb, Alain Mabanckou, Camille Laurens, Tahar Ben Jelloun, Bertrand Leclair, JMG Le Clézio, Boualem Sansal, Christian Prigent, Marie Desplechin). A cela Millet répond «l'antiracisme (c’ est du) terrorisme».
Qui est responsable selon Millet de la misère culturelle, littéraire en France, je vous le donne en mille ? Les colons du 20° et 21° siècle, montés du sud, ces immigrés asiatiques ou pire encore africains, arabes et musulmans bien sûr : « le repeuplement de l’Europe par des populations dont la culture est la plus étrangère à la nôtre » écrit Millet. Il y aurait ainsi les Français de souche, ceux du premier cercle, et les autres, les Français de seconde zone, qui n’auraient pas dû l’être (français).
« Les positions idéologiques de Richard Millet me paraissent lamentables » écrit Pierre Nora (in Le Monde.fr  - 11 09). Nora est un historien, académicien et membre, comme Millet,  du comité de lecture chez Gallimard. Mais hélas, Millet n’est ni le premier ni le dernier à propager la haine contre « les autres », ces étrangers, même devenus des nationaux.  Des hommes politiques, des « artistes », chroniqueurs radio et télé…. diffusent en France (je ne connais pas la situation des autres pays européens) et de manière récurrente des paroles suggestives, parfois directes, parfois très subtilement,  contre les immigrés arabes, musulmans, africains  (Zemmour, Houellebecq, Finkielkraut - oui, oui - et tant et tant). Il y a à l’évidence une « certaine corruption de la pensée contemporaine et de la responsabilité des écrivains dans la propagation du racisme et de la xénophobie. » (Le Clézio dans La lugubre élucubration de M. Millet)
A la périphérie de toute cette affaire c’est que ce triste homme en tire un bon profit : sa Langue fantôme a été vendue à  7500 exemplaires  et son Antiracisme comme terreur littéraire à 6500. Et ce n’est pas fini.
Millet a démissionné ce jeudi  13 septembre du Comité de lecture de Gallimard, mais il reste néanmoins salarié.
Ahmed Hanifi
Marseille, le 15 septembre 2012

samedi, septembre 08, 2012

341 - Des hauts et des bas


Ces dernières semaines je fus pris dans un tourbillon, aspiré par des tas de choses à régler, des proches à voir, des lieux à visiter.

Le moral a frisé parfois le beau-fixe, parfois il fut entraîné à la lisière du blues ou du cafard. Nous ne sommes hélas pas totalement maîtres de notre vie, encore moins de celle de nos proches. 



Mansourah, la mosquée aux 13 portes, est un monument édifié au début du 14° siècle par le sultan mérinide Ib Yakoub Abd el Haq pendant le siège (8ans) qu’il fit subir à Tlemcen la zianide. Tlemcen fut la capitale centrale du Maghreb au 11° siècle et plus tard entre le 13° et le 16° siècle).






 





Des moments ou des lieux majestueux participent autant qu’ils peuvent pour soulager les êtres fragiles que nous sommes. Les sites comme celui de Mansourah à Tlemcen ou celui de Tipasa près d'Alger participent de ce que je viens d’écrire. 
J’y ai pris en août dernier quelques photos qui ne reflètent que partiellement ce nous pouvons y ressentir, ce que j’y ai personnellement ressenti.

Voici ce qu’écrivait Albert Camus à propos de Tipasa :

« Au printemps, Tipasa est habitée par les dieux et les dieux parlent dans le soleil et l’odeur des absinthes, la mer cuirassée d’argent, le ciel bleu écru, les ruines couvertes de fleurs et la lumière à gros bouillons dans les amas de pierre A certaines heures, la campagne est noire de soleil. Les yeux tentent vainement de saisir autre chose que des gouttes de lumière et de couleurs qui tremblent au bord des cils. L’odeur volumineuse des plantes aromatiques racle la gorge et suffoque dans la chaleur énorme. A peine, au fond du paysage, puis-je voir la masse noire du Chenoua qui prend racine dans les collines autour du village et s’ébranle d’un rythme sûr et pesant pour aller s’accroupir dans la mer.
Nous arrivons par le village qui s’ouvre déjà sur la baie. Nous entrons dans un monde jaune et bleu où nous accueille le soupir odorant et âcre de la terre d’été en Algérie. Partout, des bougainvillées rosat dépassent les murs des villas ; dans les jardins, des hibiscus au rouge encore pâle, une profusion de roses épaisses comme de la crème et de délicates bordures de longs iris bleus. Toutes les pierres sont chaudes. A l’heure où nous descendons de l’autobus couleur de bouton d’or, les bouchers dans leurs voitures rouges font leur tournée matinale et les sonneries de leurs trompettes appellent les habitants.
A gauche du port, un escalier de pierres sèches mène aux ruines parmi les lentisques et les genêts. Le chemin passe devant un petit phare pour plonger ensuite en pleine campagne. Déjà, au pied de ce phare, de grosses plantes grasses aux fleurs violettes, jaunes et rouges, descendent vers les premiers rochers que la mer suce avec un bruit de baisers. Debout dans le vent léger, sous le soleil qui nous chauffe un seul côté du visage, nous regardons la lumière descendue du ciel, la mer sans une ride, et le sourire de ses dents éclatantes. Avant d’entrer dans le royaume des ruines,  pour la dernière fois nous sommes spectateurs.
Au bout de quelques pas, les absinthes nous prennent à la gorge. Leur laine grise couvre les ruines à perte de vue. Leur essence fermente sous la chaleur, et de la terre au soleil monte sur toute l’étendue du monde un alcool généreux qui fait vaciller le ciel. (…)
Que d'heures passées à écraser les absinthes, à caresser les ruines, à tenter d'accorder ma respiration aux soupirs tumultueux du monde ! Enfoncé parmi les odeurs sauvages et les concerts d'insectes somnolents, j'ouvre les yeux et mon coeur à la grandeur insoutenable de ce ciel gorgé de chaleur. Ce n'est pas si facile de devenir ce qu'on est, de retrouver sa mesure profonde. Mais à regarder l'échine solide du Chenoua, mon coeur se calmait d'une étrange certitude. J'apprenais à respirer, je m'intégrais et je m'accomplissais. Je gravissais l’un après l’autre des coteaux dont chacun me réservait une récompense, comme ce temple dont les colonnes mesurent la course du soleil et d’où l’on voit le village entier, ses murs blancs et roses et ses vérandas vertes. (…)
Ici même, je sais que jamais je ne m’approcherai assez du monde. Il me faut être nu et puis plonger dans la mer, encore tout parfumé des essences de la terre, laver celles-ci dans celle-là, et nouer sur ma peau l’étreinte pour laquelle soupirent lèvres à lèvres depuis si longtemps la terre et la mer. Entré dans l’eau, c’est le saisissement, la montée d’une glue froide et opaque, puis le plongeon dans le bourdonnement des oreilles, le nez coulant et la bouche amère – la nage, les bras vernis d’eau sortis de la mer pour se dorer dans le soleil et rabattus dans une torsion de tous les muscles ; la course de l’eau sur mon corps, cette possession tumultueuse de l’onde par mes jambes – et l’absence d’horizon.
Sur le rivage, c’est la chute dans le sable, abandonné au monde, rentré dans ma pesanteur de chair et d’os, abruti de soleil, avec de loin en loin, un regard pour mes bras où les flaques de peau sèche découvrent avec le glissement de l’eau, le duvet blond et la poussière de sel. »
 

 Albert CAMUS, Noces à Tipasa, Gallimard.

Et nous sommes heureux de vivre.
Au fait, le 30 juillet je voguais sur l'eau, non loin des Baléares. Il devait être 10 heures lorsque j'ai balancé par dessus bord du paquebot deux bouteilles à la mer, une grande et une petite, avec un mot sympathique dans chacune, demandant à celui ou celle que le ou les découvrirait (ou mettrait la main dessus), de bien vouloir me contacter au courriel mentionné. Avis: aucune prime ou récompense ne sera versée. Voici la preuve:

  
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IL FAUT ESPOIR GARDER: