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dimanche, mars 28, 2010

195- Salon du livre de Paris et le Pont tournant

Au « Pont tournant »
(Nouvelle)


Chaque année au mois de mars
, lorsque se tient le Salon du livre, je retrouvais le soir venu quelques amis d’enfance et d’adolescence au « Pont tournant ». Souvent
tu m’y accompagnais. Le « Pont tournant » est un bar qui se trouve sur le quai de Jemmapes à Paris, à l’angle de la rue des Ecluses, je ne sais si tu t’en souviendrais ? Il est tenu comme un caporal chef, par une fille du Bled, Aïcha fille de Saïda la vraie, qui connaît chaque client, qui le désigne par son prénom et son origine. « Eh toi fils d’Oran » ou bien « Viens que je t’embrasse Kader fils de Mascara » ou encore « Tu es là, fils de ta mère ? », lançait-t-elle à tel ou tel autre, toujours avec bienveillance, toujours avec cet accent qui oscille entre le parler fanfaron de ceux de la côte et le parler vernaculaire des hauts plateaux, à la frontière du feu. C’est dans ce bar que nous nous retrouvions chaque année avec mes amis d’enfance et d’adolescence. Tu étais jeune, trop jeune, et mes amis t’apercevaient comme cette Lolita de Nabokov, maligne et luisante comme un ciel de mai au crépuscule où à l’aube, bleue et étoilée. En réalité tu étais ma Lolita. Je t’aimais ainsi. Nous avons suivi mes amis et moi les mêmes cours durant de nombreuses années. Depuis la première année du collège jusqu’au lycée. Nous avons fait les quatre cents coups ensemble, jusqu’à ce que le destin de chacun prenne son envol. Nous nous sommes perdus de vue durant de nombreuses années. Puis ce fut – hasard encore de la vie – la renommée de Aïcha qui nous dirigea chacun à un moment donné vers son bar, un lieu que le tout Paris des oranais affectionne (et ceux de Province). J’entends le tout Paris des oranais qui n’ont rien contre les bars ni contre les soirées embrumées. Aïcha est une des premières femmes maghrébines que j’ai connues en arrivant à Paris. C’était dans les années soixante dix. Bien loin avant toi. Elle était incontournable, aujourd’hui je ne le confirmerais pas, je n’ai plus l’âge de l’observation. Ni le courage. On ne pouvait imaginer Paris sans Aïcha. Son bar était pour nous plus qu’un bistro, un lieu de rencontres, un monument. Pourtant le « Pont tournant » est un lieu ridicule dans son espace. T’en souviendrais-tu ? Je veux dire que sa surface est si réduite au rez-de-chaussée, qu’au-delà de dix pingouins, il affiche complet. Le premier étage est réservé à la restauration. Couscous matin et soir six jours sur sept. Parfois, à l’occasion d’une fête, il était offert à tous. Une dizaine de tables. Sur les murs décrépis du rez-de-chaussée, une série de photos en noir et blanc d’acteurs et d’actrices des années cinquante nous rappellent la proximité du mythique Hôtel du nord et le pont éponyme sur lequel Arletty s’époumonait gouailleuse jusqu'à perdre le souffle un jour de tournage « atmosphère atmosphère… », jusqu’à la bonne prise. On connaît la suite. Tu aimais bien t’approcher d’elle, tu enviais peut-être sa renommée, tu regrettais peut-être sa disparition. Tu dévorais les photos et m’oubliais. Mes amis me demandaient si tu n’étais pas lunatique. Je ne leur répondais pas. Tu l’étais en effet.
La Garance est posée en format 0.60m X 0.80m, à demi-nue
épinglée sans amour ni marie-louise, devant les yeux pourpres et l’air vaseux des clients. Il faut dire aussi que, l’air de rien, ce ridicule boui-boui (11 m2) était affectionné par Simenon, vous savez, le « Voilà, l'Afrique vous parle. Elle vous dit merde ! » c’est lui ! celui-là même avec son manteau sa pipe et son canotier, comme Maigret. Il s’installait toujours au même endroit, sur la dernière chaise dit-on, et se mettait à griffonner. D’autres hommes du milieu artistique y prenaient un verre, parfois plus. Marcel Cerdan et Mouloudji figurent en bonne place. Ils accueillent de leur sourire figé chaque client attentionné. L’un est accroché à gauche en entrant, près du juke-box (qui sature l’espace), l’autre au-dessus du comptoir, près de la même Arletty. Celle-ci, Cerdan et Mouloudji « rue de Lappe, rue de Lappe pour respirer un peu d’air frais de ce bon vieux quartier. C’était parfais oui mais, oui mais... », sont souvent le point de départ de discussions infinies et agitées – because les demis bien sûr – pour impressionner ou peut-être juste un prétexte pour inviter d’autres clients pas encore éméchés, locaux ou étrangers, venus à la découverte de l’Hôtel du nord mitoyen, prêts à faire la fête avec Aïcha, qui finit toujours par offrir sa tournée.
« Tu sens bon Lolita » te disaient certains qui t’avaient à l’œil. Toi tu répondais naïvement « Ci Mirac ». Miracle, ton parfum préféré parbleu ! Il m’arrive encore aujourd’hui, tu ne le sais pas, d’en acheter pour le seul plaisir de te retrouver en le humant. Retrouver ta chair, ta spontanéité, je veux dire ta jeunesse. M’enivrer encore de toi. C’était chez Aïcha. Un endroit où chaque année au mois de mars, lorsqu’a lieu le Salon du livre, je retrouvais quelques amis d’enfance et d’adolescence pour un moment de fête. Quelques fois avec toi. Cette année,
comme les dernières années, mes amis sont louches et insupportables. Il y a quatre ans tu m’as définitivement abandonné. Le Salon a cette année encore un goût amer. Et si, incognito, je reviens malgré tout au « Pont tournant » c’est pour y retrouver tes traces, t’y retrouver.
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Quant au Salon du livre...

Agence Nle de Lutte Contre l'Illettrisme

dimanche, mars 21, 2010

194- Le Pouvoir décidément




Le pouvoir corrompt. Il ne corrompt que ceux qui sont disposés à l’exercer et qui l’exercent. Ceux-ci étaient disponibles à la corruption. Qui l’ont eue comme visée, nécessairement car il ne suffit pas de l’avoir le pouvoir, faut-il encore s’y maintenir. Est-ce le propre de l’homme de se comporter de manière telle qu’il se rende abject dès lors qu’il est investi (quelle que soit la raison) surtout lorsqu’il est investi par un homme ou un groupe influent et non par ceux qui en seront « les partenaires » au quotidien ? Dès lors, apparaît chez celui (ou celle pardi) qui exerce un pouvoir, la face qu’il a caché tant qu’il n’avait pas atteint son Nirvana : LE pouvoir.
Peut-on exercer un pouvoir sans l’exercer au détriment d’autrui ? A écouter Platon oui, dans la mesure où le pouvoir serait exercé par les seuls hommes de la philosophie. Ce serait alors tout autre chose. Un pouvoir exercé sans domination, sans force, ou plutôt si, par la simple force du verbe (des mots).

« Diogène moque le faux pouvoir du Prince Alexandre sur les hommes : pouvoir d'opérette et de fiction, pouvoir d'enfant ! Commander, obtenir l'obéissance à cause de la crainte, dominer par la force, imposer sa puissance avec la contrainte ? Voilà de quoi contenter un esclave, mais personne d'autre... Le maître, le seul maître sait où est le vrai pouvoir. » « Ôte-toi de mon soleil » répond Diogène à Alexandre.

NB: Ce post est à lier aux posts ci-dessous n° 151 et 60



samedi, mars 13, 2010

193- FERRAT est mort

J'apprends à l'instant la mort d'un grand poète: Jean Ferrat.

http://www.lemonde.fr/carnet/article/2010/03/13/jean-ferrat-est-mort_1318912_3382.html

Le chanteur Jean Ferrat est mort samedi 13 mars à l'âge de 79 ans à l'hôpital d'Aubenas, à une quinzaine de kilomètres de son village d'Antraigues-sur-Volane, en Ardèche. Artiste engagé, au service de tous les combats pour la fraternité, la révolte et l'idéal communiste, il était l'auteur, l'interprète et le compositeur de plus de deux-cents chansons. Né le 26 décembre 1930 à Vaucresson dans les Hauts-de-Seine, Jean Ferrat, né Jean Tenenbaum, a 11 ans lorsque son père, juif émigré de Russie, est déporté. L'enfant est sauvé grâce à des militants communistes, ce qu'il n'oubliera jamais. A la Libération, il quitte le lycée pour aider sa famille, et devient aide-chimiste jusqu'en 1954, date à laquelle il passe ses premières auditions dans des cabarets parisiens.

Après avoir écrit la musique des Yeux d'Elsa (1956) pour André Claveau, il chante régulièrement à La Colombe, puis fait sa première grande scène à l'Alhambra en 1961 où il triomphe avec Ma môme, et Deux enfants au soleil. Rapidement, Jean Ferrat choisit d'interpréter des textes plus engagés, comme Nuit et Brouillard (1963), non diffusée par les radios, puis Potemkine (1965), interdite d'antenne.

Compagnon de route du Parti communiste français, sans jamais en avoir été membre, il affirme haut et fort ne pas être un "béni-oui-oui" du parti. Ainsi sa chansons Bilan (1980) fustige la déclaration de Georges Marchais sur le "bilan globalement positif" des pays de l'Est. Camarade qui dénonce l'invasion russe de Prague en 1968.

En 2007, Jean Ferrat s'était prononcé en faveur d'une candidature de l'altermondialiste José Bové comme représentant d'une gauche antilibérale pour l'élection présidentielle. Son dernier engagement politique était dans le cadre de la campagne des élections régionales le soutien de la liste du Front de Gauche en Ardèche, où il résidait.

A la scène, qu'il quitte après un passage au Palais des sports en 1972, il préfère son Ardèche d'adoption, qui lui inspire La Montagne, l'un de ses plus grands succès.
En 1974 et 1995, Jean Ferrat consacre avec succès deux albums à Louis Aragon dont il met les textes en musiq
ue (Que serais-je sans toi ?, Heureux celui qui meurt d'aimer).

Réticent à passer à la télévision, le chanteur sort d'un long silence en 2003, pour l'émission Vivement Dimanche" de Michel Drucker. Il y défend ses deux passions, la chanson et la politique, s'insurgeant notamment contre la grande industrie du disque qu'il estime dangereuse pour la liberté de création.

mardi, mars 09, 2010

192- Nassira Belloula : De la pensée vers le papier...


Mon ami Yahia de "Ksentina.Blogspot" a fait cette recension:

Nassira Belloula : De la pensée vers le papier, soixante ans d’écriture féminine algérienne – ENAG – 2009

Une exploration de la littérature féminine algérienne

Nassira Belloula nous livre un travail très intéressant sur la littérature féminine algérienne. Elle passe en revue nombre d’auteures algériennes en posant énormément de questions sur cette écritures, les thèmes abordés et les problématiques qui sont soulevées.
Le livre est structuré sur un plan très rigoureux qui permet d’aborder les thématiques des écrivaines. Les points communs sont repérés et la spécificité de l’écriture féminine est analysée. Le tout est remis dans le contexte plus général de la littérature algérienne.

On suit avec beaucoup d’intérêt l’enquête menée par Nassira sur l’utilisation très fréquente des pseudonymes, ce que Nassira appelle les « noms voilés », non sans quelque malice. Le lecteur est invité à parcourir les différentes périodes de cette littérature depuis celle des fondatrices jusqu’aux auteures modernes en passant par l’écriture de l’urgence des années 90.

Les rapports père-fille et mère-filles sont abordés et déclinés pour beaucoup d’auteures : Assia Djebar, Leïla Sebbar, Karima Berger, Ahlem Mostaganemi, Fatiha Nesrine, Nadia Sebki, Malika Mokkedem, Najia Abeer, Djamila débèbèche, Taos Amrouche, etc…

On prend également conscience que nombre d’écrivaines ont la double culture de par leur naissance et on réalise combien la culture française est prégnante. Énormément d’ouvrages sont écrits en français.

Une bonne partie du livre traite des problèmes spécifiques aux femmes et plus particulièrement aux femmes arabes : la place dans la vie sociale, l’enfermement, les rapports au père.

La lecture de cet ouvrage est agréable et prenante. On y découvre bien des facettes de l’écriture algérienne. A recommander pour tous les amoureux de littérature algérienne.

in: http://yahia-ksentina.blogspot.com/
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Ce qui suit je l'ai trouvé sur le site de l'intéressée : http://nassiralettres.over-blog.com/


De la Pensée vers le Papier (soixante ans d'écriture féminine algérienne) est le titre de mon dernier livre, un essai, paru aux éditions ENAG, oct 2009.
Voici l'introduction et le sommaire

Lorsqu’elle s’aventura dans les sinuosités de l’écriture, voulant arracher de l’anonymat et de l’absence ces voix de femmes étouffées par les traditions de l’enfermement et de la claustration, Assia Djebar ne pensait peut-être pas qu’elle venait de réécrire l’histoire pour une génération de femmes, qui allaient s’engouffrer dans cette voie de l’écriture ainsi balisée dans un processus de dévoilement et d’affirmation. Dès, les tous premiers écrits ; hésitants, curieux, crédules, confus, désorientés de ces premières plumes considérées aujourd’hui comme des pionnières ; Djamila Debeche, Taos Amrouche et Assia Djebar qui de l’écriture ethnographique du départ allait surgir une littéraire forte, contestataire, grave, libératrice. Une littérature toutefois complexe, parfois difficile à assumer d’où des appréhensions et des hésitations, d’où des pseudonymes et des « Je » narrateurs dilués dans des « Je » multiples.
Ces écrivaines, les « nouvelles femmes d’Alger », comme les appelle Assia Djebar[1], dépositaires d’une culture arabo-musulmane, détentrices de la richesse de la parole musicale, poétique, lyrique, conteuse[2] héritées de ces mères et grands-mères qui savaient respecter l’ordre établi qui voudrait, que leurs voix soient chuchotements, soient silences, avaient donc osé briser ce silence, briser le plus significatif des tabous, celui qui interdit qu’une «voix» de femme s’élève et s’entende dans une société qui a construit son système social sur la négation féminine tout comme sur son effacement. La tache ; ardue et complexe de la réappropriation d’un espace et d’un lieu s’est imposée comme un lent processus de réadaptation pour la femme, car le voile ici comme il énoncé clairement dans les écrits d’Assia Djebar, apparaît comme un besoin identitaire et non pas comme un argumentaire de l’enfermement, d’où l’idée de faire du voile un instrument d’expression par lequel la femme algérienne peut reprendre sa liberté. Cette liberté passe avant tout par la parole, il faut conjurer le silence : « Je ne vois pour les femmes arabes qu’un seul moyen de tout débloquer : parler, parler sans cesse d’hier e d’aujourd’hui, parler entre nous, dans les gynécées, les traditionnels et ceux des H.L.M entre nous et regarder. Regarder dehors, regarder des murs et des prisons ! La femme regard et la femme voix.
Dans cette même approche du dévoilement et du poids du regard sur la femme Frantz Fanon parle du voile comme d’une seconde peau que l’on ne peut arracher impunément ; « Et, que le dévoilement rendu possible par la révolution ne peut alors être vécu par la femme algérienne que comme une renaissance à soi et au monde.[3] »L’acte d’écrire est un dévoilement donc et Assia Djebar s’en est rendue compte en écrivant Les Alouettes naïves « pour la première fois, j'ai eu à la fois la sensation réelle de parler de moi et le refus de ne rien laisser transparaître de mon expérience de femme. Quand j'ai senti que le cœur de ce livre commençait à frôler ma propre vie, j'ai arrêté de publier volontairement jusqu'à Femmes d'Alger dans leur appartement, » Maissa Bey repense l’acte d’écrire autrement et selon la perception venue d’une société confinée encore dans ses argumentaires traditionnelles « l’acte d’écriture apparaît essentiellement non pas à un acte de création mais surtout à un acte délibéré de transgression, d’insubordination. Je veux bien entendu parler de l’écriture au féminin » Or, c’est à travers cette écriture que l’existence même de la femme va être revisité et réinventé dans un contexte nouveau, celui de la jouissance de la vie autant qu’individu indépendant et surtout autant qu’identité féminine.
La femme qui écrit et investi donc par ce pouvoir de dire de la parole, cet « espace » réservé jusque là, à l’homme. Cet apprentissage de l’écriture s’est fait au début, d’une façon assez abstraite vu que les premiers romans « La soif » n’était qu’un exercice de style comme l’avait dit Assia Djebar. Plus tard avec «Les Alouettes naïves» et «Les Enfants du nouveau monde» l’auteure prend conscience de ce qu’implique l’écriture féminine dans l’évolution des droits de la femme et peint des femmes moins passives, plus militantes, des femmes qui s’affermissement à travers son écriture et à travers sa propre évolution, vu qu’avec L’amour, la fantasia elle a pu se libérer de ses propres appréhensions (l’autobiographie et la langue française) et récupérer un second souffle révélateur de son immense talent.

Plus tard, celles qui vont la talonner dénoteront notamment d’une nouvelle manière d’écrire, certaines useront de l’autobiographie pour mieux se dire, d’autres pousseront les limites de l’écriture féminine au-delà de ce que nous connaissons. La naissance du "Je" n'a pas été un acte facile, cette acquisition a nécessité aux personnages de l'auteure un voyage au fond de leur intérieur, au fond de leurs mémoires en ayant conscience que la femme qui écrit subit une certaine persécution, comme si elle devait justifier cette écriture aux yeux des autres, car s’interroge-t-on sans cesse, sur cette écriture, sur son fondement ? Sur quoi une femme peut-elle écrire ? Sur l’amour, le sexe, la maternité, la guerre, l’espoir, l’ambition. Cette écriture permet à la femme avant tout autre acte de revendiquer son identité et de se situer par rapport au langage qui reste un pouvoir masculin par sa pratique et sa portée. Car la femme algérienne, arabe en générale avait appris la soumission, par le silence avant tout. La parole ne lui était pas acquise, ni accordée et c’est par le silence qu’elle avait appris à vivre, confinée intérieurement dans un espace clos ou la voix, le cri et la parole sont exclus.
Par ce pouvoir du silence qui reste son seul atout la femme se doit de survivre. Alors qu’intervient la parole, substitut de l’écriture et de la plume comme une transgression, un lever le voile à peine léger d’abord. L’oralité qui lève un voile discret et lui permis d’échapper à sa condition de cloîtrée. Les femmes ont usé de cette parole interdite pour partir et revenir sans cesse, contant des récits, des vies qui leur faisaient défaut comme le disait Malika Mokkedem en parlant des récits de sa grand-mère. Dans l'éducation de la jeune fille, l'accent et surtout mis sur la nécessité d'être soumise, obéissante et silencieuse, n’avoir aucune curiosité vis-à-vis de l'extérieur. Malika Mokkedem échappa à cette réclusion en utilisant ce matériau qui est l’écriture, le dompter même pour en faire un instrument lui permettant d’exister. La place et le rôle de la femme n'ont jamais été abordés sérieusement, et surtout n'ont jamais été remis en cause dans les sociétés arabes. Tout était chose acquise et pas matière à changement. Le rôle de l'homme, et la place de la femme étaient une situation allant de soi, une situation normale. La femme prend la plume et par l’écriture, elle rompe ce silence séculaire et arrive à recréer son univers à la mesure de la souffrance et des attentes féminines. Or, c’est bien dans cette écriture exutoire avant tout, que s’amoncellent les contradictions et cette difficulté d’être du personnage féminin. Pour contourner ces appréhensions (non pas la peur de que diront les autres, mais la peur de soi) de très nombreuses écrivaines ont eu recours au pseudonyme, car outre Assia Djebar, une vingtaine de femmes algériennes, auteures de romans, de recueils de nouvelles ou de poésies toutes générations confondus ont eu recours à un pseudonyme ; Anna Greki, Djamila Amrane, Safia Ketou, M’rabet Fadila, Aicha Lemsine, Ha­kima Tsabel, Hawa Djabali, Bediya Bachir, Belgacem Myriam, Myriam Ben, tout aussi que Nina Hayet, Maissa Bey, Nadjia Abeer, Feriel Assima, Leila Marouane, quant à Nina Bouraoui, elle a changé juste son prénom Yasmina par Nina, et ce geste n’est pas anodin, car il reflète le déchirement de l’auteure et son obsession de paraître « normale » comme les autres. Un prénom « passe partout » oui mais a connotation occidentale et va lui permettre de se fondre dans le paysage sans regard ni pensée hostile. « Ce prénom qui fera de moi une étrangère à Paris ». Il es intéressant de revenir sur l’écriture de Nina Bouraoui, violente et si tranchante avec ce que nous connaissons jusque là de l’écriture féminine.
Ces écrivaines qui se revendiquent donc de la plume, et d’un état d’esprit différent par la force de la création et la réflexion semblent s’éloigner de cette idée émancipatrice ? Est-ce possible aussi que cela soit un moyen d’autonomie le fait de se créer un autre nom, le sien, porté par personne…une manière d’être libre, de ne pas rendre de compte. Difficile de comprendre les motivations des unes et des autres, sauf peut-être de celles qui ont tenté d’expliquer le pourquoi d’un nom d’emprunt et, c’est ce que nous tenterons de comprendre dans cette étude consacrée justement à cette thématique. Toutefois, j’implore votre indulgence du fait que je n’ai tenté dans cette étude qu’un travail sur un sujet qui m’avait inspiré loin sans doute des méthodologies classiques employés par les chercheurs et les spécialistes en littérature, et n’étant moi-même qu’une passionnée de la littérature féminine et de la lecture, j’ai pu et j’ai du sortir des sentiers battus guidée cependant par mon inspiration.
[1] Oran, langue morte, Arles, Actes Sud, 1997, p. 367.
[2] Assia Djebar écrivait dans Les Cahiers « Il y a une culture riche, variée, différente, qui change en Algérie, de ville en ville. Cette culture est musicale, poétique, ludique, érotique…etc. Mais, cette parole de femme fonctionne toujours pour les autres femmes, à voix basse et non pas à voix haute, dans des lieux restreints et non dans les lieux publics ».
[3] In Ecrits sous le voile (romancières algériennes francophones écriture et identité par Laurence Huughe.


SOMMAIRE

Introduction
Première partie : L’écriture fondatrice
Chapitre premier : l’espace du retour

I - Djamila Dèbeche et Taos Amrouche ; l’écriture balisée
a - Aziza de Djamila Debeche

II. -Elissa Rhaïs et les femmes du mouvement algérianiste ;

b - La fille du Pacha de Elissa Rhaïs

III. – La terre apprivoisée

c - Dans l’ombre chaude de l’Islam d’Isabelle Eberhardt


Chapitre deuxième : l’espace du dedans
I - Entre l’affirmation et l’exhibitionnisme

a - Mes hommes de Malika Mokkedem


II. - Silences dévoilés ; Noms voilés

b - L’albatros de Najia ABEER

III - L’appréhension du Je narratif

c - Garçon manqué de Nina Bouraoui

Deuxième partie : L’écriture résistance
Chapitre premier : L’espace de la guerre

I - Lutte, engagement et écriture

a - La grotte éclatée de Yamina Mechakra

II - L’écriture de l’urgence et l’urgence d’une écriture

b - Le blanc de l’Algérie d’Assia Djebar

III - Littérature au Féminin, Du Féminin ou Féministe

c - Mémoire de la chair de Ahlem Mostaganemi

Troisième partie : L’écriture plurielle
Chapitre premier ; l’espace de rupture

I - L’écriture de l’entre deux
II. - Dans la langue de « l’Autre »

b - Je ne parle pas la langue de mon père de Leila Sebbar

III. – La quête d’une appartenance

c - Filiations dangereuses de Karima Berge

Quatrième partie ; l’écriture délivrance
Chapitre premier : l’espace du refus

I – Le père : le visage contrasté de l’écriture féminine

a - L’homme aux semelles de vent de Nina Hayet

II - La relation mère-fille, une confrontation permanente

a - La jeune fille et la mère de Leïla Marouane

Quatrième partie : l’écriture conceptrice
Chapitre premier : L’espace extra-muros

I – Rupture de l’enfermement
a - Un amour silencieux de Nadia Sebkhi

II - L’écriture à bras le corps

c - La baie aux jeunes filles de Fatiha Nesrine

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lundi, mars 01, 2010

191- BARZAKH a 10 ans

El Watan 27 février 2010
Édition. Les dix ans de maison Barzakh : A l’enseigne du millénaire

Un catalogue éloquent qui exprime une véritable vision éditoriale, une passion pour la littérature et un goût de la qualité.


L’histoire de la culture dans notre pays retiendra que durant la décennie noire, le livre fut un extraordinaire outil de résistance spirituelle contre le renoncement. Les maisons d’éditions qui existaient (à quelques rares exceptions, comme Laphomic ou Bouchène, qui durent arrêter ou s’expatrier), poursuivirent malgré tout leur travail, de même que les librairies, pourtant particulièrement exposées. La lecture fut peut-être plus active alors devant l’impossibilité d’une consommation culturelle publique. On vit aussi, à cette période ou à sa fin, naître de nouvelles maisons d’éditions qui connurent l’épreuve d’exercer dans un pays ravagé par la violence et le désarroi.

Les années 90 et le début des années 2000 resteront déterminants pour l’édition privée algérienne, sans compter qu’elles ont suscité, parallèlement, sur le moment ou plus tard, une littérature relativement abondante (qualifiée par certains de « littérature d’urgence ») et la production d’essais liés aux évènements vécus ou à leurs causes historiques, économiques ou politiques. Aujourd’hui, l’édition algérienne compte plus d’une centaine de maisons, plus ou moins grandes, actives et professionnelles. Dans ce lot, un peloton se détache (environ une quinzaine de maisons ?), tirant l’ensemble vers plus de dynamisme et d’innovation. L’âge de ces entreprises culturelles commence à prendre de l’importance, comme un signe encourageant de fiabilité et de durabilité.

L’an dernier, par exemple, les éditions Chihab célébraient leur vingtième année d’existence, attestant d’un parcours honorable et d’un catalogue qui mérite l’attention. Cette année, ce sont les éditions Barzakh qui marquent leur dixième année d’existence après leur création en avril 2000, ce qui les place pleinement sous l’enseigne du IIIe millénaire Barzakh ? Quand ce nom étrange était apparu sur les étals des librairies, beaucoup s’étaient étonnés de son originalité qui signalait déjà une volonté de se distinguer. Son explicitation avait permis aussi de détecter, dès l’entame, un référencement culturel particulier, marqué du sceau de l’universalité et de la modernité, avec un fort ancrage sur le patrimoine et la création algérienne, de même que sur l’ensemble des sources qui les traversent : la civilisation musulmane, l’héritage africain, la dimension méditerranéenne...

Barzakh, une identité polysémique qui renvoie autant à l’isthme, entre deux mers, entre la vie et la mort, au Coran, aux grands auteurs mystiques arabes ainsi qu’à ce roman de Juan Goytisolo, intitulé ainsi. Cet entre-deux, c’est aussi celui des éditeurs, couple dans la vie, duo à la ville, tandem dans l’édition. Au tout départ, cette rencontre, alors qu’ils étudiaient à Paris, Selma Hellal en sciences politiques, et Sofiane Hadjadj en architecture et lettres arabes. En partage, une boulimie de lecteurs curieux, attentifs, éclectiques, exigeants qui les amènent très vite à faire ménage à trois avec le livre. De ce point de vue, les éditions Barzakh apparaissent bien comme un prototype de l’entreprise familiale, à cette nuance près qu’il s’agit d’une famille nucléaire moderne. Et si le qualificatif de « maison » qui s’applique aux éditions trouve, ça et là, des illustrations plus ou moins fortes ou fidèles, dans leur cas elle relève presque de la perfection.

La maison Barzakh donc, naît à leur retour au pays, à la fin des années 90, quand partir était encore la pulsion la plus naturelle de la plupart des intellectuels et des cadres algériens. Si ces derniers n’ont pas à s’en justifier – pour des raisons bien connues –, on ne peut que souligner l’engouement de Sofiane et Selma à regagner l’Algérie dans tous les sens du verbe. La foi du charbonnier peut mener à bien des métiers et celui d’éditeur s’est imposé à eux du fait de leur parenté avec la littérature et de ce constat simple et douloureux qu’ils établissent alors : « La frustration était immense : les auteurs algériens de langue française étaient publiés à Paris et ceux de langue arabe à Beyrouth ou Le Caire ». Dix ans après, on peut affirmer que cet axiome a perdu de son caractère inéluctable et que les éditions Barzakh, ainsi que leurs pairs algériens, n’y sont pas pour rien.

Bien plus, de même que la presse algérienne commence à devenir une référence pour les médias étrangers, l’édition réussit à placer des ouvrages au-delà de nos frontières, de manière encore timide mais encourageante. L’annonce de la parution, ce mois-ci, du roman de notre confrère Adlène Meddi, La Prière du Maure chez Jigal, l’éditeur français spécialiste du polar, après sa parution en 2008 chez Barzakh, vient attester de la possibilité d’établir des échanges dans les deux sens et non plus dans un seul comme ce fut toujours le cas. Pareillement, en 2002, L’Aube avait repris Cinq Fragments pour un désert de Rachid Boudjedra, et Actes Sud Maintenant ils peuvent venir de Areski Mellal, parus initialement chez Barzakh.

A ses débuts, Barzakh comptait s’en tenir à la littérature, passion de ses gérants. Dans une interview (parue dans Libre Algérie), Sofiane Hadjadj affirmait : « Notre stratégie est avant tout, outre la qualité littéraire d’un texte, de donner à entendre des voix qui sont d’abord algériennes, de gens sincères et qui expriment la diversité de ce pays. Je ne m’interdirai rien. En revanche, je ne m’inscrirai dans aucun courant non plus. » A quoi Selma Hellal ajoutait : « …arriver à casser les cloisons, (…) faire en sorte que des francophones puissent avoir accès à une littérature arabophone et vice versa. » Ces propos signalaient déjà une ligne éditoriale précise, chose rare qui n’empêchait pas la lucidité, comme le soulignait Hadjadj : « Malheureusement, il y a des contraintes financières et nous en sommes conscients.

On va peut-être élargir le champ à des essais sociologiques ou politiques qui soient d’une facture assez relevée. Ce qui permettrait d’accéder à un plus large public. » C’est cette démarche qui a été effectivement suivie par la suite, sans que la donne commerciale dilue l’objectif initial. Autour du noyau littéraire, toujours dominant, Barzakh a diversifié ses collections en direction des essais et, dans une moindre mesure, du beau livre. Ce mouvement apparemment excentrique a cependant conservé l’âme littéraire de la maison et les beaux livres ont généralement un rapport étroit au texte littéraire comme Une Nation en exil de Mahmoud Darwish ou La Plume, la Voix et le Plectre de Saâdane Benbabaâli et Beihdja Rahal. L’ensemble du catalogue présente ainsi une complémentarité des genres et une cohérence centrée sur la littérature.

Barzakh aligne aujourd’hui une belle escouade (on dit « écurie » dans le monde éditorial, mais c’est si infâmant) d’écrivains parmi lesquels figurent des « classiques » comme Mohamed Dib, de grands auteurs vivants, tel Rachid Boudjedra, et de nombreux écrivains nouveaux ou moins nouveaux : Saddek Aïssat, Malek Alloula, Habib Ayyoub, Mustapha Belfodil, Maïssa Bey, Kamel Daoud, Amara Lakhous, Adlène Meddi, Noureddine Saadi, Amine Zaoui… qui représentent des expressions littéraires algériennes de qualité, novatrices et, en tout cas, recherchées. Ce résultat est dû à un travail de lecture et de suivi assidu des auteurs, à un investissement dans la relation éditeur-auteur qui a fait dire dernièrement, en aparté, à un nouvel écrivain : « J’aimerais être publié par Barzakh car ils soignent leurs auteurs ».

La maison se caractérise en effet par un travail de promotion soutenu de ses auteurs et publications. Mais ce soin apparaît déjà dans la matérialité du livre : ligne graphique étudiée et respectée, impression qui n’a rien à envier à celle d’éditeurs étrangers renommés, papiers sélectionnés, couvertures qui se tiennent... Le livre est d’abord un objet et sa conception et sa fabrication sont des éléments éminemment culturels qui incitent à la lecture, la rendent agréable et assurent la durabilité de l’ouvrage. Pour cela aussi, chapeau bas à Barzakh, qui établit ainsi une référence qui se généralise dans les bonnes maisons d’édition.

Pour cette année qui coïncide avec à son anniversaire, Barzakh a lancé déjà quatre nouveaux titres : trois romans et un livre de théâtre, Rêve et vol d’oiseau de Hajar Bali (après La Délégation officielle de Areski Mellal,) ce qui ouvre courageusement une collection de cet art en Algérie. Pour les romans, on signale Miroir d’un fou de Hacene Zehar, annoncé comme « un pur éblouissement » d’un auteur décédé il y a quelques années ; Une Année sans guerre de Ali Malek et Ravissements de Ryad Girod dont nous découvrons l’écriture exceptionnelle. Le lancement d’une collection de livres de référence sur l’architecture, avec trois titres, est aussi un évènement éditorial dont nous parlerons prochainement. Au printemps, l’éditeur organisera une rencontre pour marquer sa décennie d’existence, tandis que paraîtra Les Figuiers de Barbarie, le dernier roman attendu de Rachid Boudjedra (sortie quasi-simultané chez Grasset en mars) et que Hôtel Saint-Georges sera réédité.

Maïssa Bey reviendra sur la scène littéraire avec son nouveau roman Puisque mon cœur est mort et un essai. Quant à Abdelkader Djemaï, il verra publier sa trilogie chez Barzakh, à l’instar de Mohammed Dib et Sadek Aïssat. Cette pratique de la trilogie est une des marques de fabrique de l’éditeur qui a voulu ainsi répondre à l’indisponibilité de titres déjà publiés mais peu diffusés en Algérie et offrir aux lecteurs des prix attractifs. Enfin, on annonce un petit météore avec Kaouther Adimi, âgée de 23 ans, qui signe son premier roman au titre savoureux : Des Ballerines de papicha !

Aujourd’hui, le catalogue de Barzakh comprend 110 ouvrages en littérature, essais et beaux livres. On comptait ainsi en 2008, cinq ouvrages en arabe sur 27 et, en 2009, quatre sur 20 et la maison espère accroître les parutions en langue arabe dans le respect de ses critères. Une collaboration serait sur le point de s’établir avec Dar El Jadeed (Beyrouth) dirigée par l’écrivaine Rasha El Ameer. Barzakh a développé une démarche de partenariat qui lui a permis d’engager des échanges fructueux, notamment pour les essais, avec les éditeurs français Le Bec en l’Air et Actes Sud. L’événementiel littéraire et culturel a aussi caractérisé le travail de Barzakh avec la coordination des Rencontres Ibn Rochd en 2006 à Alger ou la participation, avec l’Agence algérienne pour le rayonnement culturel, au mois Darwish l’an dernier.

Un beau parcours en somme, qui doit tout à la passion et au sérieux, au prix d’un acharnement qui a été marqué parfois par un sentiment d’abattement dû à la situation globale de l’édition. Le soutien du ministère de la Culture au monde éditorial par l’achat d’ouvrages, a joué un rôle salvateur, mais Barzak, comme tous les éditeurs algériens, espère une organisation en profondeur de la filière aujourd’hui menacée. Enfin, comment ne pas signaler ici ce qui nous semble l’une des plus belles actions de cet éditeur : l’achat des droits et la traduction en arabe dialectal algérien du Petit Prince de Saint-Exupery ? Une petite merveille éditoriale dont la symbolique est du pur Barzakh. Allez, courage !


Par Ameziane Ferhani