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jeudi, avril 20, 2006

24- Entretien avec Noëlle REVAZ


Entretien avec Noëlle REVAZ
Noëlle Revaz est née en 1968. A suivi des études littéraires. Elle vit à Montreux (Suisse). Publie en 2002 « Rapport aux bêtes » (Ed. Gallimard), pour lequel elle reçut de nombreux prix.

Noëlle Revaz a créé une langue paysanne comme d’autres ont créé une langue urbaine ou de banlieue. Son roman raconte l’histoire d’un paysan suisse qui pourrait être un paysan du monde, Paul. Il est fruste et déchaîné envers sa femme qu'il appelle Vulve, la réduisant ainsi à sa fonction génitale. Un jour apparaît un ouvrier portugais qui va tout bouleverser. Grâce à lui, le paysan irrespectueux va changer. Le journal suisse Le temps écrivait à son propos en 2002 : « Noëlle Revaz a créé un style hybride, jouant sur les ruptures, mêlant quelques helvétismes à des tournures savantes, transformant les adjectifs en noms, inventant des détours qu'on croirait parfois traduits d'une langue étrangère ou antique, où chante le rythme d'un vers. »

Entretien avec Noëlle REVAZ

AHMED HANIFI : Pouvez-vous vous présenter ?

NOELLE REVAZ : Je suis Suissesse et vis en Suisse, j’ai écrit un roman chez Gallimard dont le titre est « Rapport aux bêtes ». Actuellement j’écris et exerce quelques travaux alimentaires d’écriture, des sketches pour la télévision Suisse. J’ai fait une maîtrise de lettres puis j’ai enseigné quelques temps. Mais l’écriture est encrée en moi depuis l’enfance.

- Avez-vous écrit avant « Rapport aux bêtes ? »

- Oui j’ai écrit durant une année pour une émission culturelle de la radio Suisse Romande, à raison d’une nouvelle par semaine. Je pense que cela m’a beaucoup aidé, cela m’a permis de réfléchir constamment à mon style et de l’améliorer.

- Parlez-nous de votre roman.

- C’est un monologue. J’ai voulu m’exprimer en utilisant la caricature d’un monstrueux personnage. C’est un texte dur, un écrit oral. Paul le narrateur, est un paysan frustre et violent qui vit avec sa femme qu’il appelle Vulve. Il n’a jamais une pensée ou une parole positive pour elle. Il ne l’aime pas contrairement à ses vaches pour lesquelles il a des sentiments d’affection. Ses enfants (les petits) sont comme la volaille dans la basse-cour, il ne sait pas combien ils sont, ils sont là comme un décor.

- Paul est très dur à l’égard de sa femme, est-ce un roman à message sur les rapports de couple ou sur la condition des femmes ?

-Non et d’ailleurs je suis assez d’accord avec Borges qui dit que le seul cas où une œuvre littéraire est ratée c’est quand elle correspond aux intentions de l’auteur. On a toujours des intentions de départ mais en général on fait un voyage dans l’écriture et on découvre ce qu’on a à dire en écrivant. Au départ j’avais l’intention d’écrire sur les rapports homme/femme mais j’ai été dépassée pour arriver à décrire tout un monde, toute une conscience et c’est beaucoup plus riche que ce que j’avais envisagé. Au début comme je ne connaissais pas bien encore les personnages, c’était comme une fresque ancienne dont je découvrais petit à petit les couleurs, c’est normal je ne pouvais pas pressentir ce qui allait se passer. A mon sens c’est cela qui est intéressant dans l’écriture, partir à la découverte de quelque chose.

- Dans votre roman les lieux ont été dites-vous « gommés » comme si vous aviez le souci de ne pas être cataloguée.

-J’ai vraiment volontairement gommé tous les éléments des paysages pouvant rappeler la Suisse. Par exemple vous ne trouverez pas le mot montagne dans le roman. La figure du paysan est universelle. Je pense qu’en France ou même en Algérie ou ailleurs on pourrait retrouver les mêmes traits de caractère car lorsqu’on travaille la terre, en général on est opiniâtre on est silencieux on est rude à la tâche et on est en contact avec les éléments naturels. Je pense qu’un paysan du fin fond de l’Algérie pourrait se retrouver avec un paysan de l’Emmental en Suisse ou de la Beauce en France ou du fin fond de l’Italie, c’est universel.
Et puis, nous les Suisses on a envie d’en finir avec le folklore, les montagnes… on en a assez. C’est pour cela que mon histoire - nos histoires à nous les écrivains Suisses - ne sont pas liées à des lieux précis, indiqués comme se situant à tel ou tel endroit.

- Cette édition du Salon du livre honore la francophonie…

- Le choix de la langue française ne m’a pas été donné, je suis née avec. Je fais ce que je peux avec la langue qui est la mienne. Parfois j’utilise le patois pour mieux exprimer une idée… Chaque langue a sa propre beauté. Les langues peuvent se retrouver sur l’esthétique. Je ne comprends pas ces distinctions de nationalité, elles me semblent vaines. Je crois très fort en l’individualité de chaque écrivain, on a chacun un univers et un monde…


Extrait de « Rapport aux bêtes » : « Ces jours-là où je la guette, Vulve le sent parce-qu’elle profite à chercher à m’amadouer en faisant tous ces soupirs : elle croit que c’est que je veux bien aller coucher avec elle, puisqu’elle bâcle à nettoyer. Mais moi j’essaie de parler, en faisant semblant de donner aux petits les ordres et en même temps moi j’observe et qu’est-ce que je vois ? Que cette Vulve sait pas parler, que cette Vulve elle comprend rien à ce qu’on cause… ça fait des mois qu'elle me harcèle avec ces histoires de bassin. Elle dit qu'elle a une boule au ventre, mais c'est pas vrai : c'est juste qu'elle engloutit comme vingt, même qu'elle nous coûte en patates, et on peut pas me tromper là-dessus : quand on mange tant, c'est pas tellement qu'on est malade. Vulve le soir elle veut toujours que je touche la boule, pour montrer comme elle est grande. Ben oui, c'est vrai, il y a une boule. « Mais c'est qu'une poche d'eau plein de graisse, je lui dis, si tu manges moins tu verras qu'elle ratatine. » Et c'est même pas l'estomac, c'est bien plus bas, c'est en bas vers le bas de ventre, que je pense que Vulve elle fait exprès pour que je mette là-haut la main ».

Ahmed Hanifi – Paris 20 mars 2006
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