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vendredi, janvier 27, 2006

17- Le TAS: THALYS, 1440 BREMEN

(Suite)
« - Mais on est où ? Quelle heure est-il ?
- Non loin de Bremen et il est exactement dix-sept heures et vingt minutes dit Rian en me tendant une canette de bière. Tu es sur le point de suer, tiens, ça va te réveiller.
- Je ne dormais pas.
- Tiens.
J’avale la bière en deux lampées. Glacée. A l'extérieur les fils électriques ne yoyottent plus. On ne les distingue plus. Le soir discrètement s'est installé. Derrière nous on s'agite. Le couple voisin nous interroge d'un double regard sangsue. On afflue de toute part vers le bar. C'est la fête. La compagnie offre à boire. Evidemment. Cette délicatesse embaume graduellement toutes les voitures. Rian à son tour, s'absente de toute cette agitation. Il fixe les eaux qui, à l'approche d'une autre agglomération, revivent comme au grand jour. Il semble en prendre plein la vue. Le fil du fleuve qui passe sous la voie ferrée lui fait perdre celui du temps. Il sort de sa léthargie pour murmurer sans sourciller :
- Regarde toute cette eau j'ai l’impression qu'elle s’écoule dans l’autre sens je n’en suis pas sûr dans quelle direction coule-t-elle réellement
Syllabe après syllabe il prononce d'un ton mielleux ces mots, qu'il n'adresse manifestement à personne. Ils coulent de sa bouche au même rythme que cette eau devant nous. Il n'attend pas de réponse. Toute cette agitation lui est égale. Il ne la voit pas. Ne l'entend pas. Il précipite de nouveau ses pensées dans le fleuve et répète : dans quelle direction." Son regard impénétrable est plongé dans la réalité présente de cette eau argentée qui se laisse glisser sur les feux de dizaines de réverbères plongés en son sein pour mieux la guider la nuit venue. La nuit est là. L'eau coule dans un sens qui peut-être, au-delà de la question l'indiffère. Il ajoute cette fois sur un ton martial qui évacue toute velléité de réponse ou de critique : -
- Ils ont réclamé sept clepsydres et le juge le leur a accordé ! A-t-il perdu ses esprits?"
Je lui demande s'il va bien mais il ne m'entend pas. Mécaniquement il tente un geste quelconque et renverse sur ses genoux le contenu de son verre. Ce geste qui le fait sursauter ou un autre similaire et insensé me parut inévitable. A-t-il pensé un instant que cela pouvait durer sans fin? A-t-il pensé un instant qu'il aurait le dessus? L'écoulement de l'eau est éternel. La patience de Rian bat en retraite.
- Eh merde, merde !
- Allez viens, on passe à côté, il y a fête je crois.
Il jette un regard sur le gobelet allongé qui se berce encore avant de le saisir et de le poser sur la tablette. Il fait deux pas, se retourne vers la planchette puis avec la paume des mains il caresse ses vêtements de haut en bas. Une fois, deux fois, trois fois.
"Mesdames et messieurs, la société Nord-Europe des réseaux de chemins de fer est heureuse de vous offrir une collation ainsi que des rafraîchissements en son espace-bar qui se trouve dans la voiture numéro quatre. Merci de nous y rejoindre."
Nos voisins nous regardent mi-amusés mi-médusés. Par quelques gestes subtils ils nous manifestent leur agacement de ne pas comprendre ou du moins de ne pas saisir le sens général. Je saisis leur regard pour tenter de leur expliquer par-delà les mots que dans le salon c'est la java. La femme pose la main sur celle de son compagnon puis la lui prend sans nous quitter des yeux. Vont-ils nous suivre? Les verrons-nous au bar-détente? Nous y passons aussitôt. Des dizaines de personnes entassées jacassent bruyamment. Quelques-unes amorcent des pas de danse. Les barmen sont manifestement émoustillés, mais ne sont pas seuls. Sur les vitres se forment de belles et passagères arborisations.
"… société Nord-Europe des réseaux de chemins de fer est heureuse…"
-Je vais me changer dit Rian. J'en ai pour deux minutes. Il en pris beaucoup plus. A la trentième je décidai de m’interroger sur son absence. Il avait rejoint son siège séché. Surpris de me voir, il esquisse un geste puis se ravise. Faussement songeur il se gratte la tempe à la recherche de quelque boniment. "Je te présente euh…"
La belle qui occupe mon siège dans une posture inconfortable se lève.
- Nataloussia, sourit la poupée rousse.
- Alec, dis-je en lui tendant la main. Elle rougit. Ben venez, vous ne dansez pas?
- Si si répond Rian pour elle et lui. Il me coupe le souffle. Je lui demanderai plus tard s'il n'était pas fou de s'afficher ainsi avec une si jeune femme. Je vois d'ores et déjà la scène :
- Je suis jeune moi aussi !
- Oui mais pas à ses côtés, ça fait lourd, Rian, lourd !
- Va voir ailleurs si j'y suis.
Je vois la scène.
"Meine Damen und Herren, Die Gesellschaft Nord-Europa Bahn freut sie zu einem Drink …"
Le couple voisin vissé aux sièges, de nouveau nous dévisage. Mon explication ne l'a manifestement pas convaincu. Nous ne sommes pas loin de Rotenburg. Le ciel semble plus léger. Des zones que l'on devine bleues, se fraient des espaces entre les cumulo-nimbus menaçants. Les eaux phosphorescentes du Wümme que l'on devine bleu dos de sardine, nous accompagnent et serpentent sur plusieurs kilomètres avant de nous abandonner pour leur propre destinée.
La jeune Russe -elle est russe- se libéra à la station suivante où nous avons droit à trente minutes d’arrêt ennuyeuses et donc interminables. Les yeux de Rian ne s'embuèrent pas mais ils suivirent la jeune femme jusqu'à ne plus la distinguer dans la cohue. Je ne lui adresse pas la parole mais en définitive je le comprends. Lorsque nous quittons Hamburg Hauptbahnhof l'allure du train est soutenue. A nouveau les superficies boisées rétrécissent à vue d'œil au profit de constructions de plus en plus nombreuses. De nouveau Rian plonge dans le vide, dans une profonde méditation. Il est absent. Les bruits dans notre remorque sont plus légers, peu de personnes circulent. Nous somnolons. Entre vigilance et sommeil franc, les yeux mi-clos ne se décident pas. Plus tard quelques-uns racontent la traversée. Personnellement, Rian et moi nous ne nous sommes aperçus de rien. De si peu.

Le train ralentit à l'approche de Nørre Alslev.
- Contrairement aux idées reçues dis-je à Rian tu vois, au Danemark non seulement le train arrive à l’heure -s'il nous faut croire l'horloge de la gare de Nørre Alslev qui s'éloigne maintenant mollement et à reculons, parce qu'avec ma montre on est loin du compte, fichue montre ! - non seulement le train arrive à l'heure mais l’accueil que nous réservent dans les couloirs les contrôleurs danois est à la hauteur de leur impeccable uniforme quoique sombre Bien qu’il faille distinguer contrôles appliqués et contrôleurs taciturnes , devoir tatillon et accoutrement suranné.
- Etre et paraître ! s'aventure Rian.
Puis :
- Être et avoir ! Mais on peut combiner, non?
- C’est cela.
- Etre tel qu'on paraît et paraître tel qu'on est ! Rian s'enfonce
- Exact.
A l'adresse de l'agent de la police des frontières qui suit le contrôleur, il récite narquois :
- Rian fils de Rian monsieur, né à Souk-Ahras pays de soleil et lui c'est Alec mais son vrai prénom c'est Razi né à Talassa pays de Phébus comme c'est écrit. A Talassa n'est ce pas, pas à Leinster Street ou à Honolulu non, à Talassa ! La montagne et la mer, Talassa, le soleil, le soleil ! Nous continuerons dans quelques jours pour Stockholm. Nous arrivons de Paris. C'est écrit. Tout est écrit".
L'agent de police répète en balançant la tête, faussement rêveur :
- Talassa."

(Talassa est une terre du bout du monde coincée entre les Bni Merzoug les Bni Tamou et les Bni Tadjena. Ces hameaux de toub, terre glaise et battue sont unis les uns aux autres par des lianes de codes et d'us, par des liens de sang et par des zerdas tournantes prétextes aux rassemblements sains et naïfs. Psalmodies, méchouis cachectiques, taâm et lait caillé étaient acheminés sur des sentiers sinueux et cahotants récusés par toutes les cartes routières, malmenés par les vas et viens des grisons et mulets, rongés par des éternités de jujubiers et de figuiers de barbarie sur la défensive parmi les collines souvent colorées et odorantes. Le lendemain de fête une torpeur générale s'abattait alors en attendant la prochaine occasion. Heureuse ou malheureuse. Le moindre buisson, le moindre cailloux, la moindre ombre acculés dans leurs abris, retenaient leur souffle au passage des jours et des nuits. Pas une agitation, pas un murmure. Au creux des vallées les racines des lauriers-roses baignaient dans les rares eaux des oueds ridicules et silencieux. Personne n'est jamais étonné. Dahra, terre de soleil de mouches et de bourdons insomniaques, terre sans eau. Ce n'est pas un pays de sorcières ni celui de la magie encore moins celui des ânes d'or, mais il est bien celui de mon père et de ses prédécesseurs. Terre antique. Ma mère y est porteuse comme toutes les femmes et oubliée. Je la revois. Je les revois : el-graba, les chemins, les foules assiégeant l'autocar, et mon père. Mon père qui un jour me lâcha au soug es-sebt. Lorsque ce jour là -un samedi forcément- nous arrivâmes à Ténès à une poignée de kilomètres de nos bourgades pour le grand marché hebdomadaire, les passagers du car se dispersèrent aussitôt, pourchassés par un nuage de poussière et par un soleil de feu baignant dans un ciel bleu de mer. Le vieil autocar bondé de chez Grandella et fils parcourait invariablement trois fois par jour dans un sens puis dans l'autre la distance entre Talassa et Ténès. Quel que soit le mois de l'année ou le jour de la semaine. Le samedi il était toujours bondé et toujours conduit par le même chauffeur à l'haleine aillée, à cent lieues repérable. Son bleu de Shanghai empestait la Bastos. C'était la plus prisée des cigarettes chez les couches populaires et indigènes fatiguées, lancées dans une intoxication mutuelle. La cigarette du chauffeur lui collait au bec asséché. Sans elle il eût été méconnaissable. Ce jour là l'autocar nous déposa donc devant la mairie. Les gens se dispersèrent aussitôt poursuivis encore et encore par un soleil de feu baignant dans un ciel bleu de mer. Pas un nuage. Il n'était pas encore dix heures ce samedi là lorsque nous traversâmes la grande place au cavalier, mémoire de la nuit coloniale déclinante et gardien des lieux. Mon père qui jusque là me tenait la main, la lâcha.
- Razi
Dans nos contrées de misère le soleil à portée de main menace toujours.

- Ca va ?
A quelques centaines de mètres de la mairie, nous empruntâmes le pont de l'oued Allala pour atteindre la tahtaha qu'on désigne du nom du saint local, tahtahat Sidi Chewel Abderrahmane en l’occurrence.
- Il rêve !
La tahtaha est un grand espace, une esplanade surdimensionnée et immensément poussiéreuse où se côtoyaient par centaines hommes femmes bêtes de somme et carrioles, sardines fraîches, seiches propres, bonbons et étoffes soudanaises bariolées, branis, haïks, chéchias, bérets et tant d'objets hétéroclites et vains, à vendre ou vendus. On venait de loin pour ce marché du samedi, soug es-sebt, si populaire. A la suite des riches boutiquiers mécontents, les pauvres mécréants répétaient, glapissaient que Dieu, insatisfait de l'œuvre humaine sanctionna ses créatures d'un jour supplémentaire de prières. Ce fut samedi. Les pauvres gens incrédules ne connurent jamais l'origine réelle et banale du lien qui rattachait l'un à l'autre, le marché au samedi. Ils ne partageaient par conséquent pas la croyance pourtant répandue à savoir que l'homme est apparu un samedi saint par la volonté de l'Unique. Les riches commerçants mécontents qui eux connaissaient bien leurs intérêts et qui inventèrent cette histoire pour écarter les gueux du -maudit disaient-ils- marché, se trompèrent. Tous les sept jours, l'affluence y était telle que la nonchalance renonçait à ses droits jusqu'au lendemain. Qui court vers des besoins spirituels, qui vers des besoins bien matériels, qui vers les deux à la fois, qui.
Je tendis la main à mon père.
Ténès est une belle ville adossée à la Méditerranée plus qu’à la colline. Pour être précis elle est plus proche de la bourgade que de la ville. Elle est chargée de petites bâtisses tassées et alignées comme des dominos prêtes à plonger dans la baie bleue de la mer miroir. Ces édifices occupent des espaces cohérents, complémentaires. Bâti à des époques différentes, chaque groupe de maisons harangue le précèdent. Chaque période nouvelle s'impose aux autres naturellement un temps puis finit par leur ressembler. Elle s'insère discrètement parmi les autres et attend les suivantes. L’eau de mer ici est d’un bleu du temps suspendu d'une carte postale. Ténès est une contrée pudique dont on a gardé si peu de son histoire agressée. On a figé son identité au devant d'un trésor romain découvert il y a tant d'ans autour de la tombe de Victoria, ordonnée Clarissima fémina : "Voyez braves gens le trésor de Ténès !" Ah courte mémoire ! Ténès, perle pudique et puritaine que notre saint poète Ibn-Amsaïb allie à six autres villes dans un espace-patrimoine commun éternel, est aussi la terre des Aguellid Juba père et d'autres, bien avant ces trésors, bien avant les romains ! Elle est cette autre terre de mes ancêtres et de ceux de Sheshonq Au détour de la rue du Douar M'aïn, probablement là bas vers le bas du bled, vécurent Isabelle et Slimène héros furtifs de la ville dont l'histoire officielle voila la liaison.
Dans cette multitude bigarrée, la main de mon père de nouveau glissa. De tous côtés apparurent mains et têtes de toutes les formes et couleurs. Mille et une mais pas celles de mon père. Disparu Affolé, je courus un moment. Inutile. Panique. Je ne bougeai plus. La foule autour, belliqueuse, s'agitait toujours. Je criais à tue-tête, "bouya, mon père, mon père !" Mais c'est un autre qui répondit. Me répondit-il? Ne s'adressait-il pas plutôt à l'humanité tout entière? Je l'entends. Ô mon fils, cesse tes malices / Ton frère va mourir, / Ô mon fils, je meurs de souffrance...)
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Notes :

Rian, s’absente…il fixe les eaux… : Rian est plongé dans une profonde méditation… Il est dans une « situation d’optique pure » Deleuze dit à ce propos : « …La situation d’optique c’est la 3° grande idée de Robbe-Grillet (…). dans le film ‘’Taxi Driver’’: le personnage est en ballade. En quoi est-il en situation d’optique pure? Bien sûr il est en situation sensori-motrice par rapport à sa voiture, il la conduit. Mais son attention comme flottante, il fantasme…(…). Le chauffeur est en situation sensori-motrice mais simultanément à cela, tout un bout de lui-même est en situation d’optique pure à savoir son attention traînante sur ce qui se passe sur le trottoir. (Il voit mais n’agit pas en fonction de ce qui s’y passe…) »
Dans ‘‘Miroir’’, Tarkovski filme deux enfants dans une maison. A un moment ils quittent le lieu pour aller voir un immeuble en feu, mais la caméra reste figée sur la table du salon. Rien ne se passe sinon le temps qui passe. » (D. Turcotte)

Ils ont réclamé sept clepsydres… : Le temps de parole était il y a deux mille ans (poète Martial) mesuré en utilisant l’écoulement de l’eau : « Tu as réclamé sept clepsydres, Cécilianus, et le juge à contrecœur te les a accordés ! pour étancher ton art oratoire et ta soif, nous te conjurons Cécilianus, de boire désormais directement l’horloge !

Vont-ils nous suivre… : Orientation du récit vers le futur Dans ce passé, le futur est déjà présent. (lire autres extraits)…

Nataloussia : Clin d’œil à Tarkovski. (Natalia sa femme et Maroussia sa compagne). Dans « Le miroir » il songe à l’une ( sa femme) et l’autre (sa mère), parfois il y a confusion entre elles = entre le passé (sa mère) le présent (sa femme) …

Uniforme sombre… : Clin d’œil à Dagerman qui, dans « printemps français… » relate l’attitude des Suédois envers les Danois."…Au Danemark, le Suédois rencontre une sorte de liberté et de naturel qu'il confond avec le désordre et il se met aussitôt à se méfier. … parce que dans ce pays, les contrôleurs ne boutonnent pas leur veste d'uniforme et utilisent des sifflets sur les quais…"

Pas à Leinster Street : James Joyce nomme un de ses personnages Ghazi Power
X : Ce que le mal veut, il l’exige ! Et qu’est-ce- que tu dirais maintenant si je voulais entendre ton nom, Ghazi Power…
Ghazi : Je n’ai pas peur de Franck Machinchose ni de la flamme du Gaz Power (note a) ni de l’ulcère et de l’Ulster non plus.
- Mon cul !
- Ta gueule !
- Voudrais-tu me répéter cela de l’extérieur, Leinster – Connaught – Munster ? (note b)… »

Note a : Franck Power, surnommé Ghazi. Le jeu de mot s’établit sur Power, la marque de whisky, le personnage de Franck Power, surnommé Ghazi, et la flamme du gaz de ville.
Note b : Les 4 provinces de l’Irlande : Ulster, rattachée à la G.B, et Leinster, Connaught et Munster, les 3 provinces forment la République Libre d’Irlande. Leinster street était aussi l’adresse de Nora, la femme de Joyce

Tahtahat Sidi Abderrahmane: village alentours de Ténès. A Ténès un mausolée est dédié au saint, géographe…. Sidi Abdelkader el Djilani qui y a résidé

Un trésor romain... : Jacques Heurgon écrit: " Trésor découvert autour « de tombes chrétiennes » dont l’une est « la tombe d’une jeune femme, Victoria, qui est dite ‘clarissima fémina’ de l’ordre sénatorial, la plus haute aristocratie romaine, qui est morte à 18 ans, 8 mois et 15 jours, le 29/12/425…le trésor comprend 19 objets dont 17 en or, 1 argent, 1 bronze; fibules en or, éléments de garnitures de ceinture, bracelets, étuis, une anse, une broche… »
Voyez braves gens---patrimoine commun éternel : Ténès, Tunis, Tiaret, Tlemcen, Taza, Tétouan, Téroudan sont selon Amsaïb des villes éternelles…

Sheshonq : Berbère d’Afrique du Nord, 950 av JC dont un aïeul fonda la 22° dynastie pharaonique. (peut être le Chichaq de la Bible).

Ô mon fils… je meurs de souffrance... : Complainte des Chaouias ( population originaire des massifs de l’est algérien) datant de la fin des années 1920.

dimanche, janvier 22, 2006

16- Le TAS : LE SQUARE

(Suite)

Elles dialoguent s'embrassent ou se nourrissent. Les deux fourmis empourprées sont face à face et de leurs antennes tambourinent indéfiniment. Derrière, quelques autres les imitent. Non loin se trouve probablement une fourmilière avec ses milliers d'exigences. Lorsqu'une première fourmi passe devant lui portant un brin d'herbe sans se soucier de l'environnement, le vieux monsieur qui tantôt lit tantôt jette un regard à terre ne se doute pas que quelques minutes plus tard se sont des dizaines d'autres bêtes qui passeront portant pour nombre d'entre elles un identique brin d'herbe. Les ouvrières sont de plus en plus nombreuses. Certaines se contentent de suivre à la même cadence celles qui les précèdent, d'autres transportent une tige, un reste de feuille sur la tête ou un débris quelconque. Toutes sont acharnées et suivent le même tracé au millimètre près. Partout un lien commun essentiel les unit, les guide : les phéromones qui donnent sens et stimulent cet étonnant remue-ménage collectif et silencieux. Nul bruissement. L'ensemble fait penser à un orchestre symphonique que la moindre fausse note déstabiliserait. Un orchestre silencieux.

Devant l'homme discret et la cohorte des insectes excités, des cascatelles abreuvent le ruisselet en eau parfumée. De part et d'autre, deux arbres, magnifiques centenaires, semblent observer depuis le début l'écoulement des eaux ; un arbre de Judée et un saule tortueux. Derrière le premier arbre on distingue le buste immobile de Léon Dierx prince des poètes. Le vieux monsieur sur le banc est toujours plongé dans la même page du livre que vraisemblablement il lit et relit. Une fois il posa le livre retourné et ouvert sur ses genoux. De la poche droite de sa veste il sortit de quoi écrire et un cahier. Il griffonna quelques signes et repris son livre. A ce moment un cri le fait se retourner : "Arrête !" Une jeune femme perturbée est penchée sur un enfant turbulent -est-ce le sien ?- L'enfant lui sourit. Il est en short et n'a pas froid. Elle lui prend la main : "Je te demande d'arrêter !" Une plaque à l'entrée des aires de jeux avertit : Les enfants sont placés sous la surveillance de leurs parents ou des personnes qui en ont la garde.
De l'autre côté du ruisselet, à l'ombre de la salicacée, depuis quelques heures un peintre s'agite faisant parfois basculer son chevalet. Il ne tient pas sur place. Le béret qu'il porte, mais aussi le pardessus et le reste sont trop grands pour sa frêle silhouette. Son corps est émacié. Il triture le pinceau collé sur la palette portée par son pouce gauche puis l'aplatit contre la toile. Il esquisse involontairement quelques pas de danse. A nouveau il plaque son pinceau contre les couleurs mêlées de sa palette puis contre son œuvre inachevée. Manifestement il se bat contre elle. Lui résistera-t-elle? De l'autre côté du fin cours d'eau le vieux monsieur, partagé entre lecture et méditation tourne enfin la troisième page lue. Non loin, l'enfant démoniaque s'accroupit. Il semble observer quelque minuscule grouillement d'insectes. Brusquement le peintre jette la palette et le pinceau et marmonne un juron.
A l'autre bout du grand jardin une dame accompagne un homme d'un âge avancé. Ils discutent et rient. Elle le regarde, elle est inquiète. Il l'embrasse tendrement sur le front. Le ciel est chargé mais il ne pleut pas. Deux gigantesques platanes d'Orient couvrent de leurs longs branchages une partie du plan d'eau. Trois pigeons frileux et immobiles y prennent refuge. Ils ne roucoulent pas. Sur les eaux claires et froides, leurs reflets sont impassibles. Une flopée de canetons joyeux s'agite. Ils glissent en se trémoussant derrière leur mère. D'autres couples déambulent, les yeux perdus vers les étoiles absentes, imaginées. Deux enfants tournent en criant autour d'une fontaine muette. Emporté par une idée fixe longuement réfléchie, le peintre plonge la main dans la poche de son manteau. Il en sort une sorte de cutter qu'il pose avec douceur en haut et à gauche de la toile. Juste dans l'angle. Puis d'un geste lent, très lent, il en fait glisser la lame jusqu'à l'extrémité opposée. Il semble savourer le crissement de la toile râpeuse sous la lame mais il grimace aussi comme s'il ressentait celle-ci dans sa propre chair. Il renouvelle ce mouvement sans se soucier de la curiosité des promeneurs. La toile se fend. Il ne se reconnaît pas dans sa peinture. Il ne s'y reconnaît plus. Ses doigts ont trahi ses desseins.

(Tout comme il avait tué le peintre, il tuerait l'œuvre du peintre et tout ce qu'elle signifiait. )

La mère et l'enfant -est-ce sa mère ?- ont pris place sur le banc vert maintenant libéré par le vieux lecteur parti en direction du couple naguère à l'autre bout du square. Ces âmes ne s'impressionnent jamais devant rien. L'enfant turbulent joue et crie. Non loin d'autres enfants plus sages se bousculent devant les toboggans les balançoires et les aires sablonneuses. L'enfant méchant est maître des lieux. Son accompagnatrice est noyée dans une revue. Elle n'entend rien, ne voit rien. L'enfant insupportable s'agenouille. Il observe le va et vient incessant des fourmis. Quelques-unes accélèrent la cadence mais ne se doutent de rien. L'une d'elles ralentit, ajuste sa brindille puis repart vers son destin. Elle non plus ne se doute de rien. L'enfant se relève, s'écarte d'un pas, se retourne à la recherche d'un objet qu'il ne trouve pas encore. Il se rapproche des fourmis et entame une danse macabre. Il trépigne de joie. Soudain il assène une série de coups de pieds aux insectes inoffensifs. Il est heureux. Il crie et rit. C'est le chaos. Il s'éloigne de quelques mètres et revient avec un bâtonnet qu'il écrase sur les fourmis, qu'il tourne et retourne comme on le ferait lâchement dans la plaie d'un ami trahi, à terre et désarmé. Il en jette quelques-unes dans le ruisseau puis d'autres et encore d'autres. Certaines ont senti la machination. Alors pour sauver ce qui reste de la fourmilière en amont, comme un seul homme, elles se dressent et prennent d'assaut le terrible enfant quoi qu'il leur en coûte. En quelques minutes elles sont plusieurs dizaines à parcourir ses jambes puis ses cuisses et même son short kaki dans tous les sens. L'enfant crie si fort que son accompagnatrice sursaute. Elle accourt à son secours, accrochée à sa revue. Elle se jette sur lui sans parvenir à le débarrasser de ses victimes annoncées. Elle le traîne puis le plonge entier dans le ruisseau. Il hurle, pleure sans discontinuer. Immobiles à proximité les autres enfants arrivés en hâte, alignent leur curiosité et leurs protestations platoniques. La femme extrait le gamin de l'eau froide et lui administre à l'aide de son magazine enroulé une correction dont il se souviendra longtemps. Les fourmis téméraires sont emportées par les eaux. Le gardien accourt à son tour pour réprimander la jeune femme et l'enfant. L'homme solitaire avait griffonné ces signes :
les cieux sont-ils meilleurs, de m'avoir mis au monde?
Mon départ rendra-t-il leur majesté plus grande?…

Bien avant de le voir passer là bas derrière le jardin, il avait entendu son sifflement assourdissant. Alors il se leva. Le train est déjà loin.

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Notes :

Le titre ; Le square : Cet espace qui s’ouvre (sans guillemets comme précédemment) est une parenthèse dans le récit du narrateur, une autre dimension du temps, impersonnel.

Léon Dierx : De l’école parnassienne autour de Leconte de Lisle (poésie impersonnelle)

Contre son œuvre inachevée…ses doigts ont trahi ses desseins.:
Dans Les Rougon Macquart/ L’Oeuvre Zola ‘‘peint’’ un peintre raté, Lentier (qui est Cézanne, son ami d’enfance : ils se brouillent définitivement à cause de cela. Lentier, dans le square des Batignolles lacéra une de ses toiles. Il finira par se suicider.

Il l'embrasse tendrement sur le front : Alec et sa fille. Ce moment, ce geste dans ce square des Batignolles se confondent avec un autre moment, un autre geste à Stockholm dans la place Stortorget

Ne s’impressionnent jamais de rien : Indifférence de la femme et l’enfant devant le malheur du peintre.
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(A suivre…)

mercredi, janvier 18, 2006

15- Le TAS: RUE DES MOINES, LE MATIN

(Suite)
Voici bientôt un mois que je suis immergé dans ce travail. Il me faut absolument le remettre avant le départ. Cela ne va pas être facile. Mon seul souci en ce moment est de pouvoir travailler dans le calme. Et cela est loin d'être le cas depuis quelques jours. C'est l'effervescence des semaines enflammées. Les magasins offrent moins d'espaces, les rayons se vident un peu plus vite car les enfants y sont plus nombreux. Les hommes et les femmes ont des mines neutres le matin, réjouies le soir. Car les jours passent, le temps presse. Les gens sont excités par les fêtes, par l'actualité, par les résolutions et vœux personnels à préparer pour l'année nouvelle qui elle, ne s'impatiente guère. Comme partout. Même si nous sommes dimanche -matin- je débranche les téléphones et reprends mon texte. Je les débranche toujours lorsque j’écris, même les dimanches. Où en étais-je ?

« Octobre 1929. 25 octobre. C’est la date qui figure sur la première page du manuscrit. Le jeune employé de nuit s’inventa une table de fortune en renversant une brouette égarée. Il fit parler la femme longtemps silencieuse jusque là. J’ai appris que les mots ne servent à rien… j’ai compris que le mot maternité avait été inventé par quelqu’un qui avait besoin d’un mot pour ça, parce que ceux qui ont une maternité ne se soucient pas qu’il y ait un mot ou non. Son écriture est un spectacle surpeuplé de personnages, de marionnettes, d'objets. Un spectacle tourbillonnant, exaltant auquel il nous convie à participer. Un spectacle qui secoue notre imagination comme les danseurs Kachinas ensorcellent les esprits. Nous sommes incités à relire autrement, à résoudre des énigmes, à collecter les indices semés tout le long d'un parcours incertain. Puis soudain lorsque après mille efforts nous démontons un à un les pièges et embuscades, nous découvrons au fin fond des mots, une fresque illuminée. Un monde à la lisière des mots. Un monde d'incertitudes. Un monde de vies. »

J'en suis là. Je ne saurai dire le nombre de fois que j'ai repris ce texte. Il ne me paraît pas achevé. Et puis la brouette qui servit de bureau à l'auteur, quelle plaisanterie ! Une farce supplémentaire et tout le monde y crut. Tout le monde y croit. Faut-il jouer le jeu? De toutes les façons, les chefs et les red-chefs ne sont jamais contents. Je commence à les connaître. Se sont des gamins gâteux fils de leur père. En général. Ils veulent -eux aussi- guérir. Nous guérir de notre incompétence. "On a la loi pour nous osent-ils. La loi de la connaissance et de la suffisance ! L'écriture n'est pas un état d'âme !" Je suis persuadé que ce ne sont là que balivernes et présomptions dans lesquelles s'embusquent des quantités de ventes et des points morts. Mais pas Joëlle, ah non, non pas Joëlle ! Je ne me permettrai pas. Non. Joëlle avec quelques rares autres est véritablement désintéressée. Elle est saine. Ses pieds sont noirs mais le cœur est sur la main. J'évacue cette pensée indélicate.

(Joëlle a quitté son pays comme des milliers de gens trompés par des boutefeux. Comme nous ils furent nombreux à être abusés, trahis. On n'est jamais trahis que par les siens. Ils émigrèrent. Nous aussi nous fûmes trahis. Moussa devint blanc puisque Bonnet se disait Hadj. Joëlle quitta sa terre donc. A dix ans. Elle vint comme je vins aussi quelques années plus tard. Un jour alors que je faisais mes courses dans un méga centre commercial du grand-est de la région parisienne, à l'espace librairie je me surpris à lire des pages noires, d'un livre noir, d'un pied-noir, sur le calvaire des uns mais rien sur les autres. (Mon témoignage sur les massacres de 1962 à Oran). On ne pouvait y lire que des pages sur le martyre des uns mais pas un traître paragraphe sur le Golgotha des autres. Je reconnus parmi les noms de la longue liste des disparus en juin 1962 à Oran entre la sebkha de Ptélac et Tirigou -encore une fois, que tous les pardons soient sur nous- celui qui a mis dans ma bouche hésitante l'alpha et l'oméga; celui qui m'en donna goût -certes modérément- Gaston Favre. Il nous emmenait des journées entières à l'est de la ville, derrière Monto-cinqo, au bout de la rue du docteur Strauss, au bas des falaises de notre quartier. Un de ses parents possédait un cabanon à Cova lawwa, à l'écart, perdu entre eaux roseaux et toutes sortes de plantes déferlantes. Ses proches, familiarisés aux sonorités bigarrées comme aux choses sérieuses, prononçaient Cueva d'el-agua, en surfant sur la dernière syllabe. Ces jours là étaient toujours -je le prévoyais, je l'appréhendais- plus courts que tous les autres. Nos jeux étaient invariablement suspendus. Bien sûr. Cerceaux et marelles pour elles : Lydia, Taos, Joëlle, Fatna, Marguerite ; pitchacs et platicos pour nous : Bernard, Larbi, Sadek, Camille, et moi. Colin-maillard pour tous : sans oublier Moustic, Tchitchica, Lamonico , et gare à ceux qui s'égarent ! "Gaston Favre, maître d'école : disparu". Ma langue sécha dans un voile d'amertume de tristesse et d'incompréhension renouvelées. Je fis part à l'éditeur de mes interrogations et souhaits sincères. Quelques semaines passèrent lorsque je reçu une lettre de Joëlle. Les ruisseaux les fleuves et la vie charrient beaucoup d'eau lourde de larmes de haine de tristesse et d'interrogations. Ils charrient aussi beaucoup de joie. Joëlle, Joëlle Favre sa fille unique me contacta ! Un courrier, quelques coups de fils, enfin la rencontre. Depuis les retrouvailles nous ne nous quittons plus. Plus tard elle me raconta dans le détail sa seconde vie : le grand padré qui rejoint sa compagne au Ciel la même année, ses études littéraires… Le reste de la famille s'est installé à Calvi. Elle précisa : face à la mer et à la citadelle, rue Belkhayr.

Joëlle est saine. Alors, évidemment lorsqu'elle apprit que j'étais sans emploi elle me tendit immédiatement la perche. J'étais moins enthousiaste qu'elle. Renouveler la tentative d'écriture fut pour moi un cap difficile à surmonter depuis une malheureuse expérience dans une revue vite oubliée. Joëlle insista. Un jour elle m'invita au Colibri, le bar du rez-de-chaussée de l'immeuble qui abrite le périodique. Nous bavardâmes autour d'un verre. Les choses devinrent sérieuses au quatrième étage. En entrant dans la salle de rédaction elle me présenta à ses collègues puis une fois dans son bureau elle me dit, Razi écoute ; si d'une part tu ne fais pas grand chose comme tu me l'as répété et si d'autre part tu as produit des papiers, tu pourrais aussi en faire pour moi. Elle ne m'appelle que Razi.

- Trois articles, voilà ce qqq que j’ai fait. Je n'aime pas jouer avec les mots. Ca… ne sort pas

Je lui dis en travestissant un peu ma réalité, que les mots m'angoissent ; que leur impudence me jette dans des chemins escarpés où je n'ai de choix que celui de la perdition. Je lui dis aussi que la précédente tentative fut un échec indigeste. Elle insista pour que je m’essaie à nouveau.

- Zen khouya, zen ! Essaie Razi, essaie, tu verras. Je ne te demande pas de dire mais d'écrire. Tu as déjà écrit. Alors tu écriras !

- J'ai écrit, j'ai écrit, oui… comme cela. Pour le besoin, par nécessité alimentaire. Quelques articles sur des moteurs, des entrevues de croque-morts…

- Oui mais là Razi, c'est quand même un domaine sympa non? Et puis tu peux en faire pour longtemps ta profession. Tu es libre de toute façon. Mais sache que tu as mon soutien.

- Oui je suis libre, et peut-être même zen comme tu dis.)

Voilà ce que je lui répondis en éclatant de rire. Mon aventure chez Lectura débuta donc par cet éclat de rire puis par un article à l'occasion du centenaire de la naissance de William Faulkner organisé -ce qui me parut saugrenu- au Palais du Luxembourg sous le haut patronage du président….

(La salle Médicis du Sénat entièrement transformée est un beau bijou dissimulé dans les sous-sols de l'édifice. Un magnifique temple. Il était quinze heures. La très officielle institution s'offrait au génie. Nous étions très nombreux. Il y avait parmi nous plusieurs personnalités. Beaucoup d’américains, d'écrivains, d'admirateurs célèbres. Il y avait aussi l’ambassadeur et le premier des maires du Mississipi. La first-lady du même Etat était dans tous ses éclats . Foudroyante de beauté et d'élégance dans une grande et flamboyante robe aux ampleurs circonstancielles et raides. Après quelques interventions nous eûmes droit à de longues minutes arrosées qui prennent leur aise. Champagne et whiskey -J.D, Old Tennessee- à volonté évidemment. Chacun se désaltéra selon son goût sans chauvinisme. Quelques-uns ne se relevèrent pas. Je pris sans offenser quiconque un kir royal et voyant l'homme avancer -que je souhaitai pour la circonstance, rencontrer- je pensai, tiens, lui c'est le moment de lui tirer un mot. C'était Glissant. Il se délassait seul, traîné par ses lourdes chaussures démesurées vers une semelle de la colonne jaspée, derrière le buffet pris d'assaut. Il s’approcha de la buvette. Bonjour monsieur Glissant fis-je en lui tendant la main ; Alec de Lectura. Bonjour répondit-il de ses hauteurs discrètes et avenantes, le corps en arqué. Il se dit ravi par cette journée et me demanda si j'étais nouveau. L'atmosphère détendue s'y prêtant je me permis quelques digressions hasardeuses sur le cinéma et le cinquantenaire de Cannes. Je ne le savais pas cinéphile. Il fit l’éloge de Bergman qui reçût cette année là la palme des palmes d'or mais regretta que le Suédois ne pût se déplacer. Il était content qu'on songeât à couronner l'œuvre de Bergman bien que tardivement. "Il n'est jamais trop tard monsieur".
Le retour à Médicis fut bruyant et désordonné. L'hommage épousa le climat ambiant. Plusieurs écrivains saluèrent par de longues interventions l'homme du Sud comme Glissant qui fut le plus sincère. Le plus ému. D'autres, éméchés, s'excusèrent du fond de leur siège. Bientôt les ronflements de l'un d'eux, plongé dans des expéditions oniriques, suscitèrent des rires gênés. Plus tard lorsque nos stylos déversèrent suffisamment d'encre sur nos feuilles blanches on nous pria de nous diriger vers ce qui fut l'entrée du 26 de la rue Servandoni. Elle se trouve à vingt mètres de l’entrée du Sénat. Je dus accélérer le pas. Lorsque j'arrivai, fichue montre, le maire d’Oxford chuchotait des mots sous les crépitements des flashs à l’adresse des spectateurs qui venaient pour la plupart du Sud cher à l'écrivain : "Here, surely lived poorly on the top floor young Falkner". Quelques badauds se mêlèrent au groupe.

- Servandoni lui-même, l’architecte, résida à la fin de sa vie dans cette rue, à "l’autre bout" dit Phil à la foule, raide comme un fil à plomb. La foule interloquée ne lui en tint pas rigueur. Nous entendîmes seulement une voix qui se voulait peu cordiale : Qui est-ce?. Phil fit le sourd. Le 26 n’existe plus mais le bâtiment où logea l’écrivain, si. Une bâtisse peu convaincante. Petite et quelconque.
Il habita probablement sous les toits, près du ciel répétait le maire de Jackson plus côté et plus écouté que celui d’Oxford en dévoilant la plaque. Son nez suivit son regard rivé sur les nuages :


ICI A VECU
A L'AUTOMNE 1925
WILLIAM FAULKNER
1897 – 1962
ECRIVAIN AMERICAIN
PRIX NOBEL DE LITTERATURE 1949



Il ajouta : En 1925 à quelques enjambées d’ici, euphorique le jeune William écrit, je le cite : Une si belle chose que je suis sur le point d’éclater. Deux mille mots sur les jardins du Luxembourg et la mort."
Nous partîmes ensuite à la suite des maires et des autres, humer les allées fleuries des jardins anglais puis français débordant de couleurs. Les joueurs de boules et les tricoteuses ont depuis longtemps disparu
Devant le bassin nous fîmes une halte. Un homme assis sur son muret lisait. Je le regardais et je le voyais qui gesticulait comme un personnage de monsieur Lebourg dans un café maure des environs d'Alger, ou devant le même bassin prêt à glisser dans les eaux noyées de poissons rouges et de carpes ou bien prêt à bondir, insoumis au pinceau et à l'habileté du peintre. L'homme portait un béret vert. Des enfants couraient autour de la pièce d'eau. L'homme cessa de lire pour nous regarder. Il semblait un instant tenté de saisir au vol des bribes de conversation puis se leva et cria à l'endroit d'un grand brun du groupe.

- Vous, je vous connais !

Le grand brun le toisa de haut en bas, plus intrigué que hautain, ce qui rendit le lecteur au béret, vert. Il hurla : "Moi Malmoth et mes semblables avons à peine droit à l'air et au soleil" Il s'étrangla, toussa. Il respira bruyamment puis : "Nous ne sommes pas les bienvenus."

Apparemment il perdit le fil de ses idées mais résista. Ses yeux suppliaient notre aide : "Revoir les lueurs de la lune ne nous est pas permis !" Il hésita, feuilleta un instant le livre, s’arrêta sur une page puis le posa sur sa poitrine. L'index gauche coincé à l’intérieur du livre se figea, enfermé entre voyelles consonnes et autres caractères. Trois autres de ses doigts dissimulaient une partie du plat, mais pas entièrement. Je lus ce début de titre ou de nom : Sha, et plus bas : Ham. Il reprit : "Non ! Nous ne rendons pas la nuit hideuse !" Puis, religieusement il replongea dans son livre, froissé. L’Américain balbutia : "I’m sorry". Le groupe poursuivit sa visite en contournant des badauds perdus et méfiants. Quelques-uns crachèrent, d'autres firent mine de fixer les ondulations provoquées par un souffle léger sur lesquelles voguaient des mini-galères de terribles gamins emportés par leurs rêves innocents sans escales jusqu'à l'heure imposée du goûter. Quelques jours plus tard je commettais mon premier papier pour Lectura : "Le magicien de Yoknapatawpha". Lorsque je découvris mon texte, bien que revu corrigé remodelé coupé en pièces, j'étais heureux. Ecrire dans cette revue n'est quand même pas rien. Ecrire n'est quand même pas rien. Grisé par la lecture de mon propre nom, l’envie me prenait de demander au vendeur de chaque kiosque : "avez-vous le dernier Lectura ?" puis : "qu'en pensez-vous?" ou encore : "avez-vous lu l’article : Le magicien de Yoknapatawpha?". Parfois je glissais "Yoknatahualpa". Je suivais et épiais des lecteurs pas loin des bureaux de notre revue, le long de la rue madame de Staël ou Allais. Les jours suivants je répétai la scène le long des avenues de Clichy et de saint Ouen dans mon quartier. La fièvre commença à tomber vers le douzième article. Quelques années se sont écoulées depuis et mon écriture au terme de longs efforts se fait plus confiante. Il m'est plus difficile de dire que d'écrire, merci Joëlle).
Mais là je n'en peux plus. Le texte me paraît imparfait et mon esprit refuse ce matin de s'y consacrer davantage. Il est ailleurs. Il est amarré sur les berges de Farsta en Suède que j'aperçois au travers de cette lettre épinglée devant moi que je lis et relis.
Par train Farsta n'est qu'à quelques heures de Paris. L'endurance est une qualité que l'on apprécie beaucoup lorsqu'elle est portée par autrui. Ces temps-ci je ne suis pas patient. Je ne peux pas l'être. Nous sommes le trois. Dimanche trois. Mon texte n'a pas évolué. Joëlle sera indulgente. Que puis-je faire lorsque ma réalité de ce matin est prise au piège de celle de ma mémoire? Le présent est-il ancré dans cette journée qui s'annonce ou bien dans les fantaisies ravivées ou bien encore chez Housia que j'entends rire et que je n'ai jamais vue? Chez Housia et Katarina réunies. Je tressaille. Nous étions emportés l’un et l’autre. L’un contre l’autre, corps unique dans un tourbillon de mots de gazouillis de couleurs de paysages et de parfums ; de bonheur et de silence. D'émotions.
Lorsque j'ouvre les volets de la porte-fenêtre de la pièce je suis agressé par un ciel encombré. Les bruits du quartier s'invitent aussitôt dans la salle. Il est déjà dix heures et trente minutes. J'éteins la lumière. Je connecte les téléphones, ajuste la ceinture du pantalon, chausse les tennis du dimanche sur lesquelles, aidé des lacets je figure deux pétales de fleurs de pervenche d'inégale élégance et sors. Demain je reprendrai mon texte. Je m'engage dans la rue des Moines jusqu'à son autre extrémité. A hauteur du square je suis happé par l'entrée. Je descends l'allée principale pour m'installer sur un banc. A quelques pas de là un enfant qui s'ennuie me plante dans les yeux un regard peu amène .»
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Notes :

Les danseurs Kachinas…: E.T. Hall écrit « …L'année hopi est divisée en 2 moitiés séparée par les solstices. Les Kachinas, personnages masqués sont en quelque sorte des dieux ou des esprits de la nature, ou même l'incarnation de thèmes dominants de la vie des Hopi [indiens]. Ils vivent avec les gens pendant une moitié de l'année, et passent les 6 autres mois chez eux dans les montagnes de San Francisco. Tout le monde est initié au culte kachina et participe aux cérémonies kachinas »

Zen khouya, zen : Pour les adeptes du Zen, les mots sont maudits car ils déforment.

Servandoni (G.N) : Architecte Franco-Italien (1695-1766), il résida dans la rue même qui porte son nom.

Les joueurs de boule et les tricoteuses ont disparu.. : Clin d’œil à « sanctuaire » de WF. Il y écrit ceci : ‘‘Au jardin du Luxembourg, où passait temple et son père, les femmes étaient assises à tricoter un châle sur les épaules ; même les hommes qui jouaient au croquet portaient capes ou manteaux et, dans la morne pénombre des marronniers, le claquement des boules qui s’entrechoquaient et les cris d’enfants fusant ça et là disaient la vaillance, l’évanescence, la détresse de l’automne…’’

Un personnage de monsieur Lebourg : (Albert Charles ; 1849-1928) : Il a peint le Sénat avec en premier plan le bassin du jardin du Luxembourg = « Palais et dépendances ». …« A Alger il exécute ses ‘’séries de paysages…’’, ‘’amirauté’’, ‘’café maure’’… » cette dernière est exposée au musée d’Oran.

Sha, et plus bas : Ham : L’auteur et la pièce, Hamlet.

Moi Malmoth…pas permis ! : Le lecteur/historien d’O Wilde, l’homme au jardin du Luxembourg, fait ici une confusion entre 2 textes:
a- Celui d’O Wilde: « Les pauvres sont plus sages, plus charitables, plus généreux, plus sensibles que nous ne le sommes. A leurs yeux la prison est une tragédie dans la vie d’un homme, un malheur, un accident, quelque chose qui requiert la sympathie d’autrui. Ils parlent de quelqu’un qui est en prison simplement comme de quelqu’un qui a « des ennuis ». C’est l’expression qu’ils emploient constamment, et cette expression renferme la parfaite sagesse de l’amour. Avec les gens de notre rang, les choses sont différentes. Chez nous la prison crée des parias. Moi et mes semblables avons à peine droit à l’air et au soleil. Notre présence pollue les plaisirs des autres. Quand nous réapparaissons, nous ne sommes pas les bienvenus. Revoir les lueurs de la lune ne nous est pas permis (Hamlet emploie cette formule lorsque lui apparaît le fantôme de son père (I-IV-V-53)]) ». [extrait de « De Profundis »
b- Celui de « Hamlet » de Shakespeare, texte original et version française par A. Lorant « Entre le Spectre: Horacio : Regardez, monsieur, il vient / Hamlet : Anges et ministres de la grâce (…) pourquoi le sépulcre, où nous t’avons vu enseveli en paix ouvrit, pour te rejeter ici bas, ses pesantes mâchoires de marbre ! Que signifie ceci? Pourquoi, toi, corps mort, à nouveau en complète armure, reviens-tu voir ainsi la lueur scintillante de la lune, rendant la nuit hideuse, et nous dupes de la nature, nous ébranler si affreusement dans notre disposition mentale par des pensées hors de la portée de nos âmes? Dis, pourquoi cela? Dans quel dessein? Et pour toi, que devons-nous faire? »

A propos de l’atmosphère du Jardin du Luxembourg et de l’intérêt de celui-ci auprès d’écrivains (dont W. Faulkner, lire plus haut) : N.Sarraute écrit dans « Enfance » : « Passé les grilles du Grand Luxembourg…Je ne sais pas lire sur la grande horloge pour savoir si c’est l’heure du goûter, mais j’observe les autres enfants… ». Elle écrit dans « Le Planétarium » : « Gisèle se souvient de son enfance auprès de sa mère dans le jardin du Luxembourg… »


Madame de Stael ou Allais… : « …Dans la même rue Royale le Weber fut dans les années 1900-1905 le rendez-vous des écrivains fortunés…[Proust le fréquente] (…) Au 06 de la rue Royale demeura madame de Staël…au 24, Alphonse Allais (…) l’enfance de Proust se passa autour de la Madeleine…et chez ses parents au 09 boulevard Malesherbes, au fond de la cour intérieure au 1° étage…les fenêtres donnent dans la rue de Surenne… » , La littérature à Paris, J-P. Clébert.
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(A suivre...)

dimanche, janvier 15, 2006

14- Le TAS

(Suite)

J'emprunte la rue Saint-Martin puis la rue Turbigo. Il n’est que douze heures trente. Devant le lycée Turgot, des élèves en fin de cycle, excités par la présence d'adultes et par la pluie, braillent des histoires triviales apprises dans la cour lors de la dernière récréation. Bien que j'aie le temps j'accélère le pas. Il pleut. Aux magasins Tati, comme toujours, il y a affluence et beaucoup d'eau dégoutte des parapluies multicolores qui, sur les trottoirs se frôlent, parfois se cognent. Je n’ai pas de parapluie. Je m'écarte un moment de mon itinéraire pour entrer dans le bar-tabac du sombre insalubre passage Vendôme à quelques pas des magasins populaires. J’achète un timbre-poste une cartouche de cigarettes, plusieurs revues et journaux. J’inscris sur l’enveloppe que je tire du sac à dos l’adresse de destination : Madame Joëlle Favre, Lectura 8 place de la Madeleine 75008 Paris. Je ne la posterai qu'au dernier moment. Je l'enfouis dans le sac puis je reviens vers la rue du Temple et traverse la place de la République en diagonale. Je ne suis pourtant pas pressé. J'entame la remontée du boulevard de Magenta sous le déluge. Quel temps pourri. Heureusement que les saisons se succèdent. Pourquoi heureusement? Je n'en sais rien. A Paris elles s'enchaînent sans se confondre. L'hiver il neige et il pleut abondamment, jamais l'été ou rarement. En automne notamment en Octobre, les feuilles se ramassent à la pelle naturellement.

(Je pense "sans se confondre" car je me souviens d'un temps lointain où je trouvais nos saisons haïssables dans leur uniformité écrasante sous un soleil invariant. Torride. Le temps semblait figé devant l'horreur. Les thermomètres made-in-China étaient bloqués. Nous n'avions le choix qu'entre deux modèles aussi désuets que mal formés. Nous lisions dans les journaux entre deux lieux communs : "Ciel bleu éclatant de pureté. Températures : trente et un degrés sur les côtes, quarante-cinq à Bidon V. Mer calme couleur turquoise. Pas de vent." Et cetera. Quels que soient les journaux ou les saisons nous y lisions les mêmes rengaines comme des leitmotive sans qu'il ne vînt jamais à l'esprit des journalistes l'idée de demander leur avis -une seule fois- au ciel à la mer au vent au temps. Sans qu'il ne leur vînt jamais à l'esprit l'idée de regarder les éléments dans les yeux.

Certains quotidiens nous promettaient tous les jours grâce à l'horoscope, un avenir radieux. "Mais mon cher ami l'horoscope symbolise l'ouverture sur le monde, sur le Cosmos3 ironisaient sous cape des opposants politiques. Une ouverture trouble peignée d'une encre fangeuse. Les quotidiens politiques étaient les plus prolixes, combattants-zélés, tous les jours invariablement, plus royalistes que le roi. De leur sanguine ils adressaient entre les lignes des mises en garde ou des missions. Plus tard, de nombreuses années plus tard on procéda à un recyclage concomitant du papier du matériel du calame et des journalistes, qui vieillirent, se remarièrent et eurent beaucoup d'avantages en nature. Ils devinrent alors les plus ardents défenseurs des libertés surveillées C'était le temps immuable de mon adolescence, celui du silence. Nous vivions sans précipitation, point pour économiser quoi que ce fut, non. C’était ainsi. Lorsque quelqu’un parlait nous lui tendions le cou et aussi l’oreille. Car la voix était toujours basse. Nous avions toujours peur de déranger. Nous avions toujours peur. Avant de parler ou d’écouter nous retenions notre respiration et comptions jusqu'à sept. Nous étions sommés de réprimer, de refouler tout sentiment pensée émotion conviction ou parole obliques, sous peine de.

Besoin de survie. J'avais mal à mon être d'adulte précoce dans un monde lâche. Les Grands Frères -que nous désignions ainsi par commodité : LGF- cognaient sur tous ceux qui ne respectaient pas leurs horaires, leur calendrier. Ils nous poussèrent en dehors de nos espaces de nos terres de nos limites de nos êtres. Exils. Ils nous ont contraints l'apprentissage de leurs formules affûtées comme des yatagans. 1984 n'était plus un horizon. Un jour l'acrimonie déborda du vase de ma haine rentrée et se répandit sur le limon de mes pensées. Peu de temps après je décrétai à la suite d'autres qui me guidèrent, que les formules imposées par LGF, ressassées à l'excès -elles fardaient mal la tyrannie- se valaient. Alors, petit à petit de plus en plus, nous nous sommes mis à détester ces vigiles de la pensée ainsi que leurs mots constrictifs. Progressivement nous bannîmes quelques-unes de leurs expressions puis d'autres mots, puis au bout du compte tous les mots d'alors. Nous grandîmes dans une telle atmosphère de haine de soi qu'un jour je suppliai mes amis et les autres de m'appeler autrement. Un ami que j'avais mis dans la confidence me dit sur un ton ironique, c'est cela c'est cela. Je le pris au mot. Je lui pris son mot à rebrousse-poil, j'inversai son mot et lui dis : "Je suis hors de moi. Dorénavant mon nom est Alec. Razi ne répondra plus". C'est ce que je lui dis. C'est durant cette période noire, encerclée barbelée vigilée que je perdis la joie somme toute naturelle de dire la vie. Acculé, je me suis métamorphosé et muré dans le silence verbal comme le fit en son temps Lucius à Talassa. -La fable ancestrale raconte-t-elle la vie d'un homme modifié en âne ou bien celle d'un âne transformé? -. Après une mûre réflexion je décidai néanmoins de ne pas demeurer entièrement muet. Il n'y eut pas de dilemme. Il me fallait changer, devenir tacticien. J'entrepris d'échanger autrement qu'avec des paroles: Le regard, le geste le corps furent mis en branle. Je me suis mis à marcher. A faire le tour de notre quartier puis celui de deux autres, puis trois et plus. Comme ça. Pour le sport et la sueur. Pour marcher. Seul. Tous les jours. Pour ne rien avoir à dire : Gambita, Miramar, L'bled, Satatouane, Sananès ; les misérables Tirigou et L'hamri puis Bilair. Et que tous les pardons soient sur nous. Ce n'était pas comme un diurne Paris-Mantes dont les objectifs sont officiels et clairs, une course populaire et joyeuse non ! Mais enfin… La même boucle renouvelée. Une mise en mouvement circulaire que Les Grands Frères nous imposaient au détriment du bon sens et des lois universelles ! Seul. Du point de départ à mi-parcours je marchais normalement, comme tout un chacun. Puis j'accélérais l'allure. Par moments elle s'emballait et m'emportait à ses côtés, par d'autres je trichais -je courais. De temps à autre des passants qui finirent par me repérer me saluaient lorsque je les croisais. "Yaatik-essaha khouya", bravo mon frère ! Ils m'enviaient probablement mais le vocable "frère" fortement compromis, m'indisposait, m'irritait, me vexait même. D'autres gens, ceux-là en uniforme exigeaient systématiquement que je change de trottoir. Lorsque j'arrivais au zoo je m'arrêtais un temps. Ses occupants m'attendrissaient, nous avions des rancunes communes envers nos gardes-chiourmes. Ils me comprenaient. La place de nos responsables se trouve ici. "ICI" pensais-je fortement face aux yeux noirs, tendus des singes affamés. Je pouvais penser tout ce qui me passait par la tête, ils souriaient. Pas bêtes les singes ! Nous sommes loin du paradoxe d'ailleurs ! Ces primates, eux, ne mettent pas instinctivement et gratuitement des bâtons dans une fourmilière ! Nos dirigeants oui. Voilà ce que je pensais et ça j'aimais bien qu'ils le comprissent. Parfois je leur chuchotais des certitudes toutes molles -exceptionnellement en effet je prononçais quelques mots, quelques sons parce que, eux. Ils tendaient l'oreille la main et les bras, souriaient puis épluchaient mes offres mais ils ne répondaient pas, ne répétaient pas. Ils souriaient. Et ils souriaient ! Le moment venu nous nous quittions sur des clins d'œil complices. A hauteur de la prison, plus exactement entre la prison et le grand cimetière chrétien je faisais mon choix : tricher jusqu'à la maison où enfin, dans ma certitude relative protégée, je laissais libre cours au torrent quotidien de signes, jusque là réprimés. Il me fallait me délester de toutes les horreurs du jour. Car j'appris aussi à coucher des signes. Ils se déversaient alors, ils inondaient les pages de mon cahier à spirale case après case -marge incluse - ligne après ligne page après page jusqu'au bout de la nuit. Jusqu'au bout de mes doigts endoloris. Nul n'en savait rien. Intime. Mon cahier hébergeait mon espace et mon temps, mon temps intérieur propre. Je construisais ma vie d'homme terrorisé par un quotidien noir, autour de mon cahier oasis comme d'autres bâtissent des villages autour des bains-maures ou des lieux de culte. Mais cela est une autre histoire et ce n'était pas Paris. Nous sommes marqués à vie.)

Les saisons s'imposent les unes aux autres et à nous aussi. Mais nous nous y habituons. Forcément. Nous nous habituons à tout. Je pense cela mais encore une fois, en définitive je n'en sais rien. Je ne suis ni voyant ni médecin. Eux savent, pérorent-ils infatués. Et moi je suis trempé sur le boulevard De Magenta, mais pas encore défait.
Est-ce le sac à dos mouillé qui me pèse ou le temps? Une sensation empreinte à la fois de joie et d’inquiétude m'habite progressivement. Je tente un raccourci par le quai de Valmy, le square des Lauriers, puis celui de Verdun. Enfin par la rue de l'Yeuse et la gare de l'Est Je traverse le hall soumis à toutes sortes de courants d'air de temps et de franciliens, d'un pas alerte puis je franchis trois à trois les marches de l'escalier de la rue d’Alsace. Lorsque j'atteins le bout de la voie, la gare du Nord apparaît. J'ai soudain l'impression -par la simple présence de cette gare- que la distance entre Paris et Farsta s'effrite, là devant mes yeux. Par contre le raccourci que j'ai tenté vers la gare n'était qu'une idée. Ce fut plus long mais il est vrai que je fis de belles découvertes. Je longe la grande et moderne verrière. Aujourd'hui elle n'est pas baignée de soleil. Somptueuse et vigilante gare, opulente et altière ! Enracinée dans son histoire passée et à venir, elle est en permanence prête à toute éventualité mais s'offre avec grâce à ses fidèles comme les églises et-cetera aux leurs. Je les trouve un peu gonflées les statues surmontant le haut de la façade. Raides et triomphantes comme le regard hautain de Mercure, elles dominent leurs semblables du bas, moins enchanteresses mais plus nombreuses : Beauvais, Laon, Arras, saint Quentin… Peut-être aussi moins enivrantes mais tout aussi éternelles hôtesses. Accrochée à la baie centrale entre deux hauts trumeaux, la grande horloge fait grise mine et ne sait plus où donner de la tête à force d'affronter les regards inquisiteurs, timides ou méchants. Elle voudrait bien épouser les mille et une harmonies tellement personnelles tellement intimes de cette agitation mais ne réussit pas. Voilà pourquoi les voyageurs et les amoureux sont si souvent en avance ou en retard. Des dizaines de voitures particulières, des bus et des taxis cadencés comme des files indiennes, répandent leurs passagers souvent empêtrés dans leurs valises cabas sacs à dos et à main et dans leurs châteaux en Espagne. A l’intérieur, comme dans un forum romain on s'affaire. Des hommes et des femmes traversent le hall des pas perdus et des rêves extravagants dans tous les sens. Quelques enfants aussi. Ils entrent. Ils sortent. Personne ne me prête attention. Des mains et des cœurs s’agitent. Mille fois on s’embrasse. Nonchalance et agitation, angoisse et exaltation s'entremêlent dans une permanence insatisfaite au gré du temps selon les situations. Des visages aux sourires tristes ou joyeux teintés de larmes sur la commissure des lèvres, apparaissent puis s'évanouissent aussitôt. Je cherche mon ami Rian. Il s'est proposé pour récupérer les billets. Je n'ose penser un instant qu'il n'y est pas. Au bas de l’escalier roulant, face à la voie cinq, trois hommes titubent. Vermoulus ils semblent se connaître puisqu'ils se chamaillent avec détachement. Lequel des trois réussira à vendre son service à l'élégante et digne vieille dame probablement anglaise, enveloppée dans un tailleur vermillon qui lui donne cet air guindé qu'ont parfois certaines personnes dans des situations imprévues ou dans des territoires inconnus, sur le point de perdre la face. L'élégante et digne dame pousse un chariot épuisé, pressée de rejoindre l'Eurostar. Deux des trois hommes réussissent à prendre une valise chacun. Le troisième, d’une main, la libère de l’engin dont il récupèrera la pièce de monnaie, lorsqu’il le rendra au parc à caddies ; de l’autre s’empare du grand sac qu'il jette sur son épaule. Son corps vacille sur ses jambes un moment. Il se ressaisit puis réajuste le tout pour mieux glisser sur l'escalier. Agrippés à la main courante frétillante les deux premiers arrivent lamentablement en haut de l'escalier automatique. Ils se traînent jusqu'aux guichets de la police internationale. Le troisième plonge son regard sur le chariot qu'il a temporairement abandonné. La vieille anglaise en rouge les a rejoint timidement. Ravie de se retrouver devant les bureaux de la PAF elle ne prend le temps ni de manifester son inquiétude ni celui de dire un mot de trop. Son visage vire au rouge du fait de sa situation. Elle tend au premier, deux doigts de sa main gauche au bout desquels pend une pièce qui disparaît aussitôt. Elle recommence deux fois de suite la même scène avec des pièces identiques. Assurément. Elle referme son ridicule porte-monnaie et remercie les trois hommes mécaniquement. La vieille dame sauve la face mais son visage ne se décolore pas. La réponse des hommes qui implorent plutôt la générosité à son large sourire charitable mécanique et apaisé, est malgré tout plus franche. Ils détalent plus vite qu’ils sont montés. Le troisième homme récupère le caddy resté au bas de l'escalier. Il ne l'a pas quitté des yeux. Il le pousse vers l'extérieur de la gare. Il ira le ranger dans le parc approprié pour en délivrer la pièce piégée. La vieille anglaise a disparu. La pendule indique treize heures dix mais les panneaux d'affichage électroniques des départs pour le grand Nord sont encore muets. Il y a peu de monde devant la voie huit. Je jette un œil aux cabines téléphoniques et saute sur le premier combiné libéré. Moite. Je compose le numéro de Joëlle. Nous nous sommes entendus. "...laissez-moi un message, je vous rappellerai..." répète-t-elle à qui veut bien l’entendre. Je l’informe et m’excuse pour les dernières retouches bâclées. Je lui demande de revoir l’ensemble car je ne suis pas tout à fait dans un jour habituel. Elle le sait. "Peux-tu s'il te plaît ddd délier l'écheveau, il y a en fin de texte une confusion entre le narrateur et l'auteur. Vérifie l'ensemble. Je compte sur toi. Je saute dans le train dans quelques minutes. Merci. Mille bbb bises. Ciao ciao."
Je poste le texte tel quel, à quelques mètres de là. Rian est assis à une table de la brasserie l'Alizé. C'est la première me dit-il, visiblement heureux de me voir. Je ne le crois pas. Son sourire instable posé sur deux lèvres agitées par un léger frémissement en dit long sur son attente angoissée et sur les demis ingérés. Il n'est de surcroît, pas mouillé.
- Tu as l'air trempé !
- C'est la bérézina oui !
-Arrête !
-Va traverser Magenta et Valmy tu verras !
- Bravo bravo fit-il c'est très courageux !

Il ne m'a pas fallu beaucoup de temps ni d'arguments pour convaincre le vieil ami d'entreprendre ce grand voyage en ma compagnie. Pourquoi pas répond-il gaillardement plusieurs fois, tant qu'à faire ! H'na gaâdin' gaâdin' ! Lorsqu'il fallut acheter les titres de transport et aujourd'hui les retirer il s'empressa de s'en occuper.
- Sérieusement, quoi de neuf?
- R.A.S amigo, cinquième wagon dit-il sans rire en brandissant les billets comme des trophées frais. "Deux allers simples pour Stockholm".
Il doit être treize heures trente. Nous nous dirigeons vers la voie huit. Notre train vient d’être annoncé. Nous avançons en direction de la voiture cinq et nous installons dans les places six et huit. Face à face. Derrière moi à travers la porte vitrée coulissante sans cesse sollicitée, nous distinguons le bienvenu bar.

Les passagers plus que les employés semblent chercher à apprivoiser des repères. Ils dévisagent les lieux avec des yeux pétillants comme ceux des enfants posés sur le papier cadeau qui dissimule leur tout nouveau jouet. Ils s'offrent généreusement des sourires en gage de bonne conduite. La voiture est encore à moitié vide. Treize heures et cinquante-deux minutes. Lorsque le contrôleur délivre au conducteur l'autorisation de départ, la motrice de tête du Thalys G4 - J 1440 prend plus de trois minutes pour la mise en mouvement des 388 tonnes humanisées, violant par conséquent la ponctualité, vertu cardinale de ces lieux. Puis, inéluctablement poussée par toutes les forces ; les siennes et d’autres naturellement, elle avance, abandonnant l'hôtesse déphasée à ses appels qui plongent dans le silence : "voie huit voie huit attention à la fermeture des…." Elle avale mètre après mètre puis des dizaines puis des centaines de mètres de rails à toute vitesse ; inassouvie et conquérante. Heureuse -si tant est qu'elle puisse l'être- d'emporter dans sa folle course tant et tant de monde, de vies ; pour de nouvelles aventures. Je ressens ses vibrations, ses battements exagérément saccadés comme ceux du cœur d'un enfant découvrant la vie, peut-être le bonheur. On voyage bien ou mal mais c’est toujours le début d'une aventure. Bonne ou mauvaise. Les gouttes de pluie cessent de sautiller sur les vitres. Elles ruissellent les unes sur les autres, obliques, poussées vers les angles dans d'interminables tremblements assassins. Lorsque le ciel devient plus clément, le soleil nous adresse de timides œillades et les passagers en réaction arborent un large sourire satiné. Rian ne voit rien et n'entend rien. Il ronfle. Des chevaux isabelle galopent dans le désordre mais en rond, dans d'immenses enclos sans un regard pour le concurrent de fer déloyal qui nous transporte sur sa ligne droite ; pour l'heure infinie, sans retour. Des panneaux publicitaires attirent mon attention par leur gigantisme et par l'énigme qu’ils tentent de révéler à mes yeux. Chacun représente une formidable feuille teintée, entre violettes et coquelicots, bordeaux brique pourpre ou lie-de-vin, au contour échancré, frappée comme un étendard d'une immense lettre noire : Y pour le premier panneau, O pour le suivant puis un K, un N, un A, un P encore un A et plusieurs autres encore et encore comme des morceaux d'un grand territoire nommé passion. L'allure du train est telle que les publicités suivantes ne forment plus que de vagues apparences fuyantes. On distingue aussi des arbres, des poteaux électriques avec leurs fils étendoirs courbes et que sais-je encore qui se poursuivent, balayant sous nos regards vides, de leurs ombres ondoyantes confondues par la vitesse ; tout espace et existence nécessairement soumis. Ombres démesurées mais toujours hoquetant. Zébrures, zébrures, zébrures, jusqu'au vertige. Les paysages de part et d'autre du train se succèdent maintenant à vive allure formant une longue traînée aux contours incertains qui se jette à reculons dans l'espace immense libéré par le train. Je me laisse emporter. La vitesse est si grande que je rajeunis. Oui je rajeunis ! De temps à autre, un portique de signalisation, une gare, un pâté de maisons, un passage à niveau, sont happés dans l'indifférence. On avance, on avance ! Quel bonheur de se trouver là. J'ai hâte de rencontrer Eva et Katarina. Cette attente de la découverte de soi ; de cette part inconnue de soi qui se trouve probablement dans la même condition émotionnelle m'inflige une terreur aussi forte que le bonheur qui me noie. C'est pour elle que j'effectue ce voyage. Pour Eva. Pour Katarina aussi. Un frisson parcourt mon être. On avance, on avance ! Arras, Lille !… Le ciel capricieux s'habille d'épaisses couches de nuages coléreux accaparant nos esprits. Nous sommes définitivement engloutis jusqu'à la prochaine étape. Je défais mon sac imbibé et du fond, j'extrais quelques effets épargnés. Je pars me changer dans les toilettes exiguës. Lorsque je reviens à ma place Rian a disparu. Je le retrouve au bar. Pouvait-il se trouver ailleurs? Son clin d'œil est superflu. Je ne le dérange pas. Il palabre avec une belle jeune -très jeune- rousse et inconnue. Sourire et salamalecs. Bruxelles-Midi, Liège-Guillemins, Lanceaumont !… Un couple visiblement heureux passe devant nous. L'homme et la femme traversent le bar, enlacés. Elle, ne cesse de parler de s'agiter. Elle n'a d'yeux que pour son amoureux. Lui, fixe le plancher à travers d'épaisses lunettes. Comme il se doit, arrivés à la porte vitrée l'homme se fige et laisse passer la femme. Il se fige et je vois un instant une expression froide qu'il plaque sur son visage comme un ornement dissuasif. Ils disparaissent aussitôt. L'homme sifflote.

(Il promena son regard dans la pièce, et vit le couteau qui avait transpercé Basil Hallward. Il l'avait nettoyé à maintes reprises, jusqu’à ce qu’il ne portât plus la moindre tache. Il était luisant, il brillait.)

Cela s'est très vite passé. Je n'ai rien compris. L'homme ressemble étrangement à l'historien du salon de l'horloge. Et s'il prit le même train que nous? Après tout, cela est possible mais avait-il une raison acceptable de le faire? Pourquoi pas? Il ne semblait pas s'attacher particulièrement au salon ni à l'horloge. Il ne m'a pas dit qu'il resterait dans ce salon à regarder les touristes fatigués et ébahis par la routinière mise à mort du sauveur du temps. Tout de même ! A propos de temps, nous serons bientôt à Copenhague comme dans le temps ! Des images de femmes et de la ville traversent mon esprit. Comment retrouverai-je ses avenues ses lumières son port? Et elle, comment est-elle aujourd'hui?

Retrouverai-je son ombre, ses senteurs, ses regards humides et bleus? Nous étions emportés l’un et l’autre. L’un contre l’autre, corps unique dans un tourbillon de mots de gazouillis de couleurs de paysages et de parfums ; de bonheur et de silence. D'émotions. A l'extérieur du train le mauvais temps transforme le jour en nuit. Köln-Hbf !
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Notes :

En automne …les feuilles se ramassent à la pelle : Prévert… très jeune il ‘‘adhère’’ au groupe Octobre créé en 1932 par des intellectuels enthousiastes et engagés

Certains quotidiens…un avenir radieux. : A l’image de ce qui était promis aux peuples soviétiques à la même période.

Sous peine de : interruption du déroulement syntaxique attendu (aposiopèse). le lecteur ajoutera ce que bon lui plaît : Nous ne pouvons que. / Spontanément Katarina. / Entre la faucille et. / besoin de survie sous peine de. etc… C. Fromilhague : les figures de styles

Les Grands Frères ou LGF-Big Brothers : Lire « 1984 »

Je me suis métamorphosé comme Lucius… : Le mutisme n’est dans la situation de Lucius [métamorphosé en âne] qu’une parole réprimée…ire N. Fick-Michel à propos des Métamorphoses d’Apuléé.

Talassa n’est ni le pays des sorcières ni de la magie … : Lucius décide de se rendre en Thessalie…il entreprend ce voyage dans la seule intention de se rendre sur la sorcellerie, la Thessalie étant, dans toute la tradition antique le lieu où vivent les grandes sorcières, celui de la magie noire et des phénomènes occultes…Lire M-L. Von Franz.

Gambita, …pardons soient sur nous : Pardon d’écorcher Gambetta, Victor Hugo…

ICI : Message et clin d’œil à A.H

Le square des Lauriers…la rue de l'Yeuse : Clin à mon prof. Deleuze ce chêne (temps et mouvement), à Dujardin (les flux de conscience)…

Thalys G4 - J 1440 : TGV, de la 4° Génération = Le rail franco-Allemand va s’enrichir dans les années 2010 d’un TGV 4° vitesse…Prévisions exprimées par les responsables de la SNCF en 1999. Pour « J-1440 » = le nombre de minutes en 24 heures.

Un étendard … Y pour le premier panneau, O …puis un K, un N, un A, …un grand territoire nommé passion… : Nous pénétrons un domaine qui renvoie au « timbre-poste » ce territoire passion qu’est Jefferson, cher à William Faulkner..

La vitesse est si grande que je rajeunis !: « Un astronaute voyageant dans l'espace à grande vitesse, et revenant sur terre un siècle plus tard, constaterait que tous ceux qu'il connaissait sont morts, alors qu'il aurait pour sa part seulement vieilli de quelques années. Il s'agit d'un phénomène physique… » Einstein repris par E. T. Hall.

(A suivre…)

jeudi, janvier 12, 2006

13- Le TAS

(Suite)

Une fois de plus l'inspiration qui se voile la face est mise à rude épreuve. A nouveau je plonge dans mon spécial Faulkner et de nouveau c'est l'impasse. Je suis arrivé au terme de l'ouvrage, mais la chute me déplaît fortement :
« Durant toute son existence William Faulkner fut pris entre les mors de tenailles ; entre un monde grand comme un timbre-poste, un monde maudit et un monde de mots-pantins enivrants. L'écrivain est mort en plein été à quelques dizaines de kilomètres de Roan Oak, dans ce sud qui lui a ravi les siens et qui lui a tant donné aussi ! Il ne l'a jamais méprisé et sur ce point il n'a jamais changé d'avis. "Je ne le hais pas, pensa-t-il, haletant dans l’air glacé, dans l’implacable obscurité de la Nouvelle-Angleterre… Non. Non ! Je ne le hais pas ! Je ne le hais pas ! ". Mon but répétait-il " est que la somme et l’histoire de ma vie figurent dans la même phrase qui sera tout à la fois mon obit et mon épitaphe : il a fait des livres et il est mort " ».
Ouais. Cela ne me plaît guère. Non. Je ne vais pas envoyer ça comme ça ! Il y a confusion entre l’auteur et Quentin le narrateur. Je suis fatigué. Tant pis. Ce sera ça ou rien. Je ne pourrai même pas le taper au propre. Je ne peux plus voir ce texte. Je le traîne depuis des semaines ! Le temps me manque et mon esprit n'est plus à Oxford ni à la Madeleine. Ni chez Faulkner ni chez Joëlle. Mon esprit est au Nord si proche. La bibliothèque du centre Beaubourg ne m'a pas été utile.
"Pardon monsieur dit une voix, auriez-vous l’heure s’il vous plaît?" C’est mon voisin de table que je distingue bien maintenant. Un grand homme, sombrement encostumé. Cravate rouge. Il est assis à une table en bois ronde sur ma droite devant la vitrine éclairée. Je lui réponds sans conviction "onze heures cinquante-cinq". Mon regard qui sur le moment fuit vers l'Horloge, revient balayer la couverture du livre négligemment posé par ce voisin entre son béret vert et un bâtonnet instable vide de son sucre. Ce livre, cette couverture, le flou de ces visages, ce jeune homme, je les ai déjà vus. Sûr. Mais à quelle occasion? Je ne m'en souviens pas. Au moment où, l’index gauche pointé sur moi l'homme s’apprêtait à ajouter quelques mots, (voulait-il me faire répéter ou bien me remercier? Ou… Non il ne peut me contrarier. S'il me demande l'heure c'est bien précisément parce qu'il ne la connaît pas. Il voulait probablement me remercier ou me faire répéter. A moins que… Je ne lui en laisse pas le temps) je hasarde :
- Ne nous sommes nous pas ddd, déjà rencontrés?
- Peut-être bien en effet répond le voisin en baissant le bras qu'il avance vers le cendrier. Lorsqu'il prend le livre, le bâtonnet de sucre vole puis plonge vers le sol. Il l’ouvre à une page dont l’extrémité droite est cornée. Il y trempe les quatre yeux. Mécaniquement de sa main libre il prend la tasse et avale une gorgée de café. Je distingue sur la couverture du livre deux visages étrangement ressemblants. Assez oui, ceux de deux frères, deux jumeaux. Les reflets semblent si fortement marquer à la fois leur trouble ressemblance et leur différence. On aurait dit deux regards, deux visages, deux hommes très proches l’un de l’autre mais tout aussi éloignés. Le premier fixe un miroir. Le regard de ses yeux laminés par la lave du temps est dur. Le second, que les effets du temps n'atteignent que peu, est heureux. Son sourire éclate sur la surface lisse de la glace qui les héberge. Ces visages, ces masques -ce sont peut-être des masques- je les ai déjà vus. N'était-ce pas une affiche d'un film… un film soviétique? Ce miroir, ces regards… Ils étaient féminins… non… non…
"Ça y est !" Je lève la main droite vers mon voisin qui sursaute. Je me demande si je n'ai pas crié. Il perd et la page et le livre qui tombe sur mon sac à dos. Son regard n'en est pas un.
- Je me souviens, nous nous sommes rencontrés, il y a quelques mois ici même. Deux clients assidon d'un même salu, heu… deux clients assidus d'un même salon, finissent tôt ou tard par s'y croiser de nouveau ! Un autre jour vous m’aviez raconté la mauvaise vie de Wilde et même évoqué un projet qui vous tenait à cœur. Celui de reprendre pour l'achever, le travail qu'a entamé votre père sur cet homme. Travail qui l’a mené jusqu’en Afrique. Vous voyez?
(Allez allez, ça m’a l’air d’être une broutille, votre différend ! )
Je me penche vers le livre.
- Tout à fait, je m’en souviens maintenant dit-il en ajustant ses lunettes
(En octobre dernier - un an déjà - je me trouvais dans les parages pour les mêmes raisons : me procurer quelques informations à la bibliothèque du quartier de l'Horloge. Une autre raison est que j'aime bien ce salon bien que je n'y vienne pas souvent. Ce sont des raisons qui en valent d'autres après tout. C'est donc un jour d'octobre de l'an dernier, que l'historien et moi avions longuement discuté de l'horloge infernale, prétexte premier à la discussion, puis du temps évidemment et du métier de chacun et enfin de je ne sais plus quoi. Dans cet ordre.)
- Où en êtes-vous? dis-je au voisin.
Son visage s'éclaire. Un large sourire le traverse. Dans son regard épais et protégé une interrogation pointe.
- Vous voyez, je relis le portrait... Je n'en ai pas pour longtemps. Et vous? Vous m'aviez parlé d'une compilation d'articles ou quelque chose comme ça que vous souhaitiez réaliser. C'est bien cela n'est ce pas? Vous êtes bien journaliste?
(Il avait teinté ses passions de mélancolie. Son souvenir avait suffi à gâter bien des moments de joie. Le portrait avait été pour lui comme sa conscience. Oui, il avait été sa conscience. Il le détruirait.)
- Oui oui. Après cette longue discussion sur nos projets, j’ai décidé de soumettre à la rédaction l'idée d'une recherche plus approfondie. Cela pris plusieurs semaines. Elle a finalement été acceptée. Aujourd’hui je l’ai achevée. Qqq quel hasard !
Je lui tends son livre lorsque nous sommes interrompus par l’horloge spécieuse du quartier qui se met dans tous ses états. Quotidiennement on assiste à un branle-bas : durant une longue minute s’affrontent l’homme et trois animaux dans un combat cuivré récurrent et identique. Peine perdue. L'homme croit défendre le temps. Il n'en est rien. L'alliance entre les éléments et le temps est éternelle, au-delà de la simultanéité. Au-delà de l'homme. Et ce mauvais cirque métallisé est ridicule.
Tous les jours à la même heure "le défenseur du temps" mène une lutte sans merci ni victoire apparente. Tous les jours des touristes essoufflés et enthousiastes s’agglutinent autour du monument et ensemble applaudissent frénétiquement le sauveur.le guide ou le descriptif emprisonné sous l’aisselle, le nez en l’air. A moins qu’ils n’applaudissent le maître d’œuvre, le Grand Horloger ou à leur propre perte car ils ne pourront venir tous les jours le braver indéfiniment, impunément. Un jour ils ne reviendront plus.
L’agitation sous la pluie est à son paroxysme comme tous les jours à la même heure bien que l'été fourmillant soit déjà loin. Dans le café une dizaine de personnes s’approchent de nos tables car nous sommes au premier rang. Je regarde ma montre. Elle indique le bon jour, elle indique aussi la bonne date. Pas plus. Le lecteur d'Oscar Wilde est impassible devant tous ces remous que je le soupçonne désapprouver. Il semble sur le point de partir mais il ne part pas.
Fatiguée ma montre ne me dit pas la bonne heure. Il y a des moments comme celui-ci où, comme le Quentin du roman j’ai envie de mettre le pied dessus, mais j’entreprends de l’accorder et de la remonter. C’est une montre mécanique que j'ai empruntée à mon père. A vingt ans je la portais. Je ne la lui ai jamais rendue. Je n’en ai jamais changé. Pourquoi d’ailleurs? Ses caprices sont supportables. Ce n'est pas une Newmann, non ! Elle lui est bien antérieure. Elle n’a plus d’âge. Fichue montre. "Quant à moi j’ai le temps" pense-je. Aussitôt je me lève. Je soulève puis ajuste mon sac à dos. Aujourd'hui est un grand jour. J’oublie presque mon voisin que je salue à peine. Je n'entends plus ce qu'il me dit. Je fuis cette effervescence insensée.
Ma montre indique maintenant une heure que je me résigne à qualifier de bonne. Pour combien de temps? L'anniversaire n'est pas bien loin. Que le temps passe vite ! Ce jour là je vieillirai d’un an. On vieillit toujours d'un an à la fois. On ne vieillit jamais de quelques mois ou de quelques jours. Ca ne se fait pas. La sentence du sens commun est capitale. Mais qui peut sérieusement dire l'ampleur et la couleur d'une année? Est-elle alexandrine? Bouddhiste? Pourquoi pas Quiché? J'ai rarement entendu dire "on vit les jours qui passent". Par contre j'ai souvent entendu ces expressions : "On a vécu un an de plus", "Elle ou il a vieilli d'un an !" Pour nombre de nos semblables le temps comme l'histoire avec ou sans h majuscule, n'existent que vécus. Des plus anciennes épitaphes. "Je n’étais pas, j’ai été, je ne suis plus, ça m’est égal", aux actuelles "Ci-gît X" ou bien "Ici repose Y". La preuve est fournie. Or ce repos n'est pas la vie. La vie n’est pas de tout repos mais cela n’a rien à voir.
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Notes :

« Je distingue sur la couverture du livre deux visages étrangement ressemblants. (…) N'était-ce pas une affiche d'un film… un film soviétique? Ce miroir, ces regards… Ils étaient féminins… non… non… » : En fait dans « Zercalo » Tarkovski procède de la même manière Cet extrait d’une critique du film de Tarkovski « Le miroir ». Critique (signée N. Z.) parue dans le quotidien Le Monde: « …Tandis que la mère serre son châle et que, comme dans un miroir, apparaissent, se contemplant l’une l’autre, la mère jeune d’il y a 30 ans et son reflet, la vieille dame d’aujourd’hui… »
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Tous les jours à la même heure "le défenseur du temps" mène une lutte sans merci : Sur la plaque de l’entrée du 8 de la rue Bernard de Clairvaux (Beaubourg) il est écrit:
« Le défenseur du temps : A chaque heure du jour (entre 9 et 22 heures) le défenseur du temps lutte victorieusement contre l’un des 3 animaux qui l’entourent : le crabe, le dragon et l’oiseau, symbolisant la mer, la terre et le ciel. Le déferlement des vagues de la mer, le grondement terrestre ou le souffle du vent accompagne le combat. A 12h, 18h et 22heures, le défenseur du temps est attaqué par les 3 animaux à la fois. Quelques instants avant l’heure les 3 coups annoncent le spectacle. Un tambour en bronze sonne l’heure. »
Et : « …A chaque heure un programmateur de hasard choisit l’animal qui doit combattre. Tous les mouvements du combat sont actionnés par des vérins pneumatiques. Le défenseur du temps et les animaux sont en laiton martelé et poli, et les roches en laiton oxydé. Une horloge mère électronique à quartz commande le programmateur de hasard, 6 programmateurs à cames, 5 magnétophones à bande et le mouvement des aiguilles. Hauteur totale de l’horloge : 4 M. Poids total de l’horloge : 1 tonne »
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Le Grand Horloger: Initialement : le « Grand Architecte » (cela prêtait à confusion.)
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« Ce n’est pas une montre Newman » : Rolex Daytona est la montre la plus prisée par les collectionneurs. Elle date des années 1968 à 73. Elle porte le nom de l’acteur Paul Newman qui l’a longtemps portée…
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Quiché : Lecture de E-T Hall: « …suivant la tradition, les Quichés, ancêtres indiens, ont deux calendriers, l'un civil, l'autre religieux.
L'année du calendrier civil compte 360 jours et 5 jours restants. L'année compte 18 mois et 20 jours.
Le calendrier religieux compte 260 jours et n'est pas divisé en mois : c'est un assemblage formé de 20 combinaisons.
Ces deux calendriers s'imbriquent l'un dans l'autre comme deux engrenages rotatifs, pour former la "ronde du calendrier" qui ne se répète qu'une fois tous les 52 ans. »
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« Je n’étais pas, j’ai été,…… » : « …Inscription sur d’innombrables tombes en grec ou latin : La formule était si répandue que le marbrier se contentait souvent de graver les initiales (de cette épitaphe) [ In : L. Jerphagnon : Histoire de la pensée.
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(A suivre…)

vendredi, janvier 06, 2006

12- Le TAS

(Suite)

J'ai depuis longtemps tout préparé. Mes réponses et même les questions. J'ai toutes les réponses qu'il faut au cas où… J'ai tout préparé mais elle ne me pose aucune autre question. Elle ne m'interrogera plus sur les évidences. (Je le regrette car je pense que les évidences doivent être exprimées tout comme les banalités. Formuler des évidences ou des banalités c'est autoriser le questionnement. Derrière les évidences il se cache souvent des réalités insoupçonnées. Enfin…). Je crois même qu'elle se fâche. Je ne la regarde pas. J'ai pourtant bien envie d'ajouter que ma conviction ici est faible, que j’aimerai la renforcer, que la fin ce n'est pas très important. Je voudrai ajouter que je crois à la fébrilité du vivant, aux cycles, aux mouvements. Eux sont éternels même si chaque individu dans sa consistance toute relative, a atteint ses propres limites, son propre horizon, sa propre réconciliation, sa propre vérité. L'humilité de l'homme devrait être incommensurable. J'ai un fort désir de lui dire tout cela pour aller jusqu'au fond du problème, car les évidences il faut leur faire face. Les clarifier, les dépouiller. Une force incontrôlable m'invite au silence. Je me tais. Un long moment a passé. Je dus lui causer du dépit.
- Tu es parfois comme Katarina. Je te demande quelque chose et toi tu me réponds à côté. Souvent avec Katarina c'est pareil ou pire car elle se cherche dans l'adversité. Elle me cherche. Hier encore, tu as bien entendu : "et le resto, c’est le resto qui était prévu !". Elle a bien dit cela. Elle sera en retard alors qu’elle a promit d'y être avant nous. Excuses-moi mais je pense qu’elle exagère un peu depuis quelques temps. Depuis plusieurs mois. Depuis que je suis dans cet état. Je dirais même, depuis que tu es arrivé. Et toi tu procèdes pareillement.
Ces jours ci l’une et l’autre abusent et exploitent ma faiblesse ou ma patience. A tour de rôle. Je ne prendrai pas position, même si parfois elles sont au bord de la crise de nerf ; non que je n'aime pas prendre position mais cela ne me semble pas important. Encore moins aujourd'hui. Son état physique influe sur son mental. Que veut-elle? Quoi qu'elle puisse vouloir je ne suis plus disposé à jouer à l'arbitre au premier coup de sifflet. Je n'en ai ni la force ni la volonté. Je lui dis haut et fort :
- Ecoute, tu ne vas pas de nouveau te fâcher avec ta mère au prétexte que je réponds comme elle par des biais à tes interrogations. Si tu veux mon avis, ce qu'il faudrait c'est qu'une tierce personne mais ppp pas moi, intervienne pour vous réconcilier. Elle écarquille ses grands yeux, immenses et pleins de malice. Sans colère.
- Une tierce personne? Nous réconcilier? Mais… c'est de toi que…
- Vos scènes me font penser à une anecdote qui n'a plus d'âge mais que je trouve correspondre à ce type de situation.
- Aha…
Tu sais que Nyar est un ami d'enfance. Je le connais de bout en bout. Autant que je me connais. J'ai beaucoup d'affection et de respect pour lui. Vice versa. Jeunes nous étions déjà souvent ensemble. Nous aimions ensemble jouer au football, aller à la mer au cinéma -Nous avions tout notre temps depuis que nous fûmes la même année renvoyés du collège pour n'avoir pas su comme beaucoup d'autres trouver un faux père ou frère qui pût par une quelconque parade impressionner le principal ou les maîtres et nous extraire de l'impasse.- Nous n'avions pas toujours
le même regard sur les gens, la vie. Souvent nous avions des difficultés -à défaut d'arguments sensés- à mettre fin à des querelles nées de nos divergences. Nous finissions par partir chacun de son côté. Nous ne discutions pas vraiment, vois-tu. Le lendemain nous n'y pensions plus. Mais une brouille nouvelle guettait toujours au creux de nos rencontres. Un jour, une fois de plus nous nous sommes accrochés sur une futilité. Mais pour nous, à cette époque c'était tout, sauf une futilité. Nous en sommes presque venus aux mains. Un inconnu, un vieux monsieur, un étranger nous emporta dans un tourbillon pédagogique à propos de l'amitié, l'éphémère, le rire et la futilité justement, pendant un temps qui semblait ne plus vouloir s'arrêter. Par respect nous ne bronchions pas. Puis Nyar le soupçonna de défendre mon point de vue. Il le lui dit. Je rouspétai et à mon tour j’accusai l'étranger d’être contre moi. L'étranger finit par avoir le dessus puisqu'il nous réconcilia. Difficilement mais il y parvint. Ce monsieur -c'était un brave monsieur- est resté quelque temps à Oran. Il devint un grand-père en quelque sorte, un grand maître. Nous apprîmes beaucoup de lui. De nos jours encore, plusieurs fois il me semble l'avoir croisé. Drôle de situation, de sensation. Tiens, hier ; je t'ai dit qu'au National muséum j'ai vu un type qui lui ressemblait !
- Je m'en souviens.
- Je dois avoir la berlue.
(Le portrait l’empêchait de dormir. Quand il était loin de Londres, la terreur s’emparait de lui à l’idée que d’autres yeux que les siens pussent le voir).
Housia regarde l'heure comme elle aurait regardé le ciel ou un objet quelconque. Elle oublie ses interrogations. Elle dit poliment : "Ah oui". Je sais maintenant qu'elle s'impatiente pour sortir. Le café n’en est pas un. Ni le bâtiment ni le liquide. Centre commercial pour l’un, jus de chaussette pour le second. Il provient peut-être d’un caféier local, un caféier du nord. Non, je ne suis pas irrévérencieux en pensant cela. Mais nous avons bien fait de quitter les lieux sitôt réchauffés. La salle était comble et bien chaude. L'essentiel.

Nous suivons le boulevard Vasabron puis empruntons Vasterlång gatan dans la moyenâgeuse Gamla-Stan, un îlot de vieilles demeures et de ruelles serrées les unes contre les autres flottant entre le populaire Södermalm et Norrmalm. Derrière la cathédrale nous pénétrons sur notre gauche dans Stortorget. En ces lieux la foule est épaisse. Il y a beaucoup d'hivernants étrangers. Ils sont reconnaissables aux tics qui secouent leur tête dans tous les sens comme s'ils voulaient conserver tous les détails de la vie et des choses, y compris dans la pénombre. Ils sont aussi bruyants que pressés. Encore une fois je demande l’heure à Housia qui, de nouveau ne répond pas. Le jour a déjà froidement tiré sa révérence depuis au moins seize heures. Quelle heure est-il? Monumentale et donc dédaigneuse, la bourse demeure de marbre et de prestige. Je n’insiste pas mais cela m’agace. Stortorget est une belle place ceinturée de bas immeubles illuminés dans laquelle plongent deux rues piétonnes. Au centre un ensemble de fontaines sont plantées, chacune orientée vers un coin de la place. Le peuple de Stockholm fait son marché de Noël dans une allégresse feutrée, mise à mal par l'angoisse noire générale qui recouvre le pays chaque année à la même période plusieurs mois durant. L’eau ne coule pas. Dans la gueule de chaque dragon dont les têtes ornent les sources s’est formé un bouchon. Je prends mon bloc-notes et y couche quelques commentaires supplémentaires sur ces moments. Mon stylo et mon bloc-notes sont des objets qui forment une excroissance de mon être. Nous avons grandi ensemble. Ils sont ma seconde nature. Sans mon stylo sans mon agenda je deviens ver de terre. Nu. Ils sont mon issue de secours lorsque je suis bâillonné par le diktat des paroles. Il m'est difficile de vivre sans utiliser ce privilège, le privilège de pouvoir figer des appréciations montées au forceps, sur le monde et sur soi et de redécouvrir, intacte et sans nostalgie si possible ; des mois, des années plus tard, enfouie dans des mots forteresses allongés sur le papier jauni, l'atmosphère du moment. Evidemment. L'eau ne coule plus donc. Figée. Le froid a raison de sa fluidité comme l'eau a raison d'un château de sable monté sur une plage d'été bariolée. Depuis une semaine une masse d'air arctique précoce et exceptionnelle s'abat sur toute une partie du pays entre Älvkarleby, Stockholm, Arkiva et Kiruna du Lappland Ici la température atteint douze degrés Celsius en dessous de zéro. Je ne tiens plus. Les gamins ne sont plus là. Les ouvriers reviendront demain s'acharner sur des canalisations en piteux état. Depuis plusieurs jours des milliers de minuscules flocons étoilés, en apparence semblables, mais combien réellement variés parfois par groupes enchevêtrés les uns aux autres, parfois épars, glissent mollement vers le sol à l'instar des trapézistes qui se laissent choir le long de cordes arquées invisibles ; muets. C'est l'anarchie. Et cette eau visqueuse qui ne coule plus. Peut-on accepter un instant une fontaine sans eau? Voilà. C'est exactement pareil. Pourquoi l'eau ne coule plus? Cela n'est même pas de la faute de l'homme. Il n'y a pas d'eau. C'est comme les aiguilles de tout à l'heure. Je pourrais dire des choses à ce propos. Le sapin est couvert de mille et une guirlandes, de paquets, de boules de Noël et de feu. Il est beau et immense !
- Des oreilles aux orteils je suis gelé.
- C’est par-là.
Nous revenons vers Västerlång gatan. Nous la remontons puis la traversons pour prendre un passage voûté. Nous pénétrons dans une sorte de restaurant populaire qui se trouve à quelques pas sur la droite, le Kebab Café. Lorsque Housia pousse la lourde porte double-vitrée et embuée, tout un assortiment d'odeurs transportées dans une bulle d'air chaud nous attire jusqu'au fond de la salle près d’une belle terrasse. Elle fut naguère fleurie. Nous nous approchons d'une des quelques rares tables orphelines et nous y installons. A l'extérieur, sur la terrasse inaccessible, il ne reste que des corps de plantes rabougris, flétris. Le temps y est pour quelque chose. Au patron qui accourt vers notre table -ce n’est peut-être pas le patron mais il en a l’air ; l'air renfrogné- nous faisons signe de patienter. En fait, je lui fais "après" en simulant un grand cercle que je profile avec mon index gauche. Je renouvèle le même geste. Il tente avec son regard ombrageux d'insister. "Jag förstår inte" dit-il et repart pas très heureux. "Ja ja" dit Housia en dégageant le clapet de son téléphone qui se met à sonner. Des clients se retournent. Elle se lève, évite des regards et des chaises, s’excuse et tente en vain d’ouvrir la porte qui donne sur la terrasse. Elle se dirige vers la sortie, échange quelques paroles. Elle revient au terme d'un court moment et désactive son téléphone. Elle sourit.
- C'était Katarina. Elle nous rejoint dans une demi-heure.
- Mais, c'est ce qu'elle nous a déjà dit tantôt.
- Oui mais enfin… Tu n’as rien commandé?
- Tiens voilà le patron.
Auprès du patron -il en a l'air- Housia s’excuse pour la communication. Je comprends qu’elle lui explique la situation. Il sourit en me regardant. Je lui renvoie poliment sa politesse.
- One bier please. Två !
La soirée s'annonce des plus intéressantes. Les serveurs s'agitent avec dextérité. Ils étalent fièrement dans ces circonstances l'art d'esquiver les coups de leurs collègues, de tenir debout, de ne pas glisser quel que soit le poids ou le nombre d'objets qui garnissent leur plateau -haut sur leurs cinq doigts, voire trois- d'arriver à destination, de servir, sourire et revenir pour un nouveau tour en évitant méthodiquement le panneau de la porte-battante de la cuisine. Justement, l'un d'eux faillit me contrarier. Sur le côté un jeune homme s'esclaffe. Nous pouffons à notre tour. Les deux mains ouvertes, plaquées contre son ventre, Housia ne s'aventure pas plus. Elle tente difficilement de contrôler son rire. Le brouhaha s'accommode des lieux et s'amplifie dans un îlot de fraternité bientôt plus forte, tissée par les échanges et les éclats de rire, encouragée par toutes sortes de remontants.
- Ca va? restez assis. Ca a été le ciné? racontez un peu.
Nous apprécions la discrétion calculée de Katarina. Elle dépose mon sac de voyage.
- Merci.
Alors? dit-elle. Nous lui parlons de Viskningar och rop. Elle n’apprécie effectivement pas. Housia glousse et Katarina change aussitôt de sujet de conversation. Housia et sa mère prennent chacune un Janssons frestelse. Quant à moi, j'ai assez englouti de kåldomar et de Köttbullar och potatis, je préfère me laisser tenter par un bon plat du sud. Devrai-je dire de chez moi? Un bon vieux plat de felfla. Ail poivrons verts et huile d'olive. Sur ma droite nos voisins s'en donnent à cœur joie. Comme ils ont -de toute évidence- plusieurs tours d'avance ils entament une chanson à boire comme s'ils étaient devant l'arbre sacré de mai : He-lan går, sjung hopp falle rallan rallan lej !... et glou et glou Plus tard, à leur invitation nous nous joignons à eux, d'autres clients font de même et puis tout le monde. On jurerait que l'hiver et la désillusion qu'il charrie sont loin tant la joie et la spontanéité sont immenses et réelles. Le patron -est-ce un turc?- offre plusieurs tournées. Une vraie fête d'adieux !… Alors avec Young nous reprenons et buvons en chœur Then I ran into… L'air m'est tellement familier que les notes et paroles dansent dans ma mémoire avant de jaillir des amplificateurs de la chaîne hi-fi du restaurant. Les unes après les autres elles figurent un filet comme des gouttelettes d’une eau de jouvence, et viennent se jeter corps et âme contre nos tympans jouisseurs. La vie ! Then I ran into the hangman, he said "it's time to die". You gotta tell your story boy, you know the reason why… Je me croirais au Casanova. Il y a là pas moins de trois douzaines de personnes. Personnel compris. Cela fait beaucoup trop de monde pour un si petit espace débordant d'humanité et de générosité. Une plage de vie. Quelques écrans diffusent une lumière artificielle vive qui contribue à rehausser le moral général. Les huit vieilles tables sont assiégées. Les bougies vivantes qui les garnissent font danser les ombres des bouteilles vides et nos silhouettes sur le mur décrépit. Les flammes s'étirent vers les lampes électriques pendues, inertes et vaincues, peu soucieuses. Jusqu'au dernier souffle consumé, aussitôt renouvelé. Katarina me glisse un objet entre les mains. Elle dit simplement : C’est ta fête non?. Ses mots sont les mêmes à mille lieues temporelles. Nous étions alors emportés l’un et l’autre. L’un contre l’autre, corps unique dans un tourbillon de mots de gazouillis de couleurs de paysages et de parfums ; de bonheur et de silence. D'émotions. Ce soir ses mots sont fraternels et ses yeux affectés.
- Ma fête, quelle fête, qu’est-ce?
- Ben qu’attends-tu, défais le paquet !
- Non, c’est pas vrai, c’est merveilleux, vraiment merveilleux ! Je vous embrasse ! Je n'aurai jamais suffisamment de mots pour vous demander pardon, heu… pardon ; je veux dire pour vous remercier pour tout ce que vous avez fait pour moi depuis le début. Je vous embrasse". D'autres sons restés en travers, muselés, rebroussent leur chemin dans ma gorge sèche.
"Happy birthday" dit une voix. "Är det en kompass?" demande une autre. "Javisst, heu… sure it's a compass". Et une magnifique montre électronique. Ah d'accord ! ("Quelle heure as-tu? Depuis que j’ai égaré ma fichue montre je suis perdu. Pourquoi souris-tu? J’y tenais beaucoup tu sais… Comment ai-je pu? Elle a appartenu à ton grand-père. Je te l'ai dit non?") Ah d'accord !
Le groupe frénétiquement tape dans les mains sur les tables sur les bouteilles ! Mais il fallait que ce moment arrive. Katarina se lève. Elle s'excuse de devoir nous quitter. Elle est tirée par la manche. Elle se relève une nouvelle fois et s'excuse de nouveau toujours souriante et triste. Je me lève aussi. Difficile. Une chaise tombe à la renverse. Je happe un clin d’œil azur mouillé qu'elle adresse à sa fille. De nouveau elle m'embrasse à quatre reprises et file. Je devine une larme à l’œil… You gotta tell your story boy, you know the reason why. Are you ready for the country, because it's time to go…
- N’oublie pas ton sac de voyage me crie Katarina. Tu as tout le reste j’espère. Aussitôt la lourde porte poussée une bouffée d'air glacé nous enveloppe. Elle est déjà dehors. Je suis seul à tenter une réaction. La porte se referme. Je ne la verrais pas se retourner. Je l'imagine tête baissée, elle fait quelques mètres ; la voilà qui ralentit. Elle tourne la tête, son regard brouillé fixe mal l'entrée du Kébab. Elle ne supporte pas les adieux. Qui les endure? Les uns dansent les autres applaudissent. Nous trinquons tous. C'est la contagion. Je me rassieds. Housia dit seulement, les deux mains en entonnoir collées à mon oreille : c'est rare ici de faire comme cela. Je l'imite et crie car il faut bien répondre : c'est pour moi, tu n'as pas compris? J'ajoute :
- J'espère que tu m'accompagneras n'est ce pas, jusqu'au bout hein?"
- Mais pourquoi maintenant?
- Je t'ai déjà répondu. Cela ne dépend pas de moi." (Le moment lui seul peut éventuellement dépendre de moi. Je ne suis pas heureux. Ma conscience a fortement inoculé ma soirée de sa prestance abyssale ; plus que d'habitude.) Puis je me lève de nouveau.
- Excuse-moi.
Je me rends aux toilettes et m'enferme le temps d'absorber mes psychotropes. Ai-je avalé trois, quatre ou six comprimés? Peut-être plus. Je referme le vieil et encombrant robinet d'eau. Je finis par trouver mon carnet sur lequel je porte ces mots : "je suis trop conscient pour être heureux. Pardon" . Puis, je remonte. Nous avalons d'autres alcools. Are you ready for the... L'euphorie nous menace le temps glisse et le patron exténué s'impatiente. Nous tentons de nous défaire des autres noceurs. La troisième tentative est la bonne. Housia et moi quittons cette folie sous des hourras gênants que nous lancent les plus spongieux des fêtards. Nous allons sans presser le pas en direction de la station.
- Pas trop lourd le sac?"
Nous marchons une centaine de mètres. Peut-être plus. Je ne suis pas bien. Je propose de nous arrêter. Quelques couples pressés ralentissent, hésitent, passent se retournent par habitude et reprennent leur chemin. J'imagine un instant leurs pensées que je colore en noir. Je ne peux leur en vouloir. Ils nous ressemblent. Je prends sa tête dans mes mains brûlantes et l'attire contre la mienne. Les larmes ne sont pas amères. Un vide accablant s’embusque dans mes pensées. Il est le fruit du dégoût. Indéfinissable dégoût. Est-ce du désenchantement? et pourquoi? Non. Non… Le voyage est accompli et il n’y a nul plaisir à le contempler après. On devrait avoir plus de plaisir à accomplir un bienfait, une œuvre ou un voyage qu'à les admirer ou les regretter les yeux plongés dans le rétroviseur de sa propre vie. Les vivre oui, mais à quoi bon les contempler? Une fois satisfaits il faut les prendre tels qu'ils sont : Achevés, inconvenants, creux. Cuisants peut-être aussi. Cela fait 2000 ans qu'on le dit. Iam fructu artis suae fruitur… Les branches qui nous portent finissent toujours par pourrir. Alors… Ce n'est que trop facile à dire. Nous ne pouvons que.
Lorsque le moment se présente -redouté ou sereinement attendu, parfois même décidé et programmé- il faut dignement le saisir. Instinctivement Housia me suit ; écrasée, effondrée dans le silence. Quel mot, quels mots prétentieux suffisants, pourraient traduire nos émotions, nos troubles ou oseraient en ce moment refléter ce qui même les précède, les enfante ; ces rythmes intérieurs indicibles. De nouveau je demande à Housia un moment de répit. J'implore son pardon.
- N’oublie pas Ya-Sin, Ya-Sin.
Je sue un peu plus. Des picotements pianotent de plus en plus vite et fort, le long de mes bras et avant-bras. Les tiraillements y sont plus vifs. A hauteur de Elsegatan le sac à dos se dégage et glisse le long du bras gauche. Mes doigts engourdis ne peuvent plus rien retenir. Il plonge sur la chaussée blanchie.
- Alec !
Ma poitrine se comprime, se déchire. Je manque d'air et d'eau. Mes jambes me lâchent. Brusquement le ciel s'écroule. Jamais la terre ne fut si basse. Ciel et terre sont maintenant confondus. Je sombre dans le blanc, cerné par ma propre vérité.
- Alec !
Il a suffit d'un instant. J'entends : "Snälla, snälla, kala på en ambulans !". Est-ce elle? J'ai chaud. Des bruissements alentours flottent puis se font voix. Je devine des têtes casquées, des blouses blanches qui tournoient dans un jeu de lumières. Les yeux sont avides et blancs. Eux aussi tourbillonnent à la recherche d'autres yeux ou d'autres soutiens ou quelque encouragement. Quelques bouches se tordent, s'ouvrent, se contorsionnent. Je ne reconnais personne. Devrai-je reconnaître quelqu'un? C'est carnaval. Quel rôle m'est attribué? Et tous ces gens en bas qui s'affairent autour de moi ; est-ce une idée? Une vue de l'esprit? Pourquoi? Une sensation agréable désormais m'accompagne.
- Razi !
Je ne réponds pas. Le puis-je? A quoi bon. Je glisse sur les eaux accueillantes d'une rivière lactescente. Je leur souris. Je Lui souris et Lui tend mon gauche index. Des mots que toute leur vie ma mère sa mère et ses aïeules n'ont cessé de me répéter, de nous répéter, s'insurgent, se révoltent et s'échappent. M'entend-Il ? Est-Il seulement là? Ach' hadou en' la Ilah. J’ai appris que les mots ne servent à rien, que les mots ne correspondent jamais à ce qu’ils s'efforcent d'exprimer. Ma mémoire s'emballe au seuil de ma conscience.
- Far !
Ah ! Il lui est aisé maintenant de dérouler à sa guise des bribes de ma propre histoire ! Ma mémoire est souveraine. Elle n'en fait forcément qu'à sa tête. Pour combien de temps? Housia ! Eva ! Kata.
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Notes :

- Les flammes s’étirent… « vers le haut comme un ruisseau vertical ». Lire Bachelard: « La flamme d’une chandelle »

- Les 6 extraits de Neil Young : « Are you ready for the country ? »
Ici : Then I ran into the hangman, he said "it's time to die". You gotta tell your story boy, you know the reason why…
Ailleurs: You gotta tell your story boy, you know the reason why. Are you ready for the country, because it's time to go…puis, Are you ready for the...ainsi que You gotta tell your story boy, before it’s time to go, puis Si-la, do, do-do, do-la, do, la-ré, ré-si, la-sol, sol, fa-mi…enfin: I was talking to the preacher, said God was on my side


-Iam fructu artis suae fruitur, ipsa fruebatur arte, cum pingeret : Sénèque écrit [In : Lettres à Lucilius] : « Le philosophe Attale [Sénèque (ce-n'est-que)- en est un disciple] répétait que l’on trouve plus de charme à se faire un ami qu’à l’avoir tout fait, « de même que l’artiste trouve plus de charme à exécuter sa peinture qu’à l’avoir exécutée… ». L’activité inquiète, qui l’absorbait dans son œuvre, ne va pas sans une immense joie liée à cette activité même. L’impression n’est pas aussi délicieuse, quand la main de l’ouvrier a posé la dernière touche : à cette heure, il jouit du fruit de son art, il jouissait de l’art même, tandis qu’il peignait… ». Soit : iam fructu artis suae fruitur ; ipsa fruebatur arte, cum pingeret. »

-N’oublie pas Ya-Sin : Lequel Ya sin ? a) le futur enfant (son identité) b) La Soura du Coran [Sourat 36 verset 57 -Coran ] dont Alec espère que sa fille lira à son chevet, d’où d’ailleurs le : « Eva fait un geste qu’elle accompagne d’un murmure promis » . Elle dit : Là ils auront des fruits, et ils auront ce qu'ils réclameront…
Il dit : « Ach hadou en’ la ilah » = Est-ce que la Chahada n’est pas achevée? Ou bien volontairement il dit : « Il n’y a pas de Dieu » ?
-J’ai appris que les mots…: C’est ce que dit Miss Burden morte (in: Tandis que j’agonise)

-Le portrait l’empêchait… : (Le portrait l’empêchait de dormir. Quand il était loin de Londres, la terreur s’emparait de lui à l’idée que d’autres yeux que les siens pussent le voir).
C’est un de six extraits de « Le portrait de Dorian Gray » d’Oscar wilde.
1° extrait ci-dessus. Cela se passe dans le Ahlens-Café, 2° extrait : « Il avait… » (Dans le salon de l’horloge ), 3° extrait : « Il promena… » (Dans le train en Allemagne), 4° extrait : « Tout comme il avait… » (Dans le square des Batignolles), 5° extrait « Il tuerait le passé…libre » (Dans la chambre d’Alec rue des Moines), 6° extrait : « Il tuerait cette monstrueuse…toile » (A Farsta chez Eva et Katarina)
Tous ces lieux sont fermés (Y compris le square des Batignolles). Le 6° extrait est situé juste au moment où Alec arrive à Farsta (Il revient du musée) avec sous le bras 2 toiles de Watteau dont l’une est abîmée, déchirée.
L’extrait lui-même « Il [D. Gray] saisit le couteau et le planta dans la toile » est suivi (dans le roman d’O. Wilde) par la mort de D. Gray.
- « Encore une fois je demande l’heure » = Ce « encore » fait suite à la question de Alec en chap. 09 : « Qu’elle heure as-tu? » Alvkarleby : Stig Dagerman est né à Alvkarleby au bord de la rivière Dalälv, aux confins de la province d’Uppland

(A suivre...)