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vendredi, février 03, 2006

18- Le TAS: THALYS, 1440 BREMEN - suite -

(Suite)

Sans transition, sans autre forme de relation cet autre vers né des images évanouies, me rappelle à l'ordre. You gotta tell your story boy, before it’s time to go.

- Thank you !

L'agent de la police des frontières sourit comme un agent en ordre commandé et nous rend nos passeports. Le contrôleur a disparu. Je suis content… Quel froid. J’aime les trains. J’aime leurs couloirs que je parcours en chantonnant comme le fit à son époque Larbaud, le visage découvert. Il me semble parfois ne les avoir jamais quittés. J’ai toujours aimé bouger. J’ai beaucoup voyagé. Je connais beaucoup de pays, de villes, de quartiers. J'aime à conquérir les étendues. J'ai toujours voyagé. Je suis toujours content de retrouver Copenhague, caresser une à une les façades de ses maisons, couleur après couleur, découvrir ses habitants, ses filles de Dieu, parcourir ses rues, ses pâtés d'immeubles, ses quartiers du sud au nord ; de Christiana à
Amalienborg en passant par Kongens Nytorv et par la fontaine de Géfion. J'aime à entendre partout des saluts sincères. "Velkommen tilbage !"

- Hé ! S'énerve Rian, puis interrogateur :
- Tu rêves?
- Peut-être, je n’en sais rien ; à quoi veux-tu en venir?
- Aux idées reçues. C’est toi qui as commencé. A quoi rêvais-tu?
- Tu es trop naïf ! Penser un instant qu'au nom de je ne sais quelle construction historique ou humaine l'on puisse supprimer les frontières ! Elles sont dans les têtes !
- Comme l'enfer?
- Que crois-tu?
- Je ne crois pas !
- Si. Tu as dit…
- Mais non, mais non !
- Nos vies sont tramées par le temps de la même manière qu’un conspirateur patiemment, l’air de rien, froidement prépare jour après jour le dernier sommeil d’un adversaire longtemps côtoyé et choyé.
- Tiens, prends ton sac et tais-toi. Tu es hors sujet. Laisse passer. Tu planes sérieusement. Grave Ya Ssi !
Nous arrivons à Central-station, au cœur de Copenhague, à vingt heures et vingt-deux minutes la tête dans les nuages. Nos premiers pas sur la terre ferme du Danemark sont légers, agiles, alertes. Au buffet de la gare peu éclairée -jadis City-Market- nous prenons notre première et excellente bière locale -fierté nationale, elle décapsule les sentiments de culpabilité chaque soir que Dieu fait. On vous le jurerait- toujours aussi forte que deux éléphanteaux jumeaux taillés dans le roc. Nous avalons les premières bouchées du seul plat chaud proposé à cette heure-ci. Il pleut tout autour et sur les toits de la gare.

- Adieu veaux, vaches, hallal et haram dit Rian. Il marmonne, coincé entre la faim et Dieu : à notre âge, c'est une catastrophe, une catastrophe ! Il repousse sincèrement l'assiette de frikadeller encore bien garnie. Une pointe de regret se dessine malgré tout sur ses lèvres et ses paupières plissées. Je tente à la fois de l'impressionner et de le rassurer : "nous n'avions que ce choix voyons !" Il dit : "prends-la", mais il ne m'en donne pas le temps. "Bon" ajoute-t-il bougon, "va pour les choux, je prends les choux". Il les avale tous sans toucher au porc et serein, change de sujet.

Nous ne traînons pas. Vesterbrogade est vide et mouillée. Quelques voitures filent à vive allure et font chanter la chaussée. Nous prenons sur la gauche… (Katarina me promit qu'une chambre à l'hôtel eût été plus romantique. Main dans la main nous balancions nos bras et nos corps. Nous y fûmes. Elle sourit, plongea ses yeux dans les miens puis s'évanouit). Inquiet, Rian s'en va au pas de charge, malmené par ses kilos d'effets.

- Là Rian, à gauche, juste après la pharmacie.

Il est vingt et une heures et vingt minutes nous reproche l'horloge agrippée au mur à hauteur d'homme, derrière la réception de l'hôtel. L'accueil est chaleureux. Nous jetons nos charges à terre et prions quand même pour trouver des chambres libres.

- Yes please, one room for two. How much is?

Il n'y a pas de chambre unique pour deux. Nous sommes bien obligés de croire le réceptionniste et en prenons une chacun au rez-de-chaussée. Un tableau géant est accroché contre le mur là bas. La grande dame haute en couleurs semble inviter les admirateurs de passage.
Le lendemain nous avons plus de chance. Peut-être parce que nous payons en une fois quatre nuits d'avance : plus de cinq cents euros. L'hôtelier nous réserve une chambre double avec douche au même niveau. Payer plusieurs nuits d'avance permet de prendre facilement ses aises ; dans l'hôtel mais aussi dans la ville. C'est ainsi que dimanche matin nous rejoignons directement notre hôtel que nous avions déserté la veille. Nos vues sont troubles et nos pieds las.
Une grande dame dans une toile vissée sur la cloison là-bas nous fait un geste. "Suivez-moi" suggère-t-elle. Elle est de dos. La main droite est posée sur la rampe de bois. Je me retourne inutilement. Face à moi il n'y a pas de miroir. C'est un cadre. Elle est bien là devant nous, accrochée… Elle monte en effleurant une à une les marches. J'ai le plus grand mal à la rejoindre. Mon unité mentale se disperse.

- Katarina !

- Chchchch…répond gêné le jeune homme les yeux faussement posés sur une revue.

(Unis par le hasard Katarina et moi longions ce samedi-là la Vesterbrogade. Nous voilà à hauteur de l’entrée majestueuse du parc d'attraction. Une entrée immense flanquée d’un drapeau aux couleurs locales et de six lettres dorées : T.I.V.O.L.I. Nous nous dirigeâmes ensuite vers le théâtre de plein air. Sur le chemin paradaient quelques majorettes. Katarina connaissait parfaitement les lieux qui nous regardaient déambuler. Il y avait foule à ces heures là. Les vendeurs de friandises et hot dogs étaient débordés. Je lui lançai sur un air entendu, peu spontané : "Le Roi est mort, vive la Reine !"

- Vive mon Roi plaisanta Katarina, Du gam-la, du fri-a, du fjäll-hö-ga Nord !

Coup sur coup on eut un Roi et une Reine ! Nous traversâmes de magnifiques jardins. Nous mimâmes un clown hagard qui faisait le fou mais manquâmes la relève de la garde. Nous tentâmes par l'est un tour du lac puis renonçâmes à mi-chemin. Il y avait trop de monde et le jour ne finissait pas de s'étirer.
Nous étions emportés par les rythmes de Dibango, Soul Makossa déversés par un haut-parleur excité. Katarina m’emmena fissa vers la sortie du parc. Nos ombres nous précédaient. Elles nous guidaient, s'allongeaient sans encore nous abandonner. Mais nous menaçaient.
L'adolescence à nos trousses à une poignée d'années, et autant de rêves dans nos têtes et nos cœurs que de palpitations, nous faisaient sautiller de bonheur. Nous ne partîmes pas chez le Chinois. "D’ailleurs", me fit-elle remarquer "il n’est pas chinois". Comme nous évitâmes aussi le Britannia-Inn.
Hier, pensai-je, j'y ai laissé mes papiers et presque une dent contre un mot indigeste. On ne peut faire un meilleur effet au pays des sirènes : plusieurs coups de pieds et de poings sur mon corps le jour même de mon arrivée ! Katarina lançait contre l'agresseur toutes sortes de mots inintelligibles, abstrus -Il me semblait que c'était plus des onomatopées que des mots civilisés qu'utiliserait dans la même situation le commun des mortels- Des mots durs forts gros, qui ne firent pas fuir les assaillants mais qui eurent le mérite -je le reconnais- de nous permettre de sortir la tête haute.
Nous franchîmes Andersens boulevard. Devant l'hôtel de ville au style mi-renaissance italienne nous ralentîmes le pas alors que tantôt nous traversâmes Rådhus Pladsen sans lui prêter plus d'attention qu'il n'en méritât. Coincé entre la tour et l’entrée l'évêque Absalon sous les derniers rayons lumineux tout de cuivre vêtu veillait. Nous contournâmes la fontaine du Dragon ma main sur sa hanche, sa tête et l'éternité sur mon épaule fragile et naïve. A quelques mètres, affalés sur un banc, un couple gesticulait mollement. Je pensai : Il n’est pas d’ici. La lumière du soleil frémissant allongeait quelques ombres discrètes, distraites. Une lumière spécifique aux contrées du nord nous invitait aux désirs les plus excentriques, les plus fous. Katarina qui lut dans mes pensées me relaya.

- Le soleil avait sa force, il n’en restait plus que le souvenir dans une douce lueur qui se répandait sur le paysage.
- Que c'est joliment dit ! Je ne te savais pas poétesse !
- C'est du Soren
- Soreil ?
- Soren ! Soren le danish. J'aime pas beaucoup les danish. Ils sont trop sombres et parfois méchants, n'est-ce pas? Et si on mangeait, il se fait tard !
- OK but where?
- Come-on, ça te dit d’aller aussi danser?
La proposition me parut si généreuse. Les mots que je tentai d'extraire de mes pensées anesthésiées glissèrent, puis s'évanouirent. Ca ne sortait pas. Alors, impuissant j’éclatai d'un rire nerveux.
Les réverbères substituaient des ombres à d'autres.
- Ca me ferait plaisir insista-t-elle. Je connais un endroit sympathique. C'est ta fête non, ton anniversaire?
Je n'osai rectifier pour ne pas la contrarier. Mon anniversaire ! Pourquoi pas. Lui ai-je menti? A sept heures onze -Je crus Katarina sur parole : eleven past seven- nous entrions dans un bistrot-dancing présomptueux au nom de Casanova. Il y avait là un monde fou. Une chaleur humide aromatisée se répandait dans les salles. Nous liâmes connaissance avec deux américaines, un Italien et un Egyptien : Sandra, Susie, Carlo et Khorshd. Et puis Kristine la norvégienne. On y vient pour cela me confia Kat, on discute facilement ici. Nous dansâmes jusqu'à l'épuisement… Killing me softly… et encore… Those where the days…Mais nous attendîmes plus de deux heures pour manger. A une heure du matin, peut être deux ; à moins que… dans la confusion la plus totale entre cris et échanges de poings et de pieds, Katarina et moi quittâmes les lieux. Une histoire de jalousie chez un couple de danois dégénéra. Nous nous retrouvâmes sur le trottoir vide et noir. Nos amis d'un soir disparurent. C'est souvent ainsi. La distance est toujours aux aguets ; au moindre indice elle se faufile entre les êtres qui s'aiment et c'est la séparation. On se quitte amicalement ou bien avec des coups. Un monde fou. Kat me sauta au cou. Je savais le Danemark fiévreux mais là… Recevoir une double volée de bois vert deux soirées de suite… Le dix au matin nous quittâmes Green-camp pour le confort et le calme relatif d'un hôtel du centre. Absalon ! Dans la chambre, Katarina plongea sur le matelas. Elle se retourna. Elle se déchaussa par le seul doigté de ses orteils puis tendit de part et d'autre de son corps, au plus loin, les deux bras à la fois. La voilà dos au lit comme dos au mur ou contre la croix. Son sourire put alors irradier la pièce. Je voulais lui dire, lui répéter, lui crier : I love you Kat ! Ma tête était prête et mon corps aussi. Ma bouche elle, se paralysa. Elle m'entendit dire : why are you smiling? Puis elle m'entendit répéter comme un souffleur pas rassuré : why are you smiling? Les quelques objets qui, par leur présence et leurs formes capricieuses atténuaient la sobriété de l'espace, ne bougeaient pas. Nous étions emportés l’un et l’autre. L’un contre l’autre, corps unique dans un tourbillon de mots de gazouillis de couleurs de paysages et de parfums ; de bonheur et de silence. D'émotions.)

(A suivre…)

Notes :

J’aime les trains… le visage découvert. : : extrait de « Ode » poème de V. Larbaud. Il écrit dans « Poésies d’A.O Barnabooth » ceci : « J’écris toujours avec un masque sur le visage ».

J’aime à conquérir les étendues : Michel Picard écrit: « Irreprésentable, mais pensé abstraitement comme « coordonnée du réel, le temps, on le sent bien, se neutralise d’autant plus qu’il se confond davantage avec l’espace. (Plusieurs générations de potaches se sont efforcées de méditer la phrase naguère célèbre du vieux Lagneau : « L’espace, signe de ma puissance, le temps de mon impuissance ») »

Nous arrivons…Copenhague : Je règle son affaire au temps. Toute une partie du trajet Allemagne / Danemark est « évacuée ».

Vive la Reine !…: En 1972 mort du roi du Danemark, Frédérick IX. La princesse héritière Marguerite (II) lui succède. Et en Suède le 15/09/1973, mort du roi Gustave VI Adolphe son petit fils Charles XVI Gustave lui succède

Uniforme sombre… : Stig Dagerman sous-entend dans un de ses écrits que c’est le regard que portent certains Suédois sur les Danois/ idées reçues:
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