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dimanche, février 20, 2011

237- La Waâda

Cela va faire une semaine qu’elle dure, une semaine estivale dédiée au Marabout Sidi Abdelkader El Jilani le grand. Une semaine entière d’offrandes que tous les habitants de notre village et des villages environnants, bons ou mauvais, chantent, dansent et psalmodient en tapant dans les mains en l’honneur du grand saint. Pourtant le ciel est chargé ...de tous les malheurs. Les hommes sous les guitounes du haut, les femmes sous celles du bas. Et nous les enfants allons des unes aux autres avec une sorte de délicatesse réfléchie. Toute ma famille est là, tous mes cousins, tous mes amis et des centaines d’inconnus. Mais aussi et surtout Kheira. C’est la plus belle de mes cousines. Kheira-ezzarga est élancée, son regard est franc et ses grands yeux charbonneux papillonnent, toujours à l’affut ou aux aguets. La tête haute et nue donne à voir une longue chevelure noire qui glisse sur son dos, sur laquelle scintillent de petites étoiles. Je sais que tant que durera la fête, Kheira ne sera pas loin. C’est la Waâda annuelle, que personne ne songerait un instant oublier ou éviter. Les mules, bardots et chevaux sont attachés aux troncs des eucalyptus alentours au garde à vous, maîtres des lieux. Des chèvres, trois cinq ou sept, se laissent traîner sans résister vers leur destinée. La fête tourne d’un village à l’autre, une année chez l’un, une année chez un autre. Et Kheira chaque année plus ravissante que la précédente. Chaque jour qui passe, du premier au septième, est identique ou presque que celui qui l’a précédé, mais différent aussi. Identique dans la nourriture très abondante et peu variée (couscous royal et lait fermenté tous les jours), différent dans l’intensité qui le traverse, chaque jour plus forte que la veille. Les réjouissances commencent très tôt le matin lorsque toutes les jeunes filles, y compris Kheira, débarrassent ustensiles et restes de la veille de toutes les tentes. Celles du bas comme celles du haut. Je ne quitte pas ses allées et venues. Parfois un adulte me lance un regard oblique pour me signifier une transgression réelle ou par lui fantasmée. Les cousines sont suivies par une flopée d’autres femmes mobilisées pour le nettoyage des gigantesques tentes bédouines. Tous les tapis sont jetés sans ménagement à l’extérieur, sous le soleil brûlant. Ils seront l’un après l’autre nettoyés, cinglés et secoués à quatre, puis déposés de nouveau à l’intérieur des tentes. Cela dure jusqu’à la mi-journée. Lorsque les hommes reviennent de la prière du D’hor, ils imposent une sieste générale qui m’insupporte au plus haut degré. Je hais la sieste. Elle ne profite pas identiquement à tous. Les uns s’allongent les unes triment. Vient alors la tombée du jour et avec elle l’effervescence qui s’anime crescendo. Les repas consommés, les théières passent de groupes en groupes. Les chants, laborieux au début, transpercent la vallée et reviennent en échos, castagnettes et percussions qarbaq-qarabaq-qarbaq-qarabaq… du haut, fusionnent dans un total capharnaüm avec les chants et les stridents youyousyouyouyousyouih du bas On danse, on chante et on psalmodie de plus en plus haut, de plus en plus vite. Et moi je suis plus libre encore avec tous mes cousins, tous mes amis et l’unique Kheira en tête. Je sautille, tangue, me reprends, tape des mains en tentant de suivre les rythmes impossibles. Je distingue encore entre quinquets et ombres allongées celles de Kheira la belle brune, Kheira-ezzarga. Oubliées la médersa, l’école et autres corvées. Les cousines sont là, sollicitées sans arrêt. Ma cousine Kheira sait que je ne la quitte pas d’un regard. Avec mes cousins je m’amuse à chaparder les rares morceaux de viande restant, sans distinction, tant l’excitation est forte. J’en garde un, sans rien leur dire, le plus gros, pour l’offrir à ma cousine aux grands yeux olive, dès qu’une voie s’offre à moi, avant la tombée définitive du soir, demain. Même si les bombardements ennemis ne cessent pas.

Février 2011

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