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mardi, juin 05, 2012

328 - Boualem Sansal - Entretien avec DNA et autres articles

Rencontre avec l'écrivain Boualem Sansal : «Dès qu’un Algérien va en Israël, on sort les couteaux»
 

Notre rencontre se déroule dans les locaux de Gallimard, l’une des plus prestigieuses maisons d’édition française. Ici, l'écrivain algérien Boualem Sansal est presque comme chez lui. « Durant mon séjour à Paris, je suis logé dans la maison de Gallimard, dans un petit appartement très confortable, dit-il. C’est un privilège très rare accordé à une poignée d’auteurs. »

Et pour l’entretien, on aura droit à un autre privilège : l’ancien bureau de Claude Gallimard et d’Albert Camus. Une pièce spacieuse avec la fameuse table en bois où travaillait l’auteur de « L’Etranger », une bibliothèque, des fauteuils, un grand sofa et une vue sur le jardin qui fait face au bâtiment qui abrite les éditions La Pléiade.
Depuis la publication en 1999 de son premier roman « Le Serment des Barbares » qui lui a valu le prix du « Premier roman », Boualem Sansal, 62 ans, enchaîne les romans à raison d’une fournée presque tous les trois ans. Il enchaine les publications autant qu’il collectionne prix et distinction. Le dernier en date est le Prix du Roman-News pour son roman « Rue Darwin », reçu mardi 29 mai
Le mois dernier, Boualem Sansal a fait sensation et suscité la polémique en séjournant du 13 au 17 mai en Israël pour la troisième édition du Festival international des écrivains à Jérusalem dont il était l’invité d’honneur.
Salué ou critiqué, ce voyage n’est pas passé inaperçu aussi bien en Algérie qu’à l’étranger. D'un calme olympien, l'écrivain répond aux questions de DNA.
DNA : Pourquoi Israël ?
Boualem Sansal : L’invitation m’est parvenue il y a six mois alors que j’étais à Alger où je vis toujours. Et je n’ai pas hésité pour répondre favorablement. Depuis la publication en 2008 du « Village de l’Allemand » qui a été traduit en hébreu et qui a fait sensation en Israël, j’ai reçu quatre ou cinq invitations pour me rendre dans ce pays. Je n’ai pas pu y aller pour cause d’agenda personnel chargé ou à cause des événements de Gaza de 2009. Cette fois-ci, j’étais disponible et c’était le bon timing. De plus, la situation sur le front israélo-palestinien semble calme ou relativement.
Tu pouvais donc y aller avant…
Oui, à plusieurs reprises, mais ce n’était jamais la bonne occasion, le bon moment. Depuis quelques années à travers mes divers voyages, je rencontre des Palestiniens et des Israéliens lors des débats auxquels je prends part à travers le monde. C’est encore plus vrai depuis l’avènement du printemps arabe qui a fait tomber des dictatures en Tunisie, en Egypte où en Libye, là où la parole s’est enfin libérée. Dans la foulée, je me suis dit comment exploiter la dynamique du printemps arabe dans le cadre du conflit israélo-palestinien pour rassembler des intellectuels palestiniens, israéliens, tunisiens, marocains, algériens…
Et c’est en Israël que tu le feras…
Il fallait rompre le cercle qui consiste à maintenir ce pays en dehors de ces mutations, de ces révolutions qui bouleversent non seulement le Maghreb et le monde arabe mais aussi le monde entier. Je me suis dis pourquoi ne pas rencontrer les Israéliens chez eux. Ils m’invitent, alors j’y vais.
Sauf qu’en Algérie, se rendre en Israël reste un tabou, un acte assimilé à une trahison
C’est un tabou qu’il faut casser. Aucun pays arabe n’est aujourd’hui en guerre avec Israël. Beaucoup de pays arabes entretiennent des relations diplomatiques, économiques avec cet Etat. Il n’y a que l’Algérie qui fait exception. De plus, l’Algérie n’est pas en guerre contre Israël.
D’autres avant toi ont fait ce voyage ou des gestes…
En juillet 1999, le président Bouteflika a serré la main du Premier ministre israélien Ehud Barak et s’est entretenu avec lui pendant 7 minutes au Maroc. Que je sache, personne n’a demandé à lyncher le président. Dans les années 1990, l’actuelle ministre de la Culture Khalida Toumi, à l’époque opposante au régime algérien, s’est rendue en Israël sans que cela ne soulève une tempête. Des journalistes algériens sont partis en voyage en Israël au cours de l’été 1999. Certes, ils ont été lynchés, mais le monde ne s’est pas écroulé pour autant.
Cette année là aussi, le président avait invité les juifs d’Algérie à venir en Algérie. Une année plus tard, il a invité le chanteur Enrico Macias à venir à Constantine, sa ville natale. Si je me rappelle bien, Bouteflika a même embrassé Enrico Macias lors d’une réception offerte à Paris au cours de sa visite d’Etat en juin 2000.
A chaque fois, je constate que ce sont les islamo-conservateurs qui provoquent le scandale, qui crient à l’infamie, qui appellent au lynchage. Le président Bouteflika a fini par céder aux conservateurs. Lui qui avait montré une volonté de normaliser les relations avec les juifs, une volonté de casser les tabous, il aura fini par abdiquer devant ces islamo-conservateurs.
Il faut arrêter avec cette hypocrisie, ces lynchages systématiques, ces appels au meurtre, ces tribunaux qu’on érige dès qu’un Algérien se rend en Israël. Je crois qu’il faut passer à une autre étape dans l’intérêt même des Palestiniens.
Les premières levées de boucliers sur ton voyage sont venues du Hamas palestinien…
Absolument. Avant mon départ, le programme du festival a été rendu public. Des gens du Hamas rédigent alors un communiqué virulent dans lequel ils me condamnent et assimilent ma future présence à un acte de trahison contre les Palestiniens. Ils demandent alors aux pays arabes de boycotter Boualem Sansal. Paradoxalement, l’autorité palestinienne n’ont rien dit à propos de ma présence en Israël, les autres Palestiniens non plus. Il n’y a que les intégristes du Hamas pour agiter le torchon de la trahison et dresser l’échafaud.
Une tentative d’intimidation...
Sauf que je ne me laisse pas intimider par les menaces, les chantages et les appels à l’excommunication. Les islamistes ne me font pas peur. Nous n’avons pas plié devant les intégristes qui nous promettaient la mort à Alger pour céder devant les islamistes de Hamas.
En Algérie, on t’a déconseillé d’effectuer ce voyage ?
Personne en Algérie ne m’a demandé de ne pas partir en Israël. On m’aurait déconseillé ce voyage que je m’y serais rendu de toutes les façons. Je suis un écrivain, un homme libre et personne ne peut me dicter ma conduite. Dix jours avant mon départ, je suis passé à l’ambassade israélienne à Paris et j’ai obtenu mon visa en 10 minutes.
Un visa sur ton passeport algérien ?
Non ! Il n’y a aucune trace du visa israélien sur le passeport algérien pour ne pas rajouter un supplément de risques. On te donne une sorte de passeport volant. Ils sont conscients que tamponner un visa israélien sur un passeport algérien pourrait provoquer des conséquences incalculables.
Tu avais tout de même des appréhensions avant ton départ…
Et comment ! Bien sûr qu’il y a des appréhensions, des questionnements. On s’interroge sur la valeur de son geste, sur sa portée, ses conséquences, sur le retour au pays, sur les réactions de ses compatriotes. On pense même au pire, un attentat, un mauvais accueil. Mais il y a aussi des questionnements qui concernent l’expérience à titre individuel. Au-delà de l’aspect politique qui pourrait entourer ce séjour, Jérusalem est une ville chargée d’Histoire. C’est la cité céleste, la ville qui abrite les trois lieux saints de la Cité éternelle: le Kotel (le Mur des Lamentations), le Saint-Sépulcre et le Dôme du Rocher.
Sur place, tu as bénéficié d’une protection particulière compte tenu de ces menaces ?
Non, pas particulièrement. J’ai été traité comme un VIP dans la mesure où j’étais l’invité d’honneur du festival. Sur place, il y avait une protection discrète autour du festival, mais je n’étais pas cornaqué, je n’avais pas de garde personnelle. J’étais libre de mes mouvements. J’ai fait le voyage vers l’hôtel dans un taxi conduit par un juif marocain. Nous avions parlé des juifs, du Maroc, de l’Algérie. D’emblée, je me suis presque senti comme si j’étais dans un pays du Maghreb.
Au cours de ton séjour, tu as évoqué l’actualité en Algérie ?
Ce sont les juifs issus du Maghreb qui m’ont le plus parlé de l’Algérie. J’ai rencontré des juifs séfarades qui ont vécu en Algérie pendant des décennies et qui sont partis en 1962, en 1970 ou en 1975, c'est-à-dire après l’indépendance du pays. Ils nourrissent une nostalgie très forte à l’égard de l’Algérie que certains appellent encore le « bled ».
Ils me demandent s’ils peuvent y retourner, si la guerre est finie…Certains veulent revoir le village où la ville où ils ont vécu, d’autres veulent y amener leurs enfants avant de mourir. Beaucoup espéraient vraiment faire le voyage en Algérie car, au début de son premier mandat, le président algérien avait invité les juifs à y venir.
Ton voyage a été fortement médiatisé et critiqué. Tu en as été affecté ?
J’ai le cuir tanné. Depuis la parution en 1999 du « Serment des Barbares », on ne m’épargne rien. Les insultes, la censure. Mais les insultes et les critiques, je ne les lis plus. En Algérie, en particulier, dans un certain milieu intellectuel, on cultive une certaine haine à l’égard de Boualem Sansal qui demande à être psychanalysée. On cherche à me faire la peau. J’ai comme l’impression que le nom de Sansal dérange. J’aurais répondu à une invitation du Hamas, on m’aurait traité d’islamiste.
Pourquoi déranges-tu ?
Il faut poser la question aux autres. Quoi que je fasse, quoi que je dise ou écrive, je dérange. Mais cela ne m’empêche pas de dormir, de vivre, de voyager, de travailler. Je suis un homme libre et si j’avais voulu que l’on me fiche la paix, je serais parti vivre ailleurs. Mais je réside toujours à Boumerdès et je voyage de part le monde sans me soucier de ce que les uns et les autres disent ou écrivent sur moi.
Et tu n'es pas un écrivain qui ferme sa gueule
Je n’ai pas choisi la posture de l’écrivain qui écrit ses romans, les publie et se calfeutre chez lui. Je m’exprime, je commente l’actualité dans mon pays et dans le monde arabe. Je fais des conférences dans le monde entier, je rencontre des intellectuels, des romanciers, des hommes politiques, des gens ordinaires. Je ne prétends pas refaire le monde et je ne suis pas un politicien, mais ma parole et mes actes sont ceux d’un homme libre.
Un écrivain n’est pas simplement un homme qui publie des livres. Il est aussi un personnage dont la parole compte, pèse. En Israël, j’ai rencontré David Grossman, un monument de la littérature israélienne et mondiale qui a perdu son fils en 2006 lors de la guerre au Liban. En Israël comme ailleurs, la parole de David Grossman est précieuse. J’ose espérer que notre rencontre soit le début d'un grand rassemblement d'écrivains pour la paix.
Tu appréhendes ton retour en Algérie ?
Bien  sûr ! Quand je vois le tombereau d’insultes, les mises en accusations, les qualificatifs de traite, de dangereux irresponsable qu’on m’a accolés, forcément j’appréhende mon retour en Algérie. Je ne suis pas à l’abri d’actes de violence. Souvenons comment les journalistes algériens ont été littéralement lynchés après le voyage qu’ils ont effectué en Israël en 1999.
J’ai comme l’impression que sur la question palestinienne, sur les rapports avec Israël, certains Algériens veulent être plus Palestiniens que les Palestiniens. Les Palestiniens peuvent s’asseoir avec les Israéliens autour de la table de négociations, des gouvernements arabes peuvent avoir des relations diplomatiques avec l’Etat d’Israël, commercer avec sans que cela ne choque. Mais dès qu’un Algérien se rend dans ce pays, on sort les couteaux.
Si le conflit israélo-palestinien tarde à être réglé, c’est parce qu’il y a aussi une surexploitation de ce conflit de la part des Arabes, des Européens, des Américains…La paix est une affaire exclusivement entre Palestiniens et Israéliens et il faut que les deux parties s’autonomisent.
Tu n’as jamais été tenté par l’exil ?
Si, si. Cela me tente tous les jours, mais je préfère rester en Algérie. Je vis à Boumerdès avec ma femme. Mes deux filles, nées d’un premier mariage avec une Tchèque, vivent à Prague. J’avais et j'ai encore la possibilité de partir, de vivre aisément ailleurs, mais j’ai choisi de rester dans mon pays. Je n’ai pas quitté l’Algérie dans les années de bruit et de fureur, je ne la quitterai pas aujourd’hui.
De quoi vit Boualem Sansal ?
Mes livres me mettent à l’abri du besoin. Je vis confortablement des revenus de mes écrits qui sont traduits dans une vingtaine de langues. Quand j’écris, je suis dans ma bulle à la maison. Je travaille entre 10 et 12 heures sans arrêt. Quand le livre est publié, j’assure comme on dit le service-après vente. Sinon, je suis un citoyen algérien ordinaire.
Lundi, 04 Juin 2012, Farid Alilat

In : http://www.dna-algerie.com
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Interview de l’écrivain algérien Boualem Sansal paru le 29 mai 2012 sur le site « globalpost ».
JÉRUSALEM — Il ya six mois, l’écrivain algérien Boualem Sansal a reçu le prix de la paix à la Frankfurt Book Fair, avant lui, avait entre autres, mérité cet honneur, Susan Sontag, Oran Pamuk et Vaclav Havel des auteurs et des icônes culturelles reconnues dans le monde entier.
Ce prix, Boualem Sansal l’a reçu à un moment difficile. Alors qu’il fait partie d’une petite brochette d’intellectuels des pays arabes, dont les appels pour la liberté ont inspiré les insurrections qui ont flambé dans le monde arabe au cours de l’année écoulée, c’est aussi paradoxalement, l’une des cibles de la révolte, du fait de ses déclarations sur la liberté et contre l’islam.Bien qu’il soit populaire en France, en Allemagne et dans beaucoup d’autres pays occidentaux, ses livres sont interdits en Algérie.
« Le printemps arabe a complètement échoué, » a déclaré Boualem Sansal dans une entrevue avec GlobalPost. « C’est une catastrophe dont seuls les islamistes pourront tirer profit ».
Pour avoir accepté une invitation au Festival des écrivains de Jérusalem qui s’est tenue du 23 au 29 mai 2012, Boualem Sansal est menacé par le gouvernement algérien d’une peine de 20 ans de prison. Lors d’une escale à Paris sur son chemin en Israël, il a mentionné cette menace à ses éditeurs chez Gallimard, mais leur a demandé de n’encourager aucune action, pétition ou autre, jusqu’à ce qu’il soit effectivement détenu.
Il n’a pas peur, et, a-t-il dit à son éditeur. « Je vais à Jérusalem et nous verrons au retour. »
La menace du pouvoir algérien contre Boualem Sansal, se comprend d’autant mieux, que cet homme de 62 ans à la voix douce, est par excellence une figure même de ce qu’il reste de l’intelligentzia algérienne. Né dans une famille laïque et cosmopolite de langue française, il a vécu dans son pays l’Algérie, depuis la naissance. Il porte un passeport unique, il n’a pas la double nationalité des sois disant auteurs  « algériens » soi-disant sulfureux. Il a commencé une carrière d’ingénieur et d’économiste, dans l’industrie pétrolière algérienne puis comme haut fonctionnaire au ministère de l’Industrie.
« J’ai de nombreux ennemis, » dit-il, en esquissant un sourire. « J’ai toujours détesté que des gens utilisent l’islam comme une arme de guerre. J’ai toujours détesté le discours antioccidental de l’islamisme.
Ils m’accusent d’être un ennemi de l’islamisme, mais comment pouvez-vous être l’ennemi de quelque chose vous ne reconnaissez pas ? »
Il a commencé son  travail d’écrivain, à partir du premier roman publié a 50 ans « Le Serment des barbares, paru chez Gallimard en 1999 qui obtint le prix du premier roman et le prix Tropiques, dans ses romans il a  consciemment et de façon subtile, fait valoir contre un romanesque  hermétique, une  vision du monde contre le fanatisme. Jusqu’à présent, seul son prix Goncourt «  Le Village de l’Allemand ou Le journal des frères Schiller, paru chez Gallimard en 2008, a été traduit en anglais. Publié aux États-Unis sous le nom de Mujahid allemand et au Royaume-Uni comme un travail encore inachevé, mais pour les Anglais multi culturalistes, il est un doozy — explicitement un homme assimilant l’Islam radical et le nazisme.

Son ouvrage qui reçu le prix Goncourt, “Le Village de l’Allemand ou Le journal des frères Schiller,” est basée sur une expérience que Boualem Sansal eu comme jeune ingénieur, quand, venu dans un village algérien, éloigné de tout, il découvre une “anomalie algérienne”, un village avec parterres de fleurs impeccablement entretenus, des routes asphaltées et parfaitement entretenues, des maisons carrées avec des toits inclinés. Après enquête, il découvre que le maire de la ville, un ancien militaire de l’ALN héros de l’indépendance algérienne, est en fait un fugitif nazi. C’est dans ce creuset – un homme perçu comme un héros alors qu’il devrait représenter l’incarnation du mal, et comment l’humanité peut survivre alors que se révèlent être le même homme — que le livre déroule une histoire de ce qui pourrait être la rédemption, muais avec un dénominateur commun chez les villageois et l’allemand, la haine du juif.

Dans un entretien au “Jewish Chronicle”, Boualem Sansal établi un rapport entre les djihadistes et les nazis : “Il y a des similitudes énormes — le concept de la conquête : des âmes, mais aussi des territoires et il ya l’idée d’extermination, l’extermination de tous ceux qui ne se soumettent pas à l’idéologie de l’islamisme. Je crois que nous devons analyser le national-socialisme, si nous voulons garder l’islamisme en échec.”
“Nous ne sommes pas condamnés à vivre une peine de prison éternelle,” dit Boualem Sansal de ses frères arabes. “Nous pouvons être des hommes libres.”
Boualem Sansal  quand il nous reçoit paraît tout à fait modeste dans une veste , sombre chemise bleue et cravate correspondante, avec une queue de cheval grise bien rangée qui serpente le long de son dos. À la fois intensément présent et discret, portant un visage remarquablement ouvert, il paraît observer le monde avec des yeux vigilants et méfiants. Dernièrement, il en est venu à se définir comme vivant dans un “exil intérieur”. Lui et son épouse, Naziha, un professeur de mathématiques, ont dus aller vivre dans une ville éloignée, dans une université encerclée par un mur et des barbelés. Sa femme et ses sœurs, dit-il, “sont parmi les plus braves gens que je connais” parce qu’ils osent quitter leur foyer en tenue occidentale, sans le voile.
Son premier roman, publié en 2000, a provoqué la perte de son emploi du ministère et ensuite, peu de temps après, le licenciement de sa femme de l’Université d’Alger. Il a commencé à avoir des difficultés pour renouveler son passeport, puis il a été l’objet d’une campagne de propagande où il était décrit comme un ennemi de la nation arabe, de l’islam, des traditions, et épris des États-Unis, d’Israël et des perversions.
Ses deux filles, nées d’un premier mariage, vivent à Prague.
Boualem Sansal définit l’islam radical comme “le vrai problème de tous les pays arabes.”
“Pendant une dizaine d’années après l’indépendance, les choses en Algérie étaient normales, puis ils ont commencé en parlant de nationalisme, un processus d’islamisation, et d’arabisation et abandonné le progressisme, le développement, la laïcité et c’est alors que tous les problèmes ont commencé.”
Pour lui, la laïcité n’a de sens que dans une démocratie, il n’y a pas de vertu dans une dictature, il n’y a pas de sens. ».
Ainsi, pour lui, la Syrie est un autre exemple d’un gouvernement dictatorial. Boualem Sansal appelle les puissances occidentales à intervenir en Syrie, et à émettre un mandat d’arrêt contre le président syrien Bachar al-Assad et ses généraux.
« Nous ne devrions pas avoir à attendre pour agir que le pays tout entier soit massacré ». Dans le même temps, le peuple de Syrie ne devrait pas abandonner. Ils doivent continuer à lutter. S’ils sont vaincus aujourd’hui, il s’écoulera 20 ans avant de savoir qui a été tué, qui a disparu et qui a été arrêté. »
Le printemps arabe avait initialement rempli Boualem Sansal  d’optimisme avant qu’il ne tombe dans un sentiment de déjà-vu et comme l’aphorisme aujourd’hui en Algérie «, plus ça change, plus c’est la même chose ».
« Ils exigent le départ d’un dictateur à l’échanger pour une autre. Une révolution doit être contre les idées qui ont mené à la dictature, non pas contre un individu. Il doit être pour des idéaux, pour la liberté, pour le rationalisme. »
« En Algérie, le peuple a librement voté pour une dictature, qui sera pire que celle qui était là avant lui. »
« Nous créons de nombreux petits Irans, de petites théocraties »
Sa grande crainte pour les années à venir, c’est que les nations nouvellement « libérées » formeront « une nouvelle Ligue arabe, fondée sur une religion. Ce serait une chose très dangereuse. »
Après avoir quitté Israël, Sansal a publié un article dans le Huffington Post intitulé « Je suis allé à Jérusalem… et je suis revenu, enrichi et heureux. »
S’adressant à ses « chers frères, chers amis, en Algérie, en Palestine, en Israël et ailleurs, » Boualem Sansal écrit :
« Je vais vous parler d’Israël et les Israéliens comme on les voit avec ses propres yeux, sans intermédiaires, loin de toute doctrine… Le fait est que, dans ce monde, il n’y a aucun autre pays et aucune autre des gens comme eux. Quant à moi, ça me rassure et me fascine et je sais que nous sommes tous uniques. Et je sais que pour beaucoup l’unique est irritant, mais nous avons la charge de le chérir, car le perdre serait une perte irrémédiable. »
2 juin 2012 by union
http://uniondesfrancaisjuifs.fr

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Sansal, kippa et prix Nobel
De retour de son voyage à Jérusalem, «ville chargée d’Histoire, cité céleste qui abrite les trois lieux saints de la Cité éternelle», l’écrivain algérien Boualem Sansal en est revenu «riche et heureux». Il l’a dit lui-même dans une lettre à ses lecteurs dans le HuffingtonPost France, dirigé par Anne Sinclair-Strauss-Khan. Il s’en est également expliqué dans le journal en ligne Dernières Nouvelles d’Algérie. Il dit notamment que «quoi qu’il fasse, quoi qu’il dise et quoi qu’il écrive, il dérange». Ecrire, c’est son bonheur intellectuel et sa prospérité personnelle. Faire, c’est son absolue liberté. Dire, cela dépend de ce qu’on dit, et c’est peut-être même son devoir d’écrivain que de dire. Un écrivain, comme il le dit lui-même à DNA, dans un ancien bureau parisien d’Albert Camus chez Gallimard, «n’est pas seulement un homme qui écrit des livres ; il est aussi un personnage dont la parole compte, pèse.» Déranger, mon dieu, c’est le lot de tous les écrivains emblématiques. Le fait même de déranger est la meilleure distinction littéraire qui soit. La plus belle reconnaissance du talent. Et, surtout, la traduction la plus juste de l’esprit de liberté dont un écrivain puisse faire preuve. Aller en Israël n’était pas en soi un geste héroïque. D’autres Algériens, d’autres Arabes et d’autres musulmans, pour des motifs différents s’y sont déjà rendus. D’autres suivront, pour d’autres motifs. Le propos n’est donc pas de discuter de ce qui relève de la liberté, du libre-arbitre, de la dignité et de la conscience d’un homme ou d’une femme. A fortiori d’un écrivain de renom ou d’un homme de symboles. Boualem Sansal est un homme de lettres et un Algérien symbolique, pas comme les autres. C’est cette dimension que ses interlocuteurs israéliens ont saisie dès la lecture en 2008 de son roman «Le Village de l’Allemand». Livre symbolique comblant d’aise Juifs non Israéliens et Israéliens juifs, tel l’écrivain et historien Serge Klarsfeld, «chasseur de Nazis», qui a fait traduire devant un tribunal Klaus Barbie. Il était donc entendu, et Boualem Sansal l’admet lui-même, que les invitations à visiter Jérusalem «où il y a de l’irréalité dans l’air», allait lui être lancées, depuis 2008. Encore une fois, la question n’est donc pas dans ce que M. Sansal devait faire, écrire ou dire. Elle réside dans ce que l’homme des symboles qu’il est, «dont la parole compte (et) pèse», n’a pas voulu ou pu dire en Israël, sur le sort du peuple palestinien. A ce sujet, l’écrivain s’insurge contre «certains» de ses compatriotes qui «veulent être plus palestiniens que les Palestiniens.» En fustigeant ce qu’il perçoit comme un excès de palestinianité, il prend donc le risque inverse, celui de dédouaner l’Etat hébreu de toute responsabilité.
De responsabilité directe dans le drame d’éparpillement, cet Exodus en sens inverse, vécu par le peuple palestinien depuis 1948, sur sa propre terre et dans l’exil extérieur. On en juge notamment par sa foi sincère dans le fait que «si le conflit israélo-palestinien tarde à être réglé, c’est parce qu’il y a une surexploitation de ce conflit par des Arabes, des Européens, des Américains.» A aucun instant, ce n’est le fait de l’Etat d’Israël, Etat sioniste et confessionnel, qui a cantonné une partie du peuple palestinien dans des confettis territoriaux. Espaces d’exclusion, de réclusion et de confinement qui sont de réels ghettos et de véritables cloaques. Pourtant, à plusieurs reprises, le romancier algérien dit toute son admiration pour cette plume de courage intellectuel et de dignité morale qu’est l’écrivain israélien
David Grossmann, rencontré dans la capitale du «pays du lait et du miel» tombés du Ciel. Partageant cette admiration, on s’est mis alors à rêver de voir l’auteur du «Serment des barbares», citer, à Jérusalem même, «Le Vent jaune». L’Algérien a sans doute lu cette
première œuvre de son confrère israélien qui parle si bien et si juste des souffrances récurrentes infligées au peuple palestinien par l’occupation israélienne. Boualem Sansal se souvient certainement que «Le Vent jaune» a valu à son auteur l’accusation de trahison, formulée par le Premier ministre Yitzhak Shamir, faucon du Likoud et historique de l’Irgoun et du Lehi (groupe Stern), escadrons de la mort sionistes. A Jérusalem, Boualem Sansal n’a pas parlé, en public, du droit inaliénable des Palestiniens à vivres libres et dignes. Dans un Etat viable, avec des frontières sûres, reconnues et respectées. Dans un territoire non discontinu comme le sont aujourd’hui les Territoires autonomes, qui ressemblent tant à une peau de léopard. A Jérusalem et à Paris, M. Sansal a manié les symboles. Mais, à aucun moment, n’a évoqué les Palestiniens. Sauf à regretter l’absence de confrères de plume des Territoires ou de la diaspora qui n’ont pas été invités à la même table par ses interlocuteurs israéliens. Sauf, également, à évoquer par le truchement d’une incise, le Hamas palestinien qui, tel Dracula, se sucrerait sur le dos de son peuple «dans le huis-clos obscur du blocus israélien.» A Jérusalem, il n’a rien dit qui relèverait de la force des symboles au bénéfice des Palestiniens. Il a, en revanche, de son plein gré, mis la kippa devant le Kotel, le Mur des Lamentations. Ce couvre-chef n’est pas un simple bout d’étoffe. C’est un «dôme», de l’araméen «yira malka», c’est-à-dire la «crainte de Dieu». Cette calotte est l’un des symboles les plus forts du judaïsme. Avec la ménorah, le chandelier à sept branches, qui rappelle celui que Moïse fit placer dans le Tabernacle, tente qui servit de temple dans le désert pendant l’exode des Hébreux. Et avec aussi l’étoile de David, qui symbolise à la fois les six jours de la Création et l’annonce de la venue du messie de lignée davidique. A Jérusalem, Boualem Sansal a mis la kippa, signe cabalistique annonciateur d’offrandes littéraires divines à venir. Et, parions à ce sujet un Shekel, une gratification nommée Goncourt ou appelée Nobel.
Par Noureddine Khelassi - 04-06-2012
 

In : http://www.latribune-online.com/chronique/68500.html
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Algérie : Boualem Sansal, l'insoumis

Il vient de recevoir un prix littéraire, mais fait la une de la presse pour une autre raison. Son tort ? S'être rendu à Jérusalem pour débattre avec des romanciers israéliens. Rencontre avec l'écrivain algérien Boualem Sansal.
L'écrivain algérien Boualem Sansal a reçu le 29 mai, au Publicis Drugstore des Champs-Élysées (Paris), le prix Roman-News pour son dernier livre, Rue Darwin, publié en août dernier chez Gallimard et encensé par la critique. Cette récompense étant destinée à célébrer un roman qui met en scène de façon remarquable l'actualité, le jury ne s'est pas trompé : l'ouvrage de Boualem Sansal, une sorte de saga familiale tragicomique et pleine de verve, permet à son lecteur de relire toute l'histoire tourmentée de l'Algérie contemporaine, des prémices de la guerre d'indépendance jusqu'aux années Bouteflika. Avec un regard critique et ironique, sans doute sans équivalent aujourd'hui, sur son pays et les pouvoirs qui se sont succédé à sa tête.
Tabou
Ce n'est pourtant pas cette nouvelle distinction - après, notamment, le prix de la Paix des libraires allemands reçu à Francfort en octobre - qui vaut désormais au turbulent romancier de voir son nom cité en bonne place dans la presse, aussi bien en Europe et au Moyen-Orient qu'en Algérie. Boualem Sansal revient en effet d'un voyage en Israël où il a participé au Festival international des écrivains de Jérusalem, du 12 au 17 mai, avant de s'exprimer devant le public de l'Institut français de Tel-Aviv, émanation culturelle du Quai d'Orsay.
Cette réponse à une invitation à débattre dans la Ville sainte avec ses pairs romanciers, en particulier des écrivains israéliens fort critiques envers leur propre gouvernement, a heurté un quasi-tabou qui veut que les intellectuels arabes, et en particulier ceux de l'intransigeante Algérie, s'abstiennent de visiter l'État juif - en tout cas ouvertement ! - tant que persiste le conflit avec les Palestiniens. La presse algérienne, notamment, a réagi de façon particulièrement virulente.
Critiques
Boualem Sansal, de passage à Paris au retour d'Israël, confie à Jeune Afrique s'être attendu à des critiques en Algérie, où il est peu apprécié des autorités, qui ne lui rendent pas la vie facile, et des islamistes, qu'il ne ménage pas. Il se déclare cependant surpris par l'ampleur des réactions, dans et surtout hors de son pays. En particulier par celle du Hamas, qui, par un communiqué publié à Gaza, l'a accusé de trahison et a appelé les pays arabes à le boycotter. Mais aussi par celle des organisateurs du prestigieux prix du Roman arabe, qui, après l'avoir prévenu il y a de nombreuses semaines qu'il serait le lauréat 2012, ont subitement décidé de reporter la remise de la récompense prévue le 6 juin.
Du coup, Boualem Sansal, adversaire résolu de tout boycott culturel et qui refuse d'être inféodé à quelque autorité que ce soit, rentrera un peu plus tôt que prévu à Boumerdès, près d'Alger, où il continue de vivre et de travailler - un nouveau livre sera en chantier dès cet été.
Sans craindre pour sa liberté d'aller et venir, voire pour sa sécurité ? Il n'entend pas se poser la question, tout en reconnaissant qu'elle n'est pas sans fondement...

In : http://www.jeuneafrique.com
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Le prix le plus bizarre de l'année
07 Juin 2012 Par Dominique Conil
Je suivais cet éditeur réputé dans un long couloir crème lorsqu’une jeune femme du type efficace mais sensible, chignon et mèches échappées, l’a arrêté, un tapuscrit serré contre la poitrine. « Il faut que je donne une réponse », a-elle dit. J’ai entrevu un titre, un nom. Puis : « c’est vécu, l’histoire du viol. ». « Oui, oui, a dit l’éditeur, mais c’est vieux ». J’ai rangé l’épisode dans un coin de ma tête, étant plutôt ruminante. Jusqu’à réception de ce mail. (…) Quelle était donc la sélection de ce prix parrainé par le Drugstore publicis et le magazine Stiletto ?  De Marc Dugain à Jean Rolin, de Simon Liberati à Shumona Sinha ( en compagnie, c’est l’évidence, de Tout tout de suite de Morgan Sportès , et Claustria de Régis Jauffret).
Et qui est le lauréat ?
 Là, j’ai éclaté de rire : Boualem Sansal, pour  Rue Darwin,  ( voir par ailleurs l’article d’Antoine Perraud).  Côté réel, bien sûr, colonisation et guerre d’indépendance ont existé, tout comme la maison close  de Djéda où le narrateur commence son existence,  tout comme la corruption, mais Boualem Sansal aura laissé infuser cinquante ans sa propre histoire. Avant de l’écrire. Tout le contraire de « l’actualité traitée comme un roman ». Et ce n’est pas plus mal…
http://blogs.mediapart.fr/blog/dominique-conil
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Visionnez cette vidéo dans laquelle Sansal répond aux questions de Médiapart. Notez la déconcertation du journaliste lorsque Sansal dit le plus normalement du monde qu'il n'y a pas de fait colonial à l'encontre des Palestiniens: E di fiant.

ici:    

http://www.youtube.com/watch?v=xg7GbMz78Mw

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