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samedi, octobre 15, 2011

286 - La littérature algérienne francophone vue par les américains -



Liberté samedi 15 octobre 2011

Conférence intitulée "qu'est-ce que la littérature algérienne francophone aux Etats-Unis"
 
“Un décalage entre le champ éditorial et le champ universitaire”
Par : Sara Kharfi
 
Si les théories littéraires ont évolué depuis des décennies, c’est toujours par le prisme idéologique que la littérature algérienne parvient aux lecteurs américains.

Le Centre d’études diocésain Les Glycines a abrité, avant-hier soir, dans l’enceinte de sa bibliothèque, une conférence portant sur la littérature algérienne aux États-Unis d’Amérique, animée par Alexandra Gueydan-Turek, professeur assistante d’études francophones à Swarthmore College où elle enseigne la littérature maghrébine et la littérature migrante d’expression française.
La conférencière s’est appuyée sur deux axes de réflexion pour décortiquer l’intitulé de sa conférence : les jeux et les enjeux éditoriaux, et le travail de l’université dans l’enseignement de la littérature maghrébine aux États-Unis qui est aux antipodes de la première institution.
Le premier axe auquel Mme Gueydan-Turek a consacré la grande partie de sa communication, dissèque les dispositifs mis en place par les éditeurs américains -qu’elle considère comme étant des “dispositifs de filtrage”, s’appuyant surtout sur des considérations économiques. L’universitaire s’est intéressée à l’étude des paratextes et des messages scripto-visuels, c'est-à-dire tout ce qui entoure une œuvre littéraire (première de couverture, quatrième de couverture, préface, postface, avertissement de l’éditeur etc.). Pour étayer son postulat, elle a constitué un corpus composé de plusieurs textes algériens traduits aux États Unis, et précisément Nedjma de Kateb Yacine, l’Interdite de Malika Mokeddem, et le Village de l’Allemand de Boualem Sansal. Cette littérature parvient aux Américains par le biais de la traduction, ce qui ne la favorise pas vraiment et l’avantage pas réellement. Car vidée de sa substance et de son esthétique, cette littérature ne peut être appréhendée que par le prisme de l’idéologie. Et ce n’est pas les exemples qui manquent ! Sorti en 1956 avec un avertissement de l’éditeur (cet avertissement a été abandonné dans les années 1980 pour l’édition française), le roman Nedjma a été traduit et édité aux USA en 1961, avec le même avertissement de l’éditeur  français qui signalait : “Les procédés narratifs dans Nedjma sont parfois déconcertants pour le lecteur européen. […] Le rythme et la construction du récit, s’ils doivent quelque chose à certaines expériences romanesques occidentales, -ce que nous ne contestons pas ici- résultent surtout d’une attitude purement arabe de l’homme face au temps. La pensée européenne se meut dans une durée linéaire ; la pensée arabe évolue dans une durée circulaire ou [sic] chaque détour est un retour… Cette confusion des temps…correspond à un trait si constant du caractère, à une orientation si naturelle de la pensée que la grammaire arabe, elle-même, en est marquée […] À propos de Nedjma, on nommera sans doute Faulkner. Quant à nous, nous croyons qu’il faut chercher ailleurs l’explication des singularités du roman que voici”.

Idéologie et exotisme
En 2001, Nedjma a été réédité, en 2001, aux éditions de l’Université de Virginie, avec le même avertissement. Si dans le contexte des années 1950/1960, cet avertissement posait les jalons d’une littérature algérienne qui, bien que produite en langue française, se distinguait de la littérature française avec ses spécificités propres, dans le contexte de 2011, cet avertissement est largement réducteur. La conférencière s’est également intéressé au roman, l’Interdite de Malika Mokeddem, dont l’édition américaine The Forbidden Woman présente dans sa couverture des femmes voilés intégralement, alors que la première de couverture française (édition Livre de Poche) présente une femme de profil au cou dénudé et aux cheveux attachés.
La couverture américaine dénature totalement le propos même du roman, mais si on s’appuie sur des considérations commerciales, cette couverture attirerait davantage le lecteur américain. Car dans l’imaginaire américain, “il faut constamment s’interroger sur la violence”.
Alexandra Gueydan-Turek s’est aussi intéressée au cas du roman le Village de l’Allemand de Boualem Sansal, dont le titre américain est The German Mujahid (la mémoire de la “Shoah” étant largement présente aux États Unis, et Mujahid apporte un brin d’exotisme). Malgré les amalgames et les comparaisons improbables de la conférencière qui a, trouvé des associations là où il n’y en avait pas, notamment entre la littérature beure et la littérature algérienne, les exemples d’Alexandra Gueydan-Turek ont permis de découvrir que la littérature algérienne aux États-Unis n’a pas le meilleur rôle et qu’elle ne peut pas se suffire à elle-même. L’idéologie est fortement présente, et l’exotisme réduit l’écriture algérienne à une sorte de sous-littérature, ou une littérature “connexe”, sans esthétique particulière.
Dans la deuxième partie de sa conférence, l’universitaire a expliqué qu’il y avait “un décalage entre le champ éditorial et le champ universitaire”, et que les spécialistes du domaine tentent de donner une autre image de la littérature algérienne.
Sara Kharfi
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La Tribune samedi 15 octobre 2011
Synthèse par Sihem Ammour

Dans sa conférence intitulée «Qu’est-ce que la littérature algérienne francophone aux Etats-Unis ?», animée, jeudi dernier au Centre d’études diocésain d’Alger, la professeur de littérature maghrébine et littérature migrante d’expression française au Swarthmore College, Alexandra Gueydan-Turek, a jeté un véritable pavé dans la mare à propos de l’attitude des éditeurs américain vis-à-vis de la littérature algérienne. D’emblée, elle mettra en exergue le fait que le choix des œuvres de littérature algérienne d’expression française se fasse à travers un filtrage des maisons d’édition pour des considérations commerciales. Elle estimera, à ce sujet, que «le choix de traduire un auteur algérien d’expression française parmi tant d’autres, ou celui d’un titre précis sélectionné de sa bibliographie, est étroitement lié à des considérations commerciales ; la majorité des romans traduits aux Etats-Unis sont ceux qui abordent des thèmes en rapport Avec le terrorisme, l’islamisme et tout ce qui a trait à la politique», rapporte l’APS. L’intention qui est derrière ce choix de livres est, selon Gueydan-Turek, «la création d’une polémique sur tout ce qui provient de l’Algérie», sans apporter davantage de précisions. Alexandra Gueydan-Turek, déplorera également, la faible présence de la littérature algérienne sur le marché international de la traduction, mettant en exergue le fait que les éditeurs américain exercent  un contrôle visible pour la sélection des œuvres à traduire. Gueydan-Turek a cité des exemples d’auteurs algériens traduits aux Etats-Unis, notamment Kateb Yacine, Mouloud Feraoun, Rachid Mimouni, Assia Djebar, Malika Mokeddem, Tahar Djaout, Boualem Sensal et Yasmina Khadra.
En outre, elle a soulevé la problématique que pose la plupart des couvertures des livres traduits, souvent illustrés d’images pas forcément fidèles aux textes, et qui réduisent l’Afrique du Nord, aux yeux des étudiants américains, à des images exotiques.
Elle a précisé que la première perception qui se fait chez les lecteurs, étudiants notamment, à travers les couvertures, les préfaces ou encore les avertissements contenus dans ces livres, était modifiée après la lecture de l’intégralité du roman. L’autre problème qui se pose est celui des préfaces qui, malheureusement, sont souvent faites par des historiens et non des hommes de Lettres ou des universitaires spécialisés dans la littérature. Afin d’atténuer les effets pervers des choix commerciaux qui malmènent la profondeur de la littérature algérienne, dans les cours universitaire, des discussions critiques sur la forme littéraire des écrits, les contextes historique et culturel sont aussi enseignés aux étudiants,  recadrant ainsi les éditions, dont la présentation donne «une idée complètement faussée de la littérature algérienne». 
S. A
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APS
(APS) vendredi 14 octobre 2011
La traduction des romans algériens d’expression française peine à trouver une place aux Etats-Unis (universitaire)
ALGER - La traduction des oeuvres littéraires d’auteurs algériens d’expression française qui demeure "rare" aux Etats-Unis, se fait selon des dispositifs de "filtrage" mis par les maisons d’édition pour des considérations commerciales, a estimé jeudi à Alger, Alexandra Gueydan-Turek, professeur de lettres au "Swarthmore College".
S’exprimant lors d’une conférence au Centre d’études Diocésain sur le thème "Qu’est-ce que la littérature algérienne francophone aux Etats-Unis ?", cette enseignante de littérature maghrébine et littérature migrante d’expression française, a précisé que le choix des oeuvres à traduire se faisait selon un "contrôle visible" de la part des éditeurs.
Pour elle, le choix de traduire un auteur algérien d’expression française parmi tant d’autres, ou celui d’un titre précis sélectionné de sa bibliographie, était étroitement lié à des considérations commerciales, expliquant que la majorité des romans traduits aux Etats-Unis sont ceux qui abordent des thèmes en rapport avec le terrorisme, l’islamisme et tout ce qui a trait à la politique.
L’intention qui est derrière ce choix de livres est, selon Gueydan-Turek, "la création d’une polémique sur tout ce qui provenait de l’Algérie", sans apporter davantage de précisions.
Par ailleurs, elle a affiché une sorte de réticence envers les couvertures des livres traduits, souvent illustrés d’images, pas forcément fidèles aux textes, et qui réduisaient l’Afrique du Nord aux yeux des étudiants américains en images d’exotisme.
A cet égard, l’oratrice a fait savoir que la première perception qui se fait chez les lecteurs, étudiants notamment, à travers les couvertures, les préfaces ou encore les avertissements, contenus dans ces livres, est modifiée après la lecture de l’intégralité du roman. Elle a aussi déploré le fait que les préfaces sont faites par des historiens et non des hommes de lettres ou des universitaires spécialisés dans la littérature.
Outre les discussions critiques sur la forme littéraire des écrits, les contextes historique et culturel sont aussi enseignés aux étudiants afin de recadrer les éditions, dont la présentation donne, selon elle, une idée "complètement faussée" de la littérature algérienne.
Gueydan-Turek qui a cité des exemples d’auteurs algériens traduits aux Etats-Unis, notamment Kateb Yacine, Mouloud Feraoun, Rachid Mimouni, Assia Djebar, Malika Mokeddem, Tahar Djaout, Boualem Sensal et Yasmina Khadra, a toutefois déploré la "faible" présence de la littérature algérienne sur le marché international de la traduction.

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In facebook : http://fr-fr.facebook.com/event.php?eid=280092495348705&ref=nf

Alexandra GUEYDAN-TUREK, est diplômée de l’université de Yale et professeur assistante d’études francophones à Swarthmore College (États-Unis) où elle enseigne la littérature maghrébine et la littérature migrante d’expression française. Elle travaille plus spécifiquement sur la mobilité des textes maghrébins et les stratégies déployées par leurs auteurs à cet effet. Elle est l’auteur de nombreux articles sur la question, dont « Border-crossing and zones of negotiations in Mouloud Mammeri’s La Traversée », in SITES, 2009, « Homeland beyond homelands: Reinventing Algeria through a transnational literary community in Assia Djebar’s Le Blanc de l’Algérie », Cincinnati Romance Review, 2010, et « Visions of Odalisques: Orientalism and Conspicuous Consumption in Leila Sebbar », in Research in African Literature, 2011. Son projet actuel porte sur l’étude comparée de la circulation des textes algériens d’expression française au sein des marchés éditoriaux maghrébin, français et américain.
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