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lundi, avril 09, 2007

48- Quelle langue pour la « littérature monde » ?


Quelle langue pour la « littérature monde » ?

Étonnants voyageurs . La sixième édition africaine de ce festival a réuni, dans la capitale du Mali, cinquante-huit écrivains, en majorité issus de la sphère francophone.

Le festival Étonnants voyageurs a eu lieu du 22 au 26 novembre à Bamako. Plaisir de retrouver la capitale du Mali un an après, même si à l’hôtel, le week-end, il y a panne de courant parce que les « maquis » (bars-restaurants) et les boîtes de nuit pompent tout le jus.

La lumière revient avec le silence

La lumière revient avec le silence. Chacun son tour. La nuit, dans les avenues, les lampadaires s’allument quand passe la voiture du président. Sur le capot des cars (« dourouni »), on découvre ces petites phrases à la peinture blanche : « Le tigre blessé » ; « On ne peut pas aller au-delà de ce qu’on peut faire » ; « Pauvre à tort »... Dans le taxi, le chauffeur vous lance : « On est musulmans mais quand ça chauffe on devient animistes ! » Plus tard, il a ce mot : « On est en négociation avec la route, chacun choisit son trou. » L’harmattan, vent sec, se lève en cette fin d’« hivernage », comme on dit là-bas. Une poussière rouge filtre le paysage. Les Maliens n’arrêtent pas de balayer devant leur porte. Sur les trottoirs, tout près des voitures, des dizaines de têtes rondes se découpent sur l’écran bleu des téléviseurs en noir et blanc posés à même le sol où l’on passe une espèce d’Amour, gloire et beauté à la sauce polygame.

Vendredi dernier, dès huit heures, nous sommes une poignée de journalistes à accompagner, à l’École normale supérieure (ENSUP) de Bamako, inaugurée en 1967, Alain Mabanckou (prix Renaudot tout frais, pour Mémoires de porc-épic, Le Seuil) et Eddy L. Harris, (né à Saint-Louis dans le Missouri, il vit en France). Sur la façade est du bâtiment, une plaque commémorative rappelle qu’il s’agit d’un « don du comité central du Parti communiste de l’Union soviétique, pour l’amitié fraternelle et la solidarité révolutionnaire ». Les salles sont vides. Les étudiants n’ont pas encore repris les cours. Le directeur du département des lettres essaie de rameuter tant bien que mal un public introuvable. Enfin, une dizaine d’élèves se rassemblent dans un amphithéâtre décrépi. Mabanckou et Harris échangent leur point de vue sur les États-Unis. Le premier ayant décidé d’y vivre tandis, que l’autre qui y est né, a choisi d’en partir. Mabanckou : « Les États-Unis, loin de l’Afrique, loin de la France, apportent une distance nécessaire à l’écriture. On peut encore ne pas y considérer la littérature comme une petite discussion en lieu francophone fermé. » Harris : « L’Afrique te manque-t-elle ou essaies-tu simplement de t’en éloigner ? » Mabanckou : « Elle est très présente. Il me faut la nostalgie pour bien écrire. Je n’aurais sans doute pas été capable d’écrire ce que j’écris si j’y vivais. » « Un ami haïtien affirme, poursuit-il, que l’écrivain doit vivre dans un pays qu’il n’aime pas. Je ne dis pas que je n’aime pas les États-Unis, mais c’est là que je parviens à recréer une certaine Afrique. Les grands mouvements africains se sont toujours passés hors du continent. N’est-ce pas en France que Senghor a pu penser le concept de négritude ? Quant à moi, je me considère comme un fruit tombé sur un sol mal arrosé. »

Les tables rondes, nombreuses, ont lieu cette année à la Bibliothèque nationale de Bamako. Un grand débat, « Pour une littérature monde en français », réunit Michel Le Bris et Moussa Konaté, co-initiateurs du festival, Alain Mabanckou, Abdourahman Waberi, Jean-Noël Pancrazi, Fabienne Kannor, Gary Klang et Jean Rouaud. Tous se félicitent que cinq des grands prix littéraires français aient couronné il y a peu des auteurs francophones. Michel Le Bris :

« Cela va dans le sens de notre combat pour une littérature monde écrite en français. » Jean Rouaud (prix Goncourt en 1980 pour les Champs d’honneur) corrige un peu le tir : « Il ne s’agit pas de dire que la littérature française est moribonde et qu’elle serait perfusée par une littérature de langue française venue de l’extérieur afin de ranimer le cadavre du pauvre roman français ! » Il analyse ensuite longuement l’histoire de la littérature française : « La modernité est passée par la déconstruction. » Et de conclure : « Quand apparaît la littérature monde, c’est toute une autre génération qui pointe son nez et qui n’est pas intimidée par la réintroduction de l’art du récit si longtemps battu en brèche. L’idée de la francophonie, ce sont des peuples qui parlent le français. La francophonie, elle, n’est pas une langue, personne n’écrit en francophonie. »

Pour Mabanckou : « La littérature francophone, loin d’être un ghetto, est la littérature qui se traduit plus à l’étranger que nombre de romans français. » Waberi estime que « la seule définition nationale ne suffit plus ». Pour lui, « l’espace linguistique est à investir ». Symétriquement, « ce devrait être le rôle de la francophonie, en tant qu’organisme international, de promouvoir les langues africaines ». Moussa Konaté évoque les Mémoires de porc-épic de Mabanckou : « La presse qui a fait les éloges de ce livre n’a pas vu que nous Africains, nous baignons dans ces histoires de double animal depuis l’enfance. Chez nous, personne n’a pensé que ce pouvait être un sujet de roman. C’est que nous restons colonisés. Beaucoup d’auteurs se disent qu’il faut écrire comme les Français, ce qui donne des sous-produits, de pâles copies qui ne valent jamais l’original. Il me semble que ce livre, au-delà du succès, entrouvre des portes. Il va permettre à nombre d’auteurs d’avoir confiance en eux-mêmes. »

Cinquante-huit auteurs invités

Cinquante-huit auteurs étaient invités (maliens, bien sûr, ivoiriens, mauritaniens, congolais, sénégalais, belges, québécois...). Il y avait aussi une section Étonnants scénarios et, pour la première fois, Ethnologues voyageurs. On a passé des films de Jean Rouch, cet héritier de Marcel Griaule, qui s’éteignait il y a cinquante ans. Par ailleurs, il nous a été donné de rencontrer des éditeurs maliens, dont Adama Coulibaly, qui dirige les éditions Jamana. Pour lui, « le problème financier, ici, est capital. Beaucoup d’écrivains ne peuvent publier qu’à compte d’auteur. Le problème du lectorat est crucial dans une culture à dominante orale ». Quant à Anne-Marie Didagde, commerçante béninoise qui vend des livres sur les marchés, « le prix moyen du livre va de 800 à 12 000 francs CFA pour un salaire moyen de 25 000 francs CFA ».

L'Humanité 30 novembre 2006
Muriel Steinmetz envoyée spéciale: Bamako (Mali),


IN [http://www.humanite.presse.fr/journal/2006-11-30/2006-11-30-841302]


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